Oreille

En 1953, Tomio Miki entre pour un temps à l’Hygienics Professional School de Tokyo avant de se tourner vers l’art, qu’il étudie par lui-même. Entre 1958 et 1963, il expose aux Indépendants Yomiuri – l’équivalent à Tokyo du salon éponyme français – avec le groupe d’avant-garde Neo Dada Organizers, dont il partage la vision radicale portée sur le monde chaotique de l’après-guerre. En 1958, il proclame en public la destruction de l’art informel, mettant le feu à ses toiles abstraites préalablement aspergées d’essence. Il réalise en 1962 sa première sculpture en forme d’oreille, un motif privilégié jusqu’à l’obsession, rejoignant l’expression visionnaire et névrotique d’une Yayoï Kusama ou d’un Tetsumi Kudo. Ce thème s’est imposé à Miki lors d’un voyage en train, où il s’est senti « soudain encerclé par des centaines d’oreilles prêtes à [l]’assaillir. » La première version est suivie d’une quantité d’autres, dont le sculpteur fait varier la taille, le matériau et la forme. Toutes exhibent les inquiétants méandres internes de l’organe. Celle du Mnam, énorme et pesant plus de 250 kilos, provient du jardin de l’artiste et peut être posée au sol ou présentée à la verticale. D’aspect ambivalent, semblable à un profil d’homme, l’ Oreille est pour Miki une créature vivante et symbolise les dialogues de sourds entre les humains. « Les oreilles situées dans l’espace deviennent des sortes de choses vivantes au-delà de ma portée. Privées de leur fonction d’écoute, elles rejettent à jamais le son et me rejettent aussi. » La dernière œuvre de l’artiste, disparu prématurément, sera une grande oreille ailée, tel un monument à la libération du moi, face à la mort et à la destruction.

Marielle Tabart

Source :
Extrait du catalogue Collection art contemporain - La collection du Centre Pompidou, Musée national d'art moderne , sous la direction de Sophie Duplaix, Paris, Centre Pompidou, 2007