Jeune femme au chapeau rouge
[1921]
Jeune femme au chapeau rouge
[1921]
Domaine | Dessin |
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Technique | Pastel sur papier |
Dimensions | 64,2 x 50 cm |
Acquisition | Dation, 2002 |
N° d'inventaire | AM 2002-130 |
Informations détaillées
Artiste |
Pablo Picasso
(1881, Espagne - 1973, France) |
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Titre principal | Jeune femme au chapeau rouge |
Date de création | [1921] |
Domaine | Dessin |
Technique | Pastel sur papier |
Dimensions | 64,2 x 50 cm |
Inscriptions | Signé à l'encre en bas à droite : Picasso. Non daté |
Acquisition | Dation, 2002 |
Secteur de collection | Cabinet d'art graphique |
N° d'inventaire | AM 2002-130 |
Analyse
La collection du musée comporte un ensemble représentatif des natures mortes créées par Picasso dans les années 1920, avec trois peintures, Nature morte à la guitare (1921, AM 4321 P), Nature morte (1922, AM 3166 P), Verre et pomme (1924, AM 4494 P), et une grande œuvre sur papier, La Cheminée. Exposée à Bruxelles (« Trente ans de peinture française », 1930), puis à Londres (« Thirty Years of Picasso », 1931), reproduite en 1932 par Carl Einstein dans Die Kunst des XX. Jahrhunderts (Berlin, Der Propyläen Verlag, 1932), elle avait été jugée suffisamment importante par Picasso (lequel présidait au choix) pour figurer à sa première rétrospective à Paris en 1932, qui réunissait 236 numéros aux galeries Georges Petit, dirigées par les frères Bernheim et Étienne Bignou. La notice du catalogue attribuait au dessin la date de 1921, également portée sur le châssis d’origine : dans ce cas, l’œuvre aurait été réalisée lors du séjour de Picasso à Fontainebleau, en juillet ou en août 1921, avec sa femme Olga et leur fils Paulo. Mais Zervos, en 1951, l’inscrit de façon convaincante, en l’intitulant Guitare et compotier (Zervos IV, nº 209), dans une série de six pastels ou aquarelles similaires (Zervos IV, nº 210-214) datés novembre-décembre 1920.
Quelle qu’en soit la date précise, La Cheminée marque le passage de Picasso du cubisme au classicisme, à travers la réalisation concomitante de trois chefs-d’œuvre emblématiques de 1921 : les deux versions cubistes des Trois musiciens (New York, MOMA, et Philadelphie, Museum of Art) et le tableau classique des Trois femmes à la fontaine (New York, MOMA). Travaillant par cycles de séries et de variations sur un même thème, l’artiste commence celui consacré à la cheminée en 1915 – par une peinture, Guitare et clarinette sur une cheminée (Zervos II, nº 540), suivie d’une autre toile, La Cheminée (1916, The Saint Louis Art Museum). Elles sont prolongées par des séries de dessins qui croisent deux motifs symboliques du cubisme – la guitare et le compotier –, avec des jeux de perspectives dédoublées et emboîtées du « cube » de la cheminée et du miroir qui la surmonte. Ces sortes de boîtes optiques se retrouvent dans la suite des natures mortes de 1919-1921, qui reprennent les principes du cubisme synthétique, alors que figures et portraits sont redevenus figuratifs. Dans La Cheminée, la composition, dont la géométrie est tempérée par les courbes de la guitare-palette centrale, est bâtie sur des aplats de couleurs lisses et contrastées coulissant avec des plans transparents soulignés par des lignes en pointillés, qui ressuscitent les techniques légères des constructions en carton peint, découpé et plié de 1919 (Table et guitare devant une fenêtre ; Compotier et guitare, Paris, musée Picasso). En ce sens, La Cheminée apparaît non seulement comme un précieux témoignage de l’éclectisme stylistique cultivé par Picasso dans l’entre-deux-guerres, dans le prolongement de sa collaboration avec les Ballets russes, mais aussi comme un jalon de la dialectique peinture/sculpture qui nourrit tout son œuvre.
Dans les années 1920, Picasso renoue avec des techniques graphiques caractéristiques du XVIIIe siècle français, comme la sanguine et le pastel, pour traiter de façon figurative des sujets classiques. Ces thèmes sont représentatifs de sa nouvelle période, dite « ingresque », dans laquelle Jean Cocteau discerne le « rappel à l’ordre » général intervenu dans l’après-guerre. Jeune femme au chapeau rouge (Zervos, IV, 353) – seul pastel de cette époque conservé au Musée – appartient à un cycle de têtes en gros plan ou de groupes de nus réalisés à Fontainebleau au cours de l’été 1921, sous l’influence des décors maniéristes du château bellifontain. Ces pastels préparent la peinture Trois femmes à la fontaine (1921, New York, MOMA) – par ailleurs précédée d’une sanguine sur toile (Paris, musée Picasso) –, que l’on rapproche souvent du tableau de Poussin Eliézer et Rebecca (1648, Paris, musée du Louvre), mais aussi des scènes élégiaques de Puvis de Chavannes. Par sa plasticité minérale et sa monumentalité hypertrophiée, redevables au modèle des reliefs du Parthénon Diane et Aphrodite, que Picasso avait vus au British Museum en 1919, ce profil classique rappelle le grand pastel Étude pour la femme de droite des Femmes à la Fontaine (Paris, musée Picasso). Il se rattache surtout à une autre version aboutie de ce thème, Femme accoudée au chapeau, 1921 (Zervos, IV, 352). Cette peinture représentant une femme assise dans un fauteuil, dont la pose ingresque est démentie par une robe moderne et un couvre-chef ridicule, a sans doute été conçue comme un pendant féminin à La Lecture de la lettre réalisée la même année (1921, Paris, musée Picasso), qui figure deux jeunes gens (Picasso et Apollinaire ?) en costumes trois pièces avec cravates et chapeaux mous. Elle a été précédée d’une série de crayons sur papier montrant des scènes de la vie moderne (des femmes massives et chapeautées puisant de l’eau à une fontaine Wallace) qui constituent en quelque sorte des contre-points postimpressionnistes aux compositions classicisantes. Sur le pastel de la Jeune femme au chapeau rouge, le comique du chapeau, légèrement cabossé et bordé d’un énorme nœud de velours, contraste ironiquement avec la gravité classique de la figure, à laquelle il donne une saveur populaire digne des peintures de Renoir – dont Picasso s’inspire précisément en 1921 dans des pastels monumentaux sur toile (La Danse villageoise, Paris, musée Picasso). Mais la suavité des formes excessivement molles et rondes de la tête et du chapeau relève d’une même sensualité trouble.
Le pastel a été publié pour la première fois en 1930 dans la revue Documents (nº 3) de Georges Bataille et Carl Einstein (où il est mentionné comme appartenant à la collection Fukushima), en face d’une autre tête de femme de Picasso (Sans titre, 1929), de style curvilinéaire. Son ambiguïté formelle vient à l’appui du texte consacré à Picasso par Einstein. Grand admirateur du peintre (« Picasso est le signal de tout ce que notre temps possède de liberté », affirme-t-il), l’historien d’art est le premier analyste de son « pluralisme stylistique », qu’il compare à celui de Mallarmé : « L’astucieux Picasso saisit les limites de chaque style ; il entend démontrer qu’il ne dépend d’aucun genre pictural mais qu’il les maîtrise tous. […] Dans les portraits, il s’essaie – animé par un esprit de contradiction – à un réalisme soigné et il a recours à des effets de couleurs très habiles. Il montre qu’il possède entièrement la tradition figurative française : il se révèle même être un admirable peintre classique. […] Picasso peint en même temps des Arlequins, des natures mortes, des figures, à la fois de manière archaïco-classique et cubiste. Il contemple le monde sous toutes ses faces : il se scinde, pleinement confiant dans la grande force de sa personnalité. » (« Picasso », Neue Schweizer Rundschau, 1928, n° 34-35).
Brigitte Leal
Source :
Extrait du catalogue Collection art graphique - La collection du Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, sous la direction de Agnès de la Beaumelle, Paris, Centre Pompidou, 2008
Bibliographie
Zervos (Christian).- Pablo Picasso; 4; oeuvres de 1920 à 1922. Catalogue raisonné.- Paris, Cahiers d''art, 1951 (Cat. n° 353, pl. 41)
DAIX (Pierre). - Dictionnaire Picasso. - Paris : Robert Laffont, 1995 (cit. p. 491) . N° isbn 978-2-221-11627-2
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Léal (Brigitte).- "Pablo Picasso, Jeune femme au chapeau rouge, 1921" in La revue du Louvre, 2002, n° 5, p. 25 (cit. et reprod. coul. p. 25)
Collection Art graphique : [Catalogue de] La collection du Centre Pompidou, Musée national d''art moderne - Centre de création industrielle. - Paris : éd. Centre Pompidou, 2008 (sous la dir. d''Agnès de la Beaumelle) (cit. et reprod. coul. p. 124-125) . N° isbn 978-2-84426-371-1
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