Exposition / Musée
Robert Mallet-Stevens
27 avril - 29 août 2005
L'événement est terminé
De l'architecte, on connaît la villa Noailles à Hyères, les hôtels particuliers de la rue qui porte son nom à Paris, la villa Cavrois à Croix près de Lille ; du décorateur, ses devantures de boutiques pour Bally ; de l'amateur du 7e art, sa collaboration avec Marcel L'Herbier ; de son engagement dans le Mouvement moderne, son rôle au sein de l'U.A.M. L'exposition propose de découvrir cette oeuvre dans toute sa richesse : ses réalisations à Paris ou aux quatre coins de France, mais aussi, tout aussi nombreux, ses projets restés en l'état. Dessins originaux, tirages photographiques, maquettes d'architecture, extraits de films, ainsi qu'une sélection de ses meubles majeurs témoignent de l'univers exceptionnel de cette figure emblématique de l'entre-deux-guerres architectural français.
Architecte, décorateur, enseignant, Robert Mallet-Stevens est une figure emblématique de l'entre-deux-guerres. Disparu à l'aube de la reconstruction, n'ayant pas laisse d'œuvre théorique, il méritait que son œuvre soit proposée à la découverte d'un large public.
À la différence de celles de ses contemporains, les archives de Mallet-Stevens ne lui ont pas survécu. L'exposition privilégie donc tous les documents originaux subsistants pour restituer sa carrière à travers un parcours chronologique. L'état patrimonial actuel des constructions (propriété, protection, restauration) est mentionné dans des bornes vidéo.
Les décors de films, les villas prestigieuses, l'Exposition des arts décoratifs de 1925, les hôtels de la rue qui porte son nom à Paris, la fondation de l'Union des artistes modernes (UAM), les concours des années 30, l'Exposition internationale de Paris de 1937 sont autant de jalons de l'itinéraire singulier de ce protagoniste français de la modernité. L'œuvre n'était connue jusqu'à présent qu'en noir et blanc : la polychromie de Mallet-Stevens est restituée notamment par les couleurs des cimaises.
Mallet-Stevens structure ses bâtiments à partir d'un élément vertical (cage d'escalier, belvédère), les compose par empilements, évidements, décrochés, ce que mettent en évidence les maquettes volumétriques.
Pour ses réalisations, Mallet-Stevens s'entoure de créateurs, Barillet, Le Chevallier et Hansen pour les vitraux, les frères Martel pour les sculptures, André Salomon pour l'éclairage, Jean Prouvé pour la serrurerie : on retrouve ces collaborations dans les reportages photographiques projetés en grand format.
Quand il crée du mobilier, c'est pour des intérieurs précis : aussi les meubles sont-ils ici présentés avec en fond la photographie de leur environnement original. Un seul meuble a un destin industriel : une chaise en tube métallique qui connaît de ce fait de multiples variantes.
Cinq réalisations architecturales sont ici commentées pour rendre compte de ce parcours :
Villa Noailles
En 1923, Charles et Marie-Laure de Noailles, aristocrates fortunés très impliqués dans la vie mondaine des années folles, commandent à Mallet-Stevens une 'petite maison, intéressante à habiter pour profiter du soleil' dans le midi. Le terrain et l'édifice dominent la vieille ville de Hyères et la côte varoise. Elle deviendra au fil d'agrandissements successifs un étrange château moderne, prétexte au film surréaliste de Man Ray, Les Mystères du château du Dé.
C. de Noailles précise : 'J'ai envie de bâtir une maison extrêmement moderne, mais par moderne j'entends employer tous les moyens modernes pour arriver au maximum de rendement et de commodité'.
Le projet de 1924, modeste et sobre, est ponctué par la tour-belvédère qui sera ensuite supprimée. Un mur percé de baies délimite la terrasse-parvis d'où se découpe le paysage en tableaux. L'homogénéité des façades et des terrasses cherche à masquer les différentes adjonctions.
En 1925, la maison compte huit chambres avec salle de bain, une salle à manger, un salon, un hall-salon. Sont ajoutés fin 1925, trois chambres et un garage, puis quatre chambres d'amis et sept chambres de domestiques ; en 1926, « l'atelier » carré de 50 m2 avec son vitrail zénithal de Barillet ; en 1928, la piscine avec baies vitrées et vitrail géant au plafond, puis le gymnase ; enfin, en 1932, la salle de squash et le pavillon pour les domestiques.
D'une petite maison on est passé à une villa composite de plus de 2 000 m2 avec une soixantaine de pièces.
S'y côtoieront de nombreux créateurs qui y laisseront leur trace : le maître-verrier Louis Barillet, les sculpteurs Henri Laurens et Jacques Lipchitz, l'orfèvre-dinandier Claudius Linossier, l'ensemblier et créateur de meubles Pierre Chareau, les artistes du mouvement de Stijl Theo van Doesburg, Sybold van Ravesteyn et Piet Mondrian, les architectes Djo-Bourgeois et Gabriel Guévrékian, ce dernier auteur du jardin triangulaire... Beaucoup d'entre eux retravailleront avec Mallet-Stevens.
