Exposition / Musée
Riad Sattouf, l'écriture dessinée
14 nov. 2018 - 11 mars 2019
L'événement est terminé
Après les expositions consacrées à Art Spiegelman, Claire Bretécher ou André Franquin, la Bibliothèque publique d’information (Bpi) rend hommage au travail du dessinateur et réalisateur Riad Sattouf, créateur de La Vie secrète des jeunes, de Pascal Brutal, des Cahiers d’Esther et de L’Arabe du futur.
À tout juste 40 ans, Riad Sattouf a déjà derrière lui une œuvre prolifique, tant dans les expressions artistiques que dans le style : du strip de presse au roman graphique, du film de science-fiction à la chronique sociale ou à la websérie. D’une fine observation du réel, qui s’apparente parfois à la sociologie, Riad Sattouf tire des personnages, des histoires et des dialogues qui construisent un discours sur la société, ses structures et ses tensions. L’analyse des couleurs, du trait et des techniques permet un éclairage indispensable des univers foisonnants de l’auteur. L’exposition dévoile également ses sources d’inspiration et son grand intérêt pour certains maîtres du dessin ou du cinéma.
Au travers de nombreux documents originaux et inédits, découvrez l’univers graphique de Riad Sattouf, son regard acéré et tendre sur l’adolescence, la richesse de ses références, son art du récit et la dimension souvent autobiographique de ses travaux!
Quand
Les lundis, mercredis, jeudis et vendredis de 12h à 22h
Les samedis et dimanches de 11h à 22h
Où
Entretien avec l'artiste
Que signifie pour vous le fait d’être ainsi exposé à la Bibliothèque publique d’information (Bpi) ?
Riad Sattouf - J’en suis très honoré et impressionné bien sûr. J’ai toujours refusé les propositions d’expositions ou de galeries, car je n’ai jamais été très à l’aise avec l’idée de considérer mon travail comme « exposable ». Pour moi surtout comptait le livre ! Mais j’adore le cadre de la Bpi. C’est une grande joie que d’être exposé entouré de tous ces livres, dans un lieu où les gens viennent étudier, lire, se concentrer...
Comment a évolué votre travail entre les premières planches publiées à la fin des années 1990 et le tome 4 à paraître de L’Arabe du futur ?
RS - C’est difficile pour moi de le définir, mais je dirais que je suis devenu de plus en plus indépendant, et que je me sens de plus en plus libre avec les années qui passent. C’est aussi parce que j’ai des lecteurs, aujourd’hui ! Ce qui n’a pas été le cas pendant fort longtemps...
L’écriture dessinée : qu’est-ce que cela signifie pour vous ?
RS - Ces termes, c’est Émile Bravo, mon maître, qui les a utilisés, la première fois où je l’ai rencontré, il y a plus de vingt ans. Émile considère la bande dessinée comme une écriture, une langue. Cette façon de faire m’a complètement débloqué, comme libéré. Ainsi, suivant son exemple, je me suis mis à « écrire en dessinant » mes albums directement avec des mots et des dessins. Je ne passe pas par la case texte. Je fais des story-boards très précis, que vous pourrez voir dans l’exposition, et j’ai même écrit plusieurs scènes de mes films sur le mode de l’écriture dessinée.
Source :
in Code Couleur n°32, septembre-décembre 2018, pp. 50
Programme
Organisée en trois parties, l’exposition, présentée au cœur de la Bibliothèque, montre toutes les facettes et les évolutions d’un travail graphique et narratif complexe. Il s’agit tout d’abord d’un récit des autres, celui de la chronique sociale et kaléidoscopique, au rythme de la fragmentation et du feuilleton. Mais il s’agit aussi de construire un récit personnel, autobiographique et linéaire. Ce récit de la maturité prend alors valeur universelle pour dire la construction de soi et la naissance du jeune adulte. Cette construction accompagne des choix visuels, une maturation technique, des options méthodologiques qui traversent une œuvre diverse et foisonnante.
Le parcours propose ainsi d’interroger la nature et les pouvoirs de la bande dessinée, le lien qu’elle entretient avec l’écriture, l’articulation entre l’univers graphique et la tension du récit littéraire.
Partie 1 : L’observation du réel
Dans ses œuvres de jeunesse (La Vie secrète des jeunes, Retour au collège, Manuel du puceau, No Sex in New York, Les Pauvres Aventures de Jérémie, etc.) mais aussi plus récemment dans Les Cahiers d’Esther, dont il conte les aventures dans le magazine L’Obs, Riad Sattouf tient une chronique de la société, en particulier de sa jeunesse, à la fois tendre et grinçante.
Dans ses différents albums, à des rythmes variés (le plus souvent en feuilletons rassemblés ensuite en albums), ces nombreux travaux révèlent un artiste à l’oeil acéré et au regard mordant. Pas de volonté ici d’inventer une intrigue, de cultiver du suspense ou dessiner des super-héros aux pouvoirs extraordinaires : les albums de Riad Sattouf sont les terrains de jeux d’enfants et d’adolescents, de « jeunes », dont il s’agit de raconter « la vie secrète », nourrie de son attention précise aux faits apparemment anodins du quotidien.
En tenant sur plusieurs décennies le journal de son observation du réel, Riad Sattouf, tel un sociologue, construit la cartographie sociale des heurs et des malheurs de notre quotidien, peuplé de personnages épiques ou tristement banals, traversé par la cruauté, la grossièreté et la plus inattendue des poésies. À traits incisifs, mais toujours bienveillants, Riad Sattouf décrit une jeunesse décapante, fraîche et imprévisible, traversée par les préoccupations de son âge : la sexualité, les relations filles-garçons, la place à conquérir dans la société, l’agilité à assimiler ou contourner les codes sociaux, l’art et la manière de
surmonter les inégalités… Dressant ainsi le portrait d’une jeunesse, dans tous ses états, et de sa relation complexe au monde adulte.
Partie 2 : L’art graphique de Riad Sattouf
La palette graphique de Riad Sattouf est large et sa maîtrise technique indiscutable. C’est par choix et non par contrainte qu’après des premiers travaux en couleur directe (dont en particulier la série fantastique Petit Verglas), il a choisi, pour décrire le réel, un dessin linéaire et une approche minimale de la couleur, qui renvoie à la fois à son premier grand choc de lecteur, Tintin, et aux auteurs de la nouvelle bande dessinée des années 1990 européens et japonais. Riad Sattouf use du dessin comme d’un filtre qui retient l’essentiel d’une scène. Dans cette approche épurée qui vise avant tout à faire rire, tout concourt à la clarté maximum : le trait a partout la même épaisseur, les décors sont traités comme des éléments indiciels, la couleur est posée en aplats unis de couleurs complémentaires.
L’écriture dessinée n’est pas que graphique : Riad Sattouf aime les genres littéraires et les dispositifs narratifs. Au cours de sa carrière, il a entre autres revisité le reportage journalistique (Retour au collège), l’autobiographie (Ma circoncision et bien sûr L’Arabe du futur), les « tranches de vie » (La Vie secrète des jeunes), le récit animalier (Pipit Farlouse), la saga d’action futuriste (Pascal Brutal)… Ces genres codifiés offrent au dessinateur (et au lecteur) le confort d’une trame familière sur laquelle déployer un récit qui balance constamment entre le respect de la forme choisie et son dépassement.
Ses incursions dans la science-fiction, dans l’anticipation ou l’interrogation des normes (de genre, par exemple, avec le film Jacky au royaume des filles), sa volonté de questionner es codes de l’hypervirilité et de la masculinité, avec le personnage de Pascal Brutal, synthèse parodique parfaitement assumée de Terminator, Mad Max, Judge Dredd et quelques autres héros bodybuildés, impose une dimension visionnaire à son travail artistique.
Rebelle et conformiste, triomphant et minable, hétéro et homo, Pascal Brutal est aussi héroïque et ridicule, comme une image anticipée des questionnements actuels sur l’injonction virile et les nouveaux codes de la masculinité. De ses travaux d’étudiants à ses dessins les plus peaufinés, Riad Sattouf peut tout faire, mais élabore peu à peu ce qui fait son style, davantage du côté de l’épure que de la fioriture. Le dessin devient langage.
Partie 3 : L’autobiographie dessinée : L’Arabe du futur
Avec l’entreprise artistique que représente L’Arabe du futur, dans laquelle Riad Sattouf relate les aspérités et les souvenirs de son enfance, entre Orient (ses années passées en Libye, puis en Syrie) et Occident (la Bretagne maternelle), il s’agit de relever les défis, tant littéraires que graphiques, que rencontrent tous les récits autobiographiques d’apprentissage : comment articuler les points de vue de l’enfant et de l’adulte, quelle place donner à l’imaginaire, peut-on tout montrer au risque de blesser ses proches ou de violenter le lecteur ? Les modèles ne manquaient pas, de Daudet ou Truffaut aux autofictions graphiques de Jean-Christophe Menu, Chris Ware ou Mizuki. L’Arabe du futur réussit l’exploit d’en synthétiser, de façon à la fois comique et émouvante, les propositions les plus intéressantes.
Le récit autobiographique d’enfance impose de trouver le moyen d’articuler la perception, parfois naïve et étonnante, qu’a l’enfant des événements avec ce qu’en sait et comprend l’auteur adulte : Riad Sattouf exploite un certain nombre de procédés visuels et littéraires qui permettent de produire des effets parfois pathétiques, souvent comiques, mais aussi presque toujours déstabilisants pour le lecteur. Cet art narratif, exploité par Riad Sattouf de façon assez proche dans son cinéma, a beaucoup à voir avec celui du romancier, sachant simplement que la sérialité des dessins possède aussi sa façon propre de raconter à travers l’ellipse ou la reprise de motifs.
Reste, pour concilier les langues et les cultures, la force du dessin, dont l’enfant découvre très vite les capacités narratives et en partie roboratives. Comme Maus ou Vie de Mizuki, L’Arabe du futur est aussi le récit de la naissance d’une vocation.