Festival / Soirée
Stand Up ! La nouvelle comédie américaine
15 avril - 21 juin 2015
L'événement est terminé
Depuis les années 90, une génération de cinéastes, comédiens, scénaristes, producteurs américains, formés par le stand-up via la scène et la télévision, dont Judd Apatow serait l'histrion principal, revisite la comédie sous l’influence de cet art si singulier. En complément de la programmation live dans l’Espace 315, plus de 50 séances en salles donnent à voir cette face contemporaine du rire, avec des classiques du genre, comme 40 ans, toujours puceau, de Judd Apatow (2005) et Supergrave, de Greg Mottola (2007), des découvertes, comme Hot Rod, d'Akiva Schaffer (2007), Napoleon Dynamite, de Jared Hess (2004), et des inédits, dont Pootie Tang, de Louis C.K (2001), avec Chris Rock et Tiny Furniture, de Lena Dunham (2010) , et des rencontres.
Le temps de la comédie
Saturday Night Live a fêté ses quarante ans à la fin du mois de février 2015. En grande pompe et dans la joie. Avec quelques mois d’avance, aussi. L’émission de la chaîne NBC n’a en effet été diffusée pour la première fois qu’en octobre 1975. Depuis cette date, l’immense majorité des talents comiques des Etats-Unis est passée par là. De Bill Murray à Kristen Wiig. De Will Ferrell à Steve Carell. D’Adam Sandler à Tina Fey. Même ceux qui n’ont pas été formés à la rude école de Lorne Michaels, créateur et patron de SNL, ont tout appris auprès de lui. C’est notamment le cas de Judd Apatow, qui avoue avoir regardé plusieurs fois chacune des 735 émissions.
Il existe au sein de la comédie américaine une circulation entre télévision et cinéma dont il ne se trouverait guère d’exemple dans d’autres pays. Si le rire est devenu une culture, s’il est peut-être même aujourd’hui une façon d’être, c’est en partie à Saturday Night Live qu’on le doit. Et si l'émission a acquis cette importance, c’est qu’elle a su prolonger une inspiration née sur scène, dans l’exercice foncièrement américain du stand-up.
Tenir le micro pendant quelques minutes ; tirer matière à gags de sa vie ; s’efforcer d’en renverser les avanies en feux d’artifices ; recevoir les hourras de la salle comme une gloire ou sa réprobation comme une honte. La coutume ne date pas d’hier. Et chaque samedi soir, SNL démarre de la sorte, par ce qu’une autre coutume appelle le monologue.
Les comiques nés ou passés au cinéma aiment à redescendre de temps en temps dans les profondeurs d’une cave new-yorkaise ou à suivre les couloirs d’une salle d’improvisation à Los Angeles. Ils ont besoin de ressentir la peur et l’adrénaline propres au stand-up. Ils savent que tout vient de là et que tout doit y retourner. Jim Carrey ou Paul Rudd, Jason Segel ou Jonah Hill ont animé au moins une fois le show de Michaels. Fût-ce pour un soir, ils ont renoué avec l'énergie qui est à la source du comique, de tous les comiques.
C’est à une autre fête que convie le Centre Pompidou, du 15 avril au 15 juin. Pendant deux mois est proposée une sélection d’une trentaine de films représentatifs de la nouvelle comédie américaine. Le fait que cette programmation coïncide avec le quarantenaire de SNL n’est pas un hasard. L’intérêt que le genre suscite aux Etats-Unis depuis des décennies s’est en effet récemment transporté en France.
Judd Apatow tient un rôle essentiel dans le processus. Cumulant les fonctions de scénariste, auteur et producteur, il a su agréger des talents aussi divers que Lena Dunham et James Franco, Paul Rudd et Jonah Hill, Melissa McCarthy et Steve Carrell. Avant lui, les frères Bobby & Peter Farrelly avaient ouvert la voie, dès Dumb & Dumber (1994), Marie à tout prix (1998) ou Fous d’Irène (2000). Avec eux et avec d’autres, des stars comme Jim Carrey, Bill Murray ou Ben Stiller ont également préparé le terrain.
D’autres éléments sont intervenus. Le nouvel âge d’or des séries télévisées a été riche en réussites comiques. The Office et Parks & Recreation, Eastbound & Down et Louie, pour n’en citer que quelques-uns. L’avènement d’Internet a en outre permis aux fans de voir séries et films sans attendre une distribution française qui, parfois, n’est pas venue.
Un étrange phénomène s’est ainsi produit : la comédie est devenue une contre-bande dont les passeurs se sont échangés avec ferveur les trésors dernièrement découverts en ligne ou en salle. Le genre le plus populaire est devenu un mot de passe : il n’a pas cessé d’être populaire, mais sa popularité a pris un tour moins quantifiable. La chose la mieux partagée du monde a frayé son partage par d’autres canaux.
Une passion est née, progressivement. Un tel phénomène de spécialisation au sein du commun est-il inédit ? Peut-être. Il est certain en tout cas qu’un événement manquait, qui viendrait en saluer l’importance et saurait en rassembler toutes les composantes. D’une part redonner à voir ce que le genre a offert de plus éclatant au cours des deux dernières décennies ; d’autre part donner à découvrir certaines merveilles connues des seuls aficionados.
Grand jour et clandestinité, la programmation de La Nouvelle Comédie Américaine a précisément été établie dans cette double perspective. Des succès jouxtent des films passés inaperçus à leur sortie, des raretés voisinent des « incontournables ». Et trois dates majeures reprennent quelques grandes étapes de l’histoire du rapport entre stand-up et cinéma.
Les spectateurs pourront revoir les classiques que sont Disjoncté (1994) de Ben Stiller, 40 ans, toujours puceau (2007) de Judd Apatow et SuperGrave (SuperBad) (2007) de Greg Mottola. Ils pourront aussi découvrir les beautés moins fameuses des Rois du pâtin (Blades of Glory) (2007) de Josh Gordon, des Grands frères (Role Models) (2008) de David Wain (2008) ou de Mytho-Man (The Invention of Lying) (2010) de Rick Gervais. D’autres films feront quant à eux leur première française au cours de ces deux mois. Non des moindres : les deux longs métrages précocement réalisés par le grand Louis C.K., Tomorrow Night (1998) et Pootie Tang (2001) ; The Foot Fist Way (2006) de Jody Hill, camarade de classe de David Gordon Green et de Danny Mac Bride ainsi que co-créateur d’Eastbound & Down ; Tiny Furniture (2010), miniature réalisée par Lena Dunham avant la célébrité de la série Girls. Ce ne sont que quelques exemples, il y en aurait beaucoup d’autres. Une trentaine de films dont une petite dizaine d’inédits : c’est la fête.
En quoi cette comédie peut-elle être en effet dite nouvelle ? Elle continue la grand histoire du genre, en privilégiant comme celui-ci l’a toujours fait des scénarios d’embourbement sentimental et de maturité contrariée, de destins qu’un sort fait bifurquer, de vilains petits canards qui voudraient qu’on les aime mais ne provoquent que catastrophes sur leur passage... Et à cela elle ajoute deux traits dont la description donnera une idée de son apport.
Le loser maladroit mais touchant n’est plus, il a été remplacé manu militari par le butor qu'obnubile une réussite dont il hurle le triomphe lors même qu’il continue de patauger dans l'échec ou d’habiter chez maman. Will Ferrell, Ben Stiller, Danny McBride, Kristen Wiig ont inventé autant de versions de cette figure à la fois épuisante et irrésistible. La Nouvelle Comédie n’est pas celle du timide mais de l’extraverti. Pas celle de l’humble mais du parvenu. Pas celle de l’aphasique mais du phraseur. L’époque est marquée par un renversement : autrefois ultime recours des faibles, le rire est à présent l’arme des forts ; ou plutôt, il est devenu le marteau dont usent ceux qui, contre l’évidence, s’entêtent à croire les meilleurs pour en faire entrer l’idée dans la tête de leur famille, de leurs amis, de leurs collègues... La comédie devient dès lors, nécessairement, critique des moyens mis en œuvre pour user du rire comme d’un pouvoir. Elle se transforme en comédie de la comédie.
De l’autre côté et comme à l’inverse, le genre s’est rapproché de l’ordinaire. Le mol ennui pavillonnaire, le cauchemar des open spaces, le désert populeux des centres commerciaux n'ont jamais été peints de façon si tranquillement apocalyptique. Judd Apatow est réputé être un chroniqueur hors-pair de cette post-Histoire-là, dont l’adolescence indéfiniment prolongée pourrait n’être qu’un aspect. Jody Hill, Jared Hess ou David Gordon Green sont d’autres experts ès platitude ; peut-être même la déflation est-elle chez eux encore supérieure, c’est-à-dire arrivée à un stade plus terminal. Chez l’un comme chez les autres, un tapis roulant avance à pas de sénateur ; lentement mais sûrement, c’est vers le vide qu’il conduit.
De récents événements l’ont assez rappelé : la politique générale de la comédie loge dans une férocité et une liberté de ton aussi nécessaires que fragiles. Celle de la nouvelle comédie contemporaine trouve quant à elle son lieu entre la scène, le petit et le grand écran, dans les échanges et les débordements versant et renversant l’un dans l’autre. Elle le trouve également dans l’écart cruel — mais si drôle — qui existe entre des vies privées d’horizon et la tendance inverse à se croire toujours sur scène, sous vos applaudissements. Beaucoup de show, qu’un peu de froid suffit à dégonfler.
Est-il un art mieux à même de dire la présence à la fois envahissante et immatérielle des représentations en général et des images en particulier dans nos vies ? C’est par convention qu'on parle de comédie contemporaine. Il n'y a pas d’art plus contemporain que celui-là.
Amélie Galli et Emmanuel Burdeau
Emmanuel Burdeau est critique de cinéma, membre de la rédaction de Mediapart et collaborateur du Magazine Littéraire et d’Art press, Emmanuel Burdeau dirige également une collection d'essais aux Prairies Ordinaires. C’est là qu’il publie, le 15 mai 2015, l’ouvrage Comédie américaine, année 2000.
Il est le conseiller scientifique et artistique du cycle consacré à La nouvelle comédie américaine, au Centre Pompidou.
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