Le grand massif

« Pour un peintre, j’ai beaucoup dessiné dans ma vie. Il y a beaucoup de peintres dont on connaît peu de dessins, car leur dessin est sur la toile. Effectivement, la peinture est aussi dessin, mais le dessin est direct […]. Le dessin ne trompe pas parce qu’il ne ment pas. » Ces mots d’Árpád Szenes suffisent à dire la conception éthique de la peinture qui gouverna tout l’œuvre de cet artiste, exigence proche de celle de sa compagne Maria-Elena Vieira da Silva.

Le Grand Massif, une gouache sur papier de 1960, de ce format horizontal qu’il affectionne, est l’une des manifestations de cette quête de la pureté, au moment où Szenes se tourne vers le paysage – le plus abstrait des motifs – après un voyage en Espagne en 1958. Lui qui fut réaliste à ses débuts construit désormais, au terme d’une lente « réduction » des pratiques figuratives que lui permet précisément le travail sur papier, un espace par stratification de couleurs ; un espace dont la densité naît de la tension entre pratique du recouvrement et désir d’épuration. C’est la lumière qu’il s’agit d’accueillir par la gouache, la lumière la plus insaisissable, celle de l’eau, du sable, de l’air. C’est un lieu dédié à cette lumière qu’il faut construire, par fragiles horizontales. Dans un texte de 1963, Jean Grenier (« Szenes le contemplatif », xxe siècle, nº 22, 1963) met au jour l’infinie subtilité qui se cache sous l’apparemment simple : « Ce paysage se profile sur un fond de camaïeu aux nuances les plus subtiles. […] Ce gris, qui comprend en lui tant de valeurs et si diverses, gris foncés passant aux gris blancs et gris teintés, est ponctué de signes ocre, bleus, rouges, verts, bistre, qui sont autant de lumières nous guidant dans notre voyage à travers ces paysages imaginaires qu’ils éclairent d’une lueur discrète et fugitive comme autant de signaux joyeux. »

Pierre Wat

Source :
Extrait du catalogue Collection art graphique - La collection du Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, sous la direction de Agnès de la Beaumelle, Paris, Centre Pompidou, 2008