Fonds d'archives
Fonds Charles et Marie-Laure de Noailles
1928 - 1938
Fonds Charles et Marie-Laure de Noailles
1928 - 1938
Importance matérielle | 6 boîtes |
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Localisation physique | Bibliothèque Kandinsky - MNAM-CCI - Centre Pompidou, Paris |
Présentation du fonds
Le fonds d'archives Charles et Marie-Laure de Noailles se divise en trois séries, chacune portant sur un film.
La première concerne "Les Mystères du château de Dé", réalisé par Man Ray en 1929 et tourné à la villa Noailles à Hyères. Elle réunit la correspondance échangée entre le couple Noailles, Man Ray et divers collaborateurs du film.
La deuxième série porte sur le film "Un chien Andalou", réalisé par Luis Buñuel et Salvador Dali en 1929, elle est constituée d'un unique dossier de correspondance.
La troisième série, la plus conséquente, est consacrée au film "L'Âge d'Or", réalisé par Luis Buñuel (co-écrit avec Salvador Dali). Cette dernière rassemble :
- La correspondance échangée entre Luis Buñuel et le couple Noailles (1929-1939).
- Le scénario et le découpage du film annotés par Buñuel.
- Des documents administratifs relatifs au tournage du film.
- Des documents à propos de la présentation en avant-première du film au Cinéma du Panthéon en octobre 1930 à Paris.
- Des coupures de presse retraçant la présentation publique du film au Studio 28 et le scandale qu'il a provoqué.
- Des photographies de plateau
Artistes/personnalités
Biographie
Marie-Laure Bischoffsheim (1902-1970), devenue vicomtesse de Noailles par son mariage, est issue d'une famille de riches banquiers juifs allemands établis en Belgique, dont elle est l'unique héritière. Elle épouse à Grasse en 1923, Arthur-Anne-Marie-Charles (1891-1981), vicomte de Noailles.
Ce couple de riches mécènes et collectionneurs a fortement marqué leur époque, aussi bien par leurs personnalités singulières que par l'impulsion qu'ils ont su donner à de nombreux artistes. C'est dans leur villa construite à Hyères par Robert Mallet-Stevens que se réuniront les grandes figures de l'avant-garde : Picasso, Miro, Braque, Salvador Dali, Jean Cocteau, Luis Buñuel, Man Ray, Alberto Giacometti André Breton Francis Poulenc et de nombreuses autres personnalités.
Très proches du cercle Surréaliste, Charles et Marie-Laure de Noailles financent plusieurs projets cinématographiques tels que "Les Mystères du château de Dé" de Man Ray (tourné à la villa Noailles en 1928) ou encore "Le Sang d'un poète de Jean Cocteau", (1929).
C'est donc tout naturellement, lorsque le couple découvre le premier film de Luis Buñuel et Salvador Dali, "Un chien andalou", qu'ils proposent aux deux artistes de produire un nouveau long métrage dont le scénario serait coécrit par Dalí et Buñuel, et réalisé par ce dernier. Les titres initialement envisagés furent : "Abajo la constitucion !" et "La Bête andalouse".
Cependant le projet initial n'aboutit pas en raison de forts désaccords entre les deux artistes. Finalement, Luis Buñuel réalise seul la version définitive du film qui s'intitule "L'Âge d'Or". Tourné de mars à mai 1930, le film est d'abord présenté chez les Noailles, dans leur hôtel particulier devant un cercle d'amis proches. Il est ensuite projeté en avant-première le 22 octobre 1930, au cinéma Panthéon Rive Gauche devant une liste d'invités triés sur le volet. Ce dernier ne suscite pas grand enthousiasme mais la projection se passe sans encombre.
C'est lorsqu'il sort au grand public au "Studio 28" que le film provoque la colère des militants d'extrême-droite et de mouvements antisémites qui saccagent le cinéma durant la représentation, détruisant l'écran et les oeuvres de Dalí, Ernst, Miró, Tanguy et de Man Ray qui se trouvaient accrochées à l'intérieur du théâtre. Le scandale éclate, et des journaux de droite comme Le Figaro et L'Écho de Paris, ainsi que des conseillers municipaux, protestent et demandent son interdiction. Ils dénoncent un "empoisonnement de la société et de la jeunesse française".
Dans ce contexte de controverses, le 10 décembre 1930, Le Figaro publie un article accablant : "...Un film obscène, injurieux pour tout ce qui est dignité humaine, y est projeté sous le titre : L'Âge d'Or. Il contient une série de blasphèmes et offre des visions dégradantes qui rappellent les plus horribles évocations de Là-Bas ; son maintien équivaudrait de la part des pouvoirs publics à une véritable complicité dans l'oeuvre de bolchévisme intellectuel dont un tel scénario marque en plein Paris, une étape particulièrement ignoble. Les manifestations et les protestations que L'Âge d'Or à déjà suscitées ne furent pas seulement légitimes. Elles apparaissent comme l'instinctive défense des honnêtes gens contre une entreprise où je n'hésite pas pour ma part à discerner l'influence satanique...".
Face à l'ampleur de l'affaire, le préfet de police Jean Chiappe saisit la Commission de censure qui finit par interdir définitivement la diffusion du film. Le 12 décembre 1930, il est saisi par la police.
L'évènement suscite de violentes polémiques entre les politiques et les intellectuels. Les surréalistes réagissent fortement en produisant de nombreux tracts qui dénoncent une politique pro-nazie. Une pétition est organisée sous la forme d'un questionnaire : " Que pensez-vous de l'intervention par la police sur le film L'Âge d'Or ? Depuis quand n'a-t-on pas le droit, en France, de mettre gravement en question la religion, ses fondements, les moeurs de ses représentants, etc. ? Depuis quand la police est-elle au service de l'antisémitisme ? ".
Buñuel, qui se trouvait aux Etats-Unis, invité par la Metro-Goldwyn-Mayer quelques mois auparavant, échappe aux retombées du scandale. Au contraire, les Noailles reçoivent les plus sévères critiques, comme le montre l'article paru au journal Le Crapouillot le 1er février 1931 : " ... On se souvient qu'un film surréaliste de Buñuel intitulé L'Âge d'Or, fut chahuté par les jeunesses bien pensantes, puis interdit par le préfet de police... C'est le commanditaire, le vicomte Charles de Noailles qui ne veut plus rien savoir et préfère perdre son argent ; L'Âge d'Or présentait des images mouvantes assez peu édifiantes, le Vatican s'est ému ; la menace d'excommunication a littéralement affolé la famille du vicomte, qui a dû donner sa démission de plusieurs grands clubs et redoute d'être déshérité !".
Malgré le scandale produit par le film, le négatif original est conservé par les Noailles, et en 1937, une copie tronquée est mise en circulation sous le titre : "Dans les eaux glacées du calcul égoïste".
Le film reste censuré jusqu'en 1949, au moment où il réapparait parmi une sélection présentée par la Cinémathèque française de cent chefs-d'oeuvre du cinéma. Cependant, son interdiction n'est levée de manière officielle qu'en 1981 quand le négatif original et les archives de L'Age d'Or sont proposés en dation à l'Etat français par ses ayants droit.
C'est ainsi qu'en 1989 le négatif original du film, considéré comme l'un des sommets du surréalisme et le plus grand scandale du cinéma après 51 années de censure, rejoint les collections du MNAM ainsi que les archives l'accompagnant, ces derniers sont à présent conservés la Bibliothèque Kandinsky.