Exposition / Musée
Antonin Artaud, Dessins
Le legs de Paule Thévenin
14 sept. - 31 oct. 1994
L'événement est terminé
Cette exposition est consacrée aux dessins du poète et dramaturge français Antonin Artaud (1896-1948).
Grâce au don de Paule Thévenin (auquel il faut associer celui de Domnine Milliex, sa fille), le Musée national d’art moderne est devenu le lieu unique de conservation de l’œuvre graphique d’Antonin Artaud. Soit vingt-huit dessins, qui viennent s’ajouter aux douze acquis antérieurement grâce à sa précédente intervention en 1980. Ainsi Paule Thévenin conclut-elle magnifiquement la mission qu’elle s’était fixée : garder dans son intégrité, dans sa pureté révolutionnaire, l’œuvre d’Antonin Artaud et la soustraire à toute spéculation marchande ou autre.
Sont aussi présentés des documents, correspondances, livres rares, photographies, ayant appartenu à Paule Thévenin et aujourd’hui conservés à la Bibliothèque Nationale de France – dépositaire, quant à elle, des manuscrits d’Artaud.
Paule Thévenin (décédée en octobre 1993), amie proche d’Antonin Artaud, fut l’éditrice, restée jusqu’à maintenant anonyme, de ses Œuvres complètes aux éditions Gallimard, de cet « insurgé de l’art » qui s’est toujours « désespéré du pur dessin ». Dès 1947, elle a rassemblé papiers et lettres, déchiffré l’écriture ininterrompue des innombrables Cahiers écrits entre 1945 et 1948, retrouvé la trace des dessins éparpillés.
« Maladroitement dessinés pour que l’œil qui les regarde tombe », ces graphes actés, soufflés, sont pour Antonin Artaud le combat nécessaire contre le « subjectile » inerte, la revendication forcenée de faire crier la vérité de l’être inné, de son « êtreté » : « J’ai pointé et buriné toues les colères de ma lutte, en vue d’un certain nombre de totems d’être, et il en reste ces misères, mes dessins ».
Une première série de 7 dessins, qui sont des Autoportraits, des Etudes d’après Bonnard et Picasso exécutés vers 1920-23 ou des projets de costumes de théâtre, atteste de l’intérêt très précoce d’Antonin Artaud pour la peinture et le dessin. Certes, pendant les pleines années d’activité théâtrale et littéraire, n’aura-t-il recours à l’expression graphique qu’occasionnellement : ces premières approches, modestes et qui font preuve encore du respect de ce « pur dessin » dont il devra bientôt « désespérer », sont cependant importantes pour le futur auteur du « Théâtre et son double » et du « Théâtre de la cruauté ». […]
L’essentiel de son œuvre graphique a été réalisé pendant les dernières années de sa vie, dés le début de l’année 1945 dans le dénuement de l’internement de Rodez, puis à son retour à Paris-Ivry en mai 1946. [… Dans les grands dessins écrits de Rodez], le dessin comme l’écriture, trace gestuelle liée à la projection du mot, du souffle, à la sonorité et au rythme, acte corporel nécessaire à la reconstitution de son moi détérioré, devient pictogramme, forme larvée inductrice de forces défensives, agressives, acte d’exorcisme libérant le passage à l’inné. Quant à la série des Portraits, commencés classiquement devant le modèle, ils deviennent, le plus souvent, « ferrés » de signes, nimbés de glossolalies conjuratoires, peuplant ce « champ de mort » qu’est le visage humain. […] Artaud [y] fait crier la vérité de l’être « inné », ses palpitations secrètes et contradictoires, l’au-delà de sa propre existence.
[…] Comme le texte écrit, mais un écrit pleinement oral, avec ses pondérations ondulatoires et ses exaspérations de cris et de glossolalies, le dessin, « écrit » précise Artaud, est une véritable expression […]. « Il y a dans mes dessins une espèce de morale musique que j’ai faite en vivant mes traits non avec la main seulement, mais avec le raclement du souffle de ma trachée artère, et des dents de ma mastication. » Comme celles de l’écriture, la pratique et la maîtrise de cette expression graphique totalement actée (peut-être plus encore théâtralisée sur la feuille libre qu’en marge d’une page de cahier) et poussée « jusqu’à ce que la fibre de la vie grince », sont, pour Antonin Artaud, autant d’opérations agissantes – imprécatoires, conjuratoires – nécessaires pour lutter contre la désintégration corporelle et mentale, contre la mort, autant de tentatives « forcées » pour fixer, clouer les résidus de son être éclaté, réorganiser une intégrité et une identité détruites.
D’après Agnès de la Beaumelle, Le Magazine, n°82 , 15 juillet-15 septembre 1994 ; et le communiqué de presse.
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