Villa Poiret, angle Sud-Est
Le grand couturier Paul Poiret a révolutionné les arts de la mode. Il choisit Robert Mallet-Stevens qui n'avait pas encore construit pour réaliser la résidence principale de sa famille : ' un mur d'argile et de craie accompagne la Seine à travers tous ses méandres capricieux. Cette crête blanche et rocheuse est couronnée, en maintes places, par un bois hirsute, à l'abri duquel j'ai assis ma fière maison ' (P. Poiret). La demeure est calée sur un socle saillant que Mallet-Stevens organise horizontalement autour d'un patio, au fond duquel se trouve l'entrée.
Dominant la vallée de la Seine, les espaces de réception occupent l'équerre sud-est du plan : vestibule d'entrée, salle à manger et hall en double hauteur qui structure l'ensemble du bâtiment avec l'escalier principal. La tour de la cage d'escalier se prolonge et donne accès à un belvédère abrité sous un auvent, depuis lequel le regard porte jusqu'à Paris.
Le chantier débute en 1922. Le gros-œuvre est achevé à l'été 1923 mais le projet n'est pas poursuivi, Paul Poiret étant en faillite. Mallet-Stevens photographie le bâtiment inachevé. Ses clichés de 'ruines modernes' mettent en valeur les principes cubistes de la villa, dont l'état d'inachèvement renforce l'aspect monolithique et l'écriture formelle de l'architecte. Pour lui l'architecture est 'un art essentiellement géométrique'. Surfaces unies, arêtes vives, courbes nettes, matières polies, angles droits ; clarté, ordre. 'C'est ma maison logique et géométrique de demain.' L'étagement et le déboîtement des volumes, combinés à l'usage d'une trame rigoureuse, sont déjà des éléments familiers au vocabulaire de l'architecte qui revendique le béton armé pour leur mise en œuvre même s'il l'utilise parcimonieusement sur ses chantiers.Paul Poiret commente ainsi l'état des lieux : 'Tous les matériaux avaient été portés à pied d'œuvre et la maison était sortie du sol comme une plante vivace par les soins du prestigieux architecte qu'est Mallet-Stevens. Elle était toute blanche, pure, majestueuse, et un peu provocante, comme un lys'.
L'édifice resta à l'abandon pendant plusieurs années, avant d'être racheté par la comédienne Elvire Popesco. Mallet-Stevens reprend son projet en 1938 mais ne pourra le mener à bien à cause de la guerre. L'architecte Paul Boyer achèvera les travaux après-guerre en y apportant quelques modifications.
Rue Mallet-Stevens, Hôtel Martel
Son inauguration le 20 juillet 1927 est une 'manifestation d'art architectural moderne' filmée et relayée par la presse.
L'architecte décrit ainsi son projet de rue : 'Aucun commerce n'y est autorisé.
Elle est exclusivement réservée à l'habitation, au repos. [...] Ces hôtels, ayant chacun un programme spécial, sont très différents les uns des autres, mais conçus dans un même esprit afin de créer une unité. Si les programmes ne sont pas semblables, les exigences de chacun des habitants sont les mêmes : de l'air, de la lumière. Aussi toutes les baies sont vastes, très vastes [...]. Toutes ces maisons sont couvertes en terrasse. [...] La maison du 'repos' doit et peut avoir un coin fleuri, un espace à ciel ouvert. Et toutes ces terrasses à différents étages, disposées en gradins, sur une rue entière, procureront un ensemble de verdure s'harmonisant avec les lignes calmes de l'architecture.'
Il s'agit en fait d'une rue moderne et urbaine affirmée, loin de la cité-jardin. L'écriture architecturale combine ici : l'usage de porte-à-faux et des ouvertures de grandes dimensions (grâce à l'emploi du béton) ; une attention méticuleuse et sophistiquée pour le second oeuvre (fenêtres à glissière, canalisations encastrées, sols sans joint, etc.) ; l'emploi d'équipements modernes (chauffage central, téléphone dans chaque pièce, sirènes...).
Mais l'originalité architecturale de cette opération se résume dans la cohérence de l'ensemble : 'Renonçant à un individualisme souvent préjudiciable à l'harmonie générale, mes clients ont accepté que leurs hôtels respectifs, tout en gardant leurs caractéristiques, fissent partie d'un ensemble, c'est-à-dire d'un corps d'architecture un et indivisible. Ces hôtels ne sont pas juxtaposés au petit bonheur ou suivant les hasards d'une construction livrée à l'anarchie. Une idée commune a régi leurs rapports. Aussi forment-ils un bloc parfaitement homogène.'
Qu'il s'agisse d'atelier d'artistes, d'agence d'architecture ou d'hôtel particulier, les Reifenberg, Allatini, Martel, Mallet-Stevens... et même l'ancien propriétaire du terrain Dreyfus, tous participent à cette idée commune.
Maison-atelier Barillet
Paris 15ème arrdt, 1931-1932
'Quand l'architecte voit dans l'espace des volumes bien ordonnés, le peintre-verrier trace des lignes et oppose des couleurs heureuses. Phénomène curieux que celui qui unit si étroitement deux branches de l'art pourtant si différentes.' Mallet-Stevens.
Une longue collaboration professionnelle lie le maître verrier Louis Barillet et l'architecte Mallet-Stevens quand ce dernier se voit confier la conception de cette maison-atelier. La chaîne de travail nécessaire à l'exécution des vitraux et des mosaïques détermine logiquement le programme et le projet architectural. On libère l'espace intérieur par l'emploi de structures porteuses en béton armé qui autorisent de lourdes charges au sol. Mais le bâtiment doit aussi affirmer la réussite de l'entreprise Barillet, Le Chevallier et Hansen, et la modernité de ses produits.
Les locaux sont spacieux et fonctionnels. Ils cherchent à démontrer que la lumière est un matériau fondamental de l'architecture moderne. La partie centrale est réservée à la chaîne de conception-production, du sous-sol au 3e niveau : réserve, atelier de mosaïque et fours de cuisson des grisailles, aires de livraison de matériaux (verre, marbre) et d'expédition (vitraux, mosaïques), atelier de découpe et de sertissage du verre, ateliers sur deux niveaux pour l'exécution des dessins en vraie grandeur (cartons, choix des verres, assemblage provisoire, peintures des grisailles) et lieu de présentation des vitraux installés au devant de la verrière pour juger par transparence de leurs effets plastiques.
Les deux volumes du bâtiment sont articulés par un axe où viennent prendre place l'ascenseur monte-charge et la cage d'escalier, emplacement idéal pour le chef-d'œuvre de la maison : une étroite verrière illustrant tous les savoir-faire occupe toute la hauteur au-dessus de la porte d'entrée et devient une enseigne. L'aile courbe en saillie abrite les bureaux.
Villa Cavrois, façade Sud
L'occasion est rêvée pour construire ici une œuvre manifeste, synthèse entre les conceptions modernistes de l'avant-garde européenne et l'utilisation raisonnée de l'ornement. En haut d'une colline, la demeure très vaste de la nombreuse famille de l'industriel, s'étire sur soixante mètres de longueur : une série de volumes simples sont recouverts d'un parement uniforme de briques jaunes dont les joints soulignent les lignes horizontales contrebalancées par le cylindre vertical qui permet l'accès au belvédère. La composition symétrique de la villa, l'axialité du grand hall rappellent la maîtrise de la discipline architecturale. Mais en fait la pénétration de plans verticaux et horizontaux, le jeu des terrasses décalées, le type de fenêtres d'angle et de pergolas rompt avec cette symétrie en utilisant le vocabulaire de l'architecture moderne.
Comme le décor de cinéma le fait pour un film, le mobilier doit œuvrer avec l'architecture : ensemble ils permettent aux personnages de mettre en évidence leur psychologie, de les situer en une scénographie de la vie domestique. Il n'est donc pas surprenant que l'on retrouve des similitudes formelles troublantes avec le film Le Vertige de Marcel L'Herbier (1926).
De surcroît, le réglage de cette scénographie complexe aux ambiances très diverses utilise les ressorts d'une polychromie intérieure très travaillée et contrastée grâce à l'emploi de nombreux matériaux, ce qui n'exclue pas pour certaine pièces la monochromie moderne. Tout ceci se conjugue à l'utilisation de lumières sophistiquées créées par l'ingénieur André Salomon, qui fait ici la démonstration des possibilités de l'éclairage indirect intégré à l'architecture.
La villa Cavrois démontre, enfin, les usages que l'on peut faire des dernières grandes avancées de la technique : téléphone, pendules électriques... La cuisine quant à elle propose 'l'effacement de l'architecture devant l'équipement ménager. La cuisine moderne est un Salon des arts ménagers en miniature qui fait naître une esthétique nouvelle' (Mallet-Stevens). Du hall équipé de la TSF et d'un phonographe électrique part un réseau relié à neuf haut-parleurs placés dans les différentes pièces.
À la disparition de Mme Cavrois, la propriété est mise en vente. En 1986, une société immobilière l'acquiert pour lotir le terrain. En voie de dégradation, la maison est classée d'office au titre des monuments historiques en 1998 et acquise par l'État en 2001. Depuis 2004, des travaux de restauration sont engagés.
Quand
11h - 21h, tous les lundis, mercredis, jeudis, vendredis, samedis