Etude pour Composition X

Les quelque huit cent quatre-vingt-sept dessins, peintures, sculptures, vitraux, mosaïques, projets architecturaux et typographiques, ainsi que les manuscrits, les tracts et les poèmes, qu’enregistre le catalogue raisonné de l’œuvre de Theo van Doesburg, permettent de mesurer l’ampleur de la création pluridisciplinaire de l’un des pères de l’abstraction géométrique. Son œuvre dessiné commence modestement en 1899 avec des aquarelles de paysages hollandais dans la tradition de Barbizon et de paysans directement dérivés des figures pathétiques de Millet. En 1917, Van Doesburg s’engouffre dans la voie, ouverte par Mondrian, d’une peinture non-objective, sans référence à la réalité visuelle. Il crée alors le mouvement néoplasticiste De Stijl, épaulé par la revue éponyme qu’il dirige jusqu’à sa disparition en 1931. Sa mutation stylistique advient par la discipline du dessin : elle apparaît dans un carnet de croquis de 1917 (E. Hoek, nº 524), riche de vingt-cinq études méthodiques qui témoignent du passage de la figuration à une réduction minimale de la forme au signe, en partant du modèle du nu académique pour aboutir à un schéma géométrique articulé en plans emboîtés d’obédience cubiste. Les séries de vitraux cloisonnés de 1917-1918 réaffirment sa conversion définitive à une abstraction plane et totalisante, inscrite dans une dimension spatiale ou un cadre architectural dont le caractère ornemental vise à l’utopie d’une esthétisation globale du monde.

Préparées par des plans de masse gouachés ou par des diagrammes tracés au carbone sur papier millimétré, les peintures sont, dans l’esprit des verrières lumineuses, ordonnées en aplats colorés cernés de noir, qui différent des grilles orthogonales modulaires, ponctuées de plans de couleurs primaires, de l’orthodoxie néoplasticiste de Mondrian. Étude pour Composition X, qui se présente comme une mise au carreau (chaque pièce du damier est soigneusement numérotée) sur un papier calque translucide, est une maquette à échelle identique pour la peinture Composition X (1918, MNAM), état final de plusieurs étapes : la version initiale de 1917, Lena in Room (nº 515), un portrait de la femme de l’artiste, Lena Milius, est reprise dans une série de gouaches colorées (nos 580, 581) et une petite peinture (nº 586), traitée dans un camaïeu de gris-bleu, qui sert de canevas à l’étude du Musée, dernier état avant le report sur toile. La figure y est définitivement escamotée en faveur d’une trame de plans carrés ou rectangulaires cernés d’arêtes ouvertes qui évoquent les fameux « passages » cézanniens. Paradoxalement, l’ébauche l’emporte sur la peinture achevée, froide et funèbre, par sa sensibilité, transmise par la touche fluide qui donne son vibrato à la couleur, et par la transparence du fond qui illumine toute la surface. La disparition du sujet, la réduction de la couleur à une grisaille plombée de noir, accompagnent celles de la forme. La stricte frontalité, cependant rythmée par les plans modulaires, comparables aux notations musicales, créé une composition en tension, symbolique du tragique moderne, de la mort de l’art.

Brigitte Leal

Source :
Extrait du catalogue Collection art graphique - La collection du Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, sous la direction de Agnès de la Beaumelle, Paris, Centre Pompidou, 2008