Sans titre

Avec Laurence Weiner, Joseph Kosuth et Douglas Hueber, Robert Barry appartient à la première génération américaine de l’art conceptuel. Il propose à la fin des années 1960 quelques-unes des œuvres « dématérialisées » les plus radicales (lâchers de gaz, fermeture d’une galerie pendant la durée de l’exposition ou énoncés du genre : « Toutes les choses que je sais mais auxquelles je ne pense pas en ce moment, 13 h 36, 15 juin 1969 »). À partir de 1970, il effectue une sorte de retour progressif au visible à travers l’utilisation du langage. À la fin de la décennie, son art, qui tient tout à la fois de la poésie visuelle et de la réflexion philosophique, se caractérise principalement par la dispersion réglée, à la surface d’un tableau ou d’un mur, de différents vocables écrits ou projetés, qu’accompagne parfois telle forme géométrique élémentaire – voire, ultérieurement, une représentation archétypale.

Ainsi, dans cette peinture sur papier de 1988, des mots peints en or – certains entiers (not quite, over here, sorry, lost), d’autres fragmentés par les limites du papier – sont placés, suivant différentes orientations, dans un espace ouvert, vacant, dont la couleur rose contribue à faire une surface de contemplation ou de mémoire ; ces vocables, qui sont souvent des locutions familières, ne forment pas une phrase qu’il faudrait reconstituer, mais fonctionnent comme des signifiants flottants, aux interactions multiples, qui ouvrent au spectateur diverses perspectives de lecture, quand ils ne s’offrent pas tout simplement à sa pure rêverie. Robert Barry tente en quelque sorte de réconcilier le credo langagier de l’art conceptuel et une esthétique aux ressorts authentiquement sensoriels.

Michel Gauthier

Source :
Extrait du catalogue Collection art graphique - La collection du Centre Pompidou, Musée national d'art moderne , sous la direction de Agnès de la Beaumelle, Paris, Centre Pompidou, 2008