Sans titre

Entamant une réflexion sur la peinture dès son passage au Black Mountain College en 1953, James Bishop se consacre entièrement à une recherche spatiale et formelle. Sans titre de 1968 est représentatif de cette construction architecturale de l’espace, « échafaudage incertain » qui s’appuie sur la vibration lumineuse du blanc et sa très forte présence. Dès 1964, James Bishop a adopté le format carré et un processus invariable selon lequel la couleur est répandue librement sur la toile posée au sol. Cette libération de la couleur, prônée par l’expressionnisme abstrait, est ici mise à l’épreuve d’un espace géométrique dominé par diverses nuances de blanc. L’artiste précisera : « Dès que la toile fut tendue, je m’aperçus qu’elle était à échelle humaine – un peu plus grande que moi, un peu plus large que quand j’avais les bras tendus ; c’est de là que sont venues les divisions sur la toile. […] La perception subjective de l’échelle et de l’espace étant essentielle, il faut regarder ces tableaux d’assez près. À partir de là, il n’y a plus eu de rectangles, sauf dans mes œuvres sur papier. Je voulais la forme neutre, le carré. » En appelant à une nouvelle forme de subjectivité, et surtout à celle du spectateur, l’œuvre de James Bishop s’inscrit dans la dernière vague de l’expressionnisme abstrait, dont le peintre Ad Reinhardt constitue le plus actif représentant ; cette approche qui génère une forme de distanciation et de neutralité marquera bon nombre d’artistes américains de la nouvelle génération, abstraits (Agnes Martin) mais aussi figuratifs (Chuck Close, Vija Celmins).

Dorothée Deyriès-Henry

Source :
Extrait du catalogue Collection art contemporain - La collection du Centre Pompidou, Musée national d'art moderne , sous la direction de Sophie Duplaix, Paris, Centre Pompidou, 2007