Cinéma / Vidéo
Le Joli Mai
10 nov. 2008
L'événement est terminé
Cinéaste depuis déjà dix ans, Chris Marker, qui tourne Le Joli Mai avec Pierre Lhomme à l'été 62, s'empare avec une grande liberté des possibilités du direct, moins affairé à le tester comme dispositif maïeutique à la manière de Jean Rouch et d'Edgar Morin dans Chronique d'un été que de faire feu de tout bois dans un magistral film-essai placé sous le signe de Fantômas et présenté dans son générique comme une pièce musicale dont Catherine Varlin serait la « librettiste » et Yves Montand le « récitant ». Comme son jumeau socio-psychologique de 1960 dont il prolonge l'interrogation sur le bonheur, Le Joli Mai parcourt la capitale et tend le micro aux badauds, pour « deviner [Paris] par les seuls moyens des détectives de roman: la longue vue et le microphone ».
Moins soucieux d'enquêter que d'aiguillonner la conscience politique des parisiens avant puis juste après les Accords d'Evian, Chris Marker se livre à une méthode d'entretien un brin secouante, qui pose par mille chemins détournés la question de la liberté. « Après huit heures du soir, j'suis libre de quoi? demande le marchand d'habits gouailleur, de m'faire engueuler par ma femme? »
De la Bourse à la rue Mouffetard, les interviewés partagent avec le cinéaste une frénésie légèrement agressive, ils commencent par feindre l'indifférence pour bientôt s'animer et transformer le micro-trottoir en rencontre inoubliable.
Monté avec un sens étourdissant du raccord associatif, Le Joli Mai n'utilise jamais cette virtuosité à des fins satiriques. Loin des caricatures faciles, il balaie racisme, colonisation et inégalités sociales en dépassant l'individualisme un peu étriqué de Chronique d'un été. Il s'offre du coup en riche radiographie d'un pays dans lequel cohabitent trois classes : la France des bicoques d'Aubervilliers qu'avait immortalisée Eli Lotar après-guerre dans le film du même nom et dont une habitante, aussi émue qu'émouvante, reçoit sa lettre d'attribution de HLM; la France poujadiste des Mythologies de Barthes (1957), qui ignore la guerre d'Algérie et se perd dans des glorioles individuelles (un inventeur qui pérore sans savoir que la caméra suit le parcours d'une araignée sur son vêtement), et enfin la France que prophétisent deux intellectuels, dans laquelle « on va bientôt penser le loisir comme un travail » et « instaurer la semaine de 30 heures ». Grâce à la caméra de Pierre Lhomme