Etude de lumière, boulevard Saint-Michel
1913
Etude de lumière, boulevard Saint-Michel
1913
Domaine | Dessin |
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Technique | Crayon de couleur sur papier ligné |
Dimensions | 17,2 x 21,8 cm |
Acquisition | Donation de Sonia Delaunay et Charles Delaunay, 1964 |
N° d'inventaire | AM 2592 D |
Informations détaillées
Artiste |
Sonia Delaunay (Sarah Sophie Stern Terk, dite)
(1885, Empire Russe - 1979, France) |
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Titre principal | Etude de lumière, boulevard Saint-Michel |
Date de création | 1913 |
Domaine | Dessin |
Technique | Crayon de couleur sur papier ligné |
Dimensions | 17,2 x 21,8 cm |
Inscriptions | Signé et daté en bas à droite au crayon : Sonia Delaunay 13. |
Acquisition | Donation de Sonia Delaunay et Charles Delaunay, 1964 |
Secteur de collection | Cabinet d'art graphique |
N° d'inventaire | AM 2592 D |
Analyse
Le fonds extrêmement important des dessins de Sonia Delaunay réalisés entre 1905 et 1962 que possède le Musée montre l’évolution de l’artiste d’origine russe, fixée en 1905 à Paris, où elle épouse Robert Delaunay en 1910. L’ensemble des crayons, aquarelles, collages et reliures de 1912 à 1914 n’est pas seulement significatif de sa place dans le courant de l’art abstrait et, plus spécifiquement, dans la création de l’art simultané aux côtés de Robert Delaunay ; il traduit aussi la richesse et la variété de ses médiums et de ses sources d’inspiration, qui brisent la distinction entre l’art et le décoratif et visent à la synthèse des arts. L’année 1912 coïncide avec le passage des deux artistes concurrents des futuristes italiens du cubisme analytique à l’orphisme, baptisé ainsi par Apollinaire par référence au mythe solaire d’Orphée. L’orphisme est un « langage lumineux » fondé sur la forme-couleur et les contrastes simultanés, qui sont à la base d’œuvres conçues comme des « organismes vivants », selon les termes de Robert Delaunay (Du cubisme à l’art abstrait, 1957). La série des études de lumière électrique et de foule de Sonia, qui préludent au panneau peint monumental des Contrastes simultanés de 1914 (MNAM), enchaîne les variations à main levée sur des motifs pulvérisés par la vitesse et la lumière électrique, laquelle venait d’être installée à Paris. Les détails sont effacés, les contrastes colorés sont renforcés, ne restent sur le papier que des graffitis qui ont la puissance visuelle de flashs. La synthèse entre dynamisme corporel et vibration lumineuse est accomplie : l’art inobjectif, en tant que « mouvement vital du monde », est né.
Peintres et poètes partagent cette synesthésie, fondée sur la synergie entre couleurs, poèmes, musiques et sons. Fin 1912, Apollinaire présente les Delaunay à Blaise Cendrars, qui vient de publier son recueil de poèmes Les Pâques à New York dans sa maison d’édition, Les Hommes nouveaux. Le 1er janvier 1913, Sonia Delaunay réalise la reliure de l’ouvrage – selon son témoignage, sous les yeux même de Cendrars – en collant des petits triangles de papiers multicolores sur la couverture et en redoublant les gardes d’un patchwork abstrait, proche de la Couverture de berceau en tissu cousue en 1911 pour son fils Charles (MNAM). Il s’agit de son premier travail de reliure sur les vingt-trois connues (MNAM et BNF) illustrant des recueils de poèmes d’Apollinaire, Cendrars, Minsky (Chansons d’amour, 1913, MNAM), Rimbaud, Tzara (De nos oiseaux, 1923, MNAM), Iliazd (Lidantiou Faram, 1923, MNAM), Crevel, Laforgue, Canudo, et trois numéros de Der Sturm, la revue d’avant-garde du galeriste et éditeur berlinois Herwarth Walden. La radicalité abstraite de la réalisation, techniquement dans la filiation des papiers collés cubistes, mais strictement décorative, justifie la présence de ces délicates mosaïques de papiers, montées sur des cartonnages, avec les quatorze peintures et les objets orphiques réunis pour sa première exposition, tenue au Salon d’automne allemand (Erster Deutscher Herbtsalon) à la galerie Der Sturm (20 septembre 1er décembre 1913).
Cette manifestation abrite également le livre de Sonia Delaunay et de Blaise Cendrars qui deviendra le plus célèbre : La Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France. Il s’agit de leur deuxième collaboration et du « premier livre simultané », emblématique d’une recherche commune de correspondance entre les mots et les couleurs. L’ouvrage adopte une forme originale qui permet un déchiffrement global continu : celle d’un long dépliant en accordéon, à la verticale, partagé en deux colonnes déroulant en vis-à-vis une frise abstraite de rythmes colorés, exécutée à l’aquarelle sur la maquette originale, et le texte imprimé en couleur, également rehaussé d’aquarelle sur toute sa longueur. Le poème, sans ponctuation, dans la tradition mallarméenne, égrène le récit autobiographique du voyage en Russie d’un jeune poète et d’une prostituée à bord du légendaire Transsibérien, dont l’itinéraire est reproduit en tête du texte. Le long ruban de cercles simultanés chatoyant de couleurs renvoie, de façon synchronique, au rythme syncopé du poème, en cadence avec celui du voyage et avec les roulis du train. (« Les contrastes simultanés des couleurs et le texte forment des profondeurs et des mouvements qui sont l’inspiration nouvelle », Blaise Cendrars et Sonia Delaunay, lettre à André Salmon, Gil Blas, 12 octobre 1913, Paris, BNF). Une tour Eiffel rouge, symbole du Paris moderne et blason commun aux deux Delaunay, conclut le serpentin et la fin du poème : « Paris/Ville de la Tour Unique du grand Gibet et de la Roue ». Le Musée possède aussi un des prospectus imaginés par Sonia Delaunay en septembre 1913 pour annoncer la parution du livre deux mois plus tard, un des nombreux projets d’affiche présentant le livre comme un « Texte Peinture Simultané ». Ceux-ci ne furent pas édités, mais celui du Musée fut présenté galerie Der Sturm en 1913, ainsi que la peinture à l’huile sur toile (MNAM) identique (maquette ou réplique ?) à l’aquarelle.
Reliures, projets d’affiches, illustrations de livres, décors et costumes de théâtre, de danse et de cinéma, tissus, vêtements, accessoires, objets : l’Atelier simultané de Sonia Delaunay cherche à intégrer l’art à tous les domaines de la vie moderne. Grâce aux cubistes, Apollinaire est le premier à considérer le « rôle artistique très important » de « l’inscription, l’enseigne, la publicité » (G. Apollinaire, « La peinture moderne », conférence donnée à la galerie Der Sturm, Berlin, 18 janvier 1913). Les peintures orphistes des Delaunay incorporent parfois des panneaux publicitaires, qui permettent de lire autant que de voir leurs images. Sans répondre à aucune commande, en toute liberté, Sonia Delaunay réalise plusieurs projets d’affiches publicitaires, en 1913 pour Michelin (Paris, BNF), puis en 1914 pour les montres suisses Zénith, l’apéritif Dubonnet et les chocolats Bensdorp. Le 30 août 1913, Cendrars lui adresse une copie d’un manuscrit au thème orphique, Zénith (Berne, Bibliothèque nationale suisse), dont elle retient quelques vers qu’elle intégre dans une vingtaine de dessins, peintures ou collages : « Record ! Midi bat son enclume solaire les rayons de la lumière-Zénith. » Dans les deux collages du Musée, la technique d’exécution est similaire, avec des lettres d’épaisseur et de taille variables, grossièrement découpées dans la couleur et contrecollées sur des fonds de papiers déchirés centrés sur le motif emblématique de la cible, dans un rapport positif/négatif qui intensifie les contrastes colorés. Mais avec sa typographie clignotante, qui passe en accéléré dans le cadre, la maquette de Zénith répond mieux à l’ambition simultanéiste, alors que la linéarité du gros titre de Dubonnet (sujet d’une série d’affiches de Robert Delaunay dans les années 1930) apparaît, malgré son efficacité percutante, plus classique.
Brigitte Leal
Source :
Extrait du catalogue Collection art graphique - La collection du Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, sous la direction de Agnès de la Beaumelle, Paris, Centre Pompidou, 2008