La belle Versaillaise
mai 1955
La belle Versaillaise
mai 1955
L’œuvre littéraire de Pierre Klossowski, développée au contact d’André Gide et de Rainer Maria Rilke, est indissociable de son œuvre plastique. Cette dernière, apparue au début des années 1950, est restée longtemps confidentielle, contrairement à celle de son frère Balthus. Chez Klossowski, le travail graphique précède souvent l’écriture, permettant à l’artiste de donner corps à ses visions. Anachronique par la technique, référant aux poncifs de l’histoire de l’art, le dessin détourne les stéréotypes de la figuration académique. Roberte, héroïne littéraire de l’auteur, joue ici le rôle de la Belle Versaillaise - rôle décrit par Octave, personnage du récit La Révocation de l’Édit de Nantes.
Domaine | Dessin |
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Technique | Mine graphite sur papier collé sur contreplaqué |
Dimensions | 194,5 x 146,5 cm |
Acquisition | Achat, 2004 |
N° d'inventaire | AM 2004-20 |
Informations détaillées
Artiste |
Pierre Klossowski
(1905, France - 2001, France) |
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Titre principal | La belle Versaillaise |
Date de création | mai 1955 |
Domaine | Dessin |
Description | Dessin sur 2 feuilles de papier montées ensemble |
Technique | Mine graphite sur papier collé sur contreplaqué |
Dimensions | 194,5 x 146,5 cm |
Inscriptions | Signé et daté en bas à droite : Pierre Klossowski Mai 1955 |
Acquisition | Achat, 2004 |
Secteur de collection | Cabinet d'art graphique |
N° d'inventaire | AM 2004-20 |
Analyse
Chez l’érudit formé très jeune à l’art et à la littérature par Gide et Rilke, traducteur et exégète des grands textes de l’Antiquité et des Pères de l’Église, des écrits de Sade, de Kierkegaard et de Nietzsche, le travail du dessin est venu tardivement – pour illustrer, au début des années 1950, puis remplacer, à partir des années 1970, l’écriture de fiction : la trilogie des Lois de l’hospitalité (Roberte, ce soir, 1953, La Révocation de l’Édit de Nantes, 1959, Le Souffleur, 1960), et Le Baphomet, 1965. Si sa pensée, proche de celle de Bataille, marque dès les années 1964-1965 les intellectuels de son temps – Blanchot, Deleuze, Foucault –, son œuvre graphique, qui déroule les aventures érotiques de son héroïne Roberte – son « signe unique » –, reste inclassable, intrigante et relativement confidentielle, au contraire de l’œuvre de son frère, le peintre Balthus. Et pourtant, dessiner sur le papier répond, chez Klossowski, à la nécessité impérative de donner corps à ses visions, qui précèdent l’écriture. Et l’image, thème central de son essai Le Bain de Diane (1956), est pour l’écrivain un objet perpétuel de fascination et de méditation.
Son dessin est tout à la fois anachronique (exécuté à la seule mine de plomb, puis, à partir des années 1970, aux crayons de couleur, il fait appel aux poncifs de l’histoire de l’art : peinture pompéienne, enluminure médiévale, distorsion du maniérisme, rhétorique et théâtralité de l’art baroque), et profondément contemporain : en jouant ironiquement sur une vision disproportionnée, en détournant avec humour les stéréotypes les plus convenus de la figuration académique, qu’il parodie et dérègle en y mêlant la candeur de l’imagerie enfantine ou la vulgarité kitsch de l’affiche populaire, Klossowski soulève la question très actuelle de l’énigme et de la « trahison » de l’image : est-elle reflet ou leurre ? Des glissements incessants, en multiples jeux de miroir, sont opérés par lui entre le réel et le fictif, l’intime et le mythe, le profane et le sacré. Traquant jusqu’au bout son ambiguïté ontologique, le dessinateur-voyeur-ordonnateur de ces grands « tableaux vivants » – qu’à la fin il déroule en cycles continus – en vient à éprouver sa vision, en 1977-1979, par la photographie et le cinéma (dans les films Roberte, réalisé par Pierre Zucca, La Vocation suspendue et L’Hypothèse du tableau volé, réalisés par Raoul Ruiz), et, finalement, à l’incarner, mais de la manière la plus fantomale, par la sculpture en cire colorée.
Roberte revêt ici le rôle de la Belle Versaillaise, figure d’un tableau dont Klossowski livre la description par la voix d’Octave dans La Révocation de l’Édit de Nantes ; vingt ans plus tard, le scénario est le même : la voici saisie, dans La Descente au sous-sol, 1978, par deux individus qui l’enchaînent à des barres parallèles. La geste dessinée de ses aventures est l’actualisation théâtralisée des fantasmes personnels (et universels) du dessinateur, qui se fait le voyeur de ces figures diaphanes, simulacres de vérités insaisissables. Corps arrêtés dans leurs mouvements, interceptés ou en suspens, regards fuyants : tentatives vaines de captation de l’essence des êtres, dévoilements de l’ambivalence irréductible de la nature humaine. Le dessinateur adroit et retors n’est pas distinct du penseur et du théologien en quête de révélation : la subversion profonde de son œuvre – ce « mélange d’austérité érotique et de débauche théologique » (Blanchot) – ne peut être comprise que globalement.
Agnès de la Beaumelle
Source :
Extrait du catalogue Collection art graphique - La collection du Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, sous la direction de Agnès de la Beaumelle, Paris, Centre Pompidou, 2008