Exposition / Musée
Paul Rosenberg, marchand de tableaux spolié pendant l’Occupation
22 mai - 2 sept. 2019
L'événement est terminé
Raphaël Denis déploie dans la salle Focus son installation Coffre n°7 acquise en 2019 par le Centre Pompidou. Cette œuvre, ainsi que les sources de l’histoire de l’art qui président à sa création, interrogent la notion même de « collection » et reviennent sur les années hideuses de la collaboration. S’inscrivant dans le nouvel accrochage des salles-dossiers, c’est aussi un hommage au marchand d’art Paul Rosenberg (1881-1959) et à sa place incontournable dans le paysage des galeries parisiennes pendant la première moitié du 20e siècle.
Quand
11h - 21h, tous les jours sauf mardis
Où
Présentation par le commissaire de l'exposition
Raphaël Denis déploie dans la salle Focus son installation Coffre n°7 acquise en 2019 par le Centre Pompidou. Cette œuvre, ainsi que les sources de l’histoire de l’art qui président à sa création, interrogent la notion même de « collection » et reviennent sur les années hideuses de la collaboration. S’inscrivant dans le nouvel accrochage des salles-dossiers, c’est aussi un hommage au marchand d’art Paul Rosenberg (1881-1959) et à sa place incontournable dans le paysage des galeries parisiennes pendant la première moitié du 20e siècle.
À Libourne, entre le 21 avril et le 6 mai 1941, le contenu d’un coffre de banque est méticuleusement inventorié, sur injonction du Devisenschutzkommando, service allemand chargé du contrôle bancaire, avec le concours du Commissariat général aux questions juives. François-Maurice Roganeau, directeur de l’École des beaux-arts de Bordeaux, inventorie les cent soixante-deux œuvres d’art qui s’y trouvent, provenant de la collection du marchand Paul Rosenberg. En septembre, les scellés sont brisés par l’ERR (Einsatzstab Reichsleiter [Alfred] Rosenberg, l’organisme nazi chargé de la spoliation des biens culturels appartenant à des juifs ou à des francs-maçons) et les cent soixante-deux œuvres retournent à Paris, au Jeu de Paume, centre de tri et de dispersion des œuvres d’art confisquées.
Ce sont ces événements, ces lieux, cette matière et ces acteurs, et donc leurs sources documentaires, qui constituent la substance de l’installation de Raphaël Denis, Coffre n°7, nouvelle séquence de sa série La Loi normale des erreurs. En s’attachant à des collections de circonstance engendrées par l’histoire, Denis tend un miroir à toute collection : pourquoi et comment s’est-elle constituée ? Ce qui « fait collection », est-ce l’intention, le projet initial de rassembler des objets, ou la somme de leurs singularités intrinsèques ? Le travail que Denis accomplit dans ses installations, par et grâce aux recherches qu’il mène dans les archives, interroge le « faire collection » pour en montrer les failles et les revers.
Cette pratique de la recherche, comme fondement et préalable à la mise en œuvre de l’installation, a conduit Denis à établir l’« inventaire Roganeau » comme socle révélateur d’une collection commerciale : le stock d’œuvres du marchand d’art Paul Rosenberg. Le contenu du coffre est alors apparu comme le symptôme le plus signifiant du stock du marchand. On y trouve des œuvres dont la « collection » condense toute l’histoire artistique de sa galerie de la rue La Boétie et que Roganeau structure comme dans un manuel. Les œuvres sont listées par artiste, du plus ancien (Ingres, puis Delacroix, Corot, etc. dont les noms sont suivis de leurs dates de naissance et de mort) aux plus « contemporains » : Matisse, Léger, Braque et Picasso. Chaque œuvre est dimensionnée, sa technique indiquée et son sujet brièvement décrit. Une estimation de sa valeur est établie par Roganeau et une datation est proposée.
La partie la plus spectaculaire de Coffre n°7 est constituée par l’alignement de cent soixante-deux empaquetages ; dans leur contrechamp, un fascicule fait partie de l’œuvre : c’est la description de chacune des pièces du coffre-fort. Chaque fiche a été systématiquement enrichie d’une reproduction photographique de l’œuvre spoliée.
Parallèlement à Coffre n°7, la pratique de la reproduction photographique de l’art constitue l’autre élément structurant de la salle Focus, pour évoquer Paul Rosenberg. La bibliothèque Kandinsky conserve en effet un « rescapé » des spoliations dont le marchand a été victime : une partie du corpus des quatre mille cinq cents plaques de verre photographiques de toutes les œuvres d’art qui ont figuré dans le stock de la galerie. Elles sont ici pour la première fois rassemblées en un épais « bottin » à partir duquel l’histoire de la galerie peut se déployer. Paul Rosenberg, comme la plupart des marchands de sa génération, avait fait photographier toutes ses œuvres.
L’histoire inédite de ces plaques permet d’apporter un éclairage non seulement sur ce dont la galerie du 21, rue La Boétie a été le théâtre pendant l’Occupation, mais aussi sur la stratégie commerciale de Paul Rosenberg, acquéreur d’œuvres (la collection Fayet) au cours des quarante premières années du 20e siècle, ses relations très différenciées avec « ses » artistes et en particulier Picasso, et les différents procédés auxquels auront recours des services allemands et français pour le dépouiller.
Source :
Didier Schulmann, conservateur, bibliothèque Kandinsky, Centre Pompidou, co-commissaire de l’exposition
In Code couleur n°34, mai-aout 2019, p. 30-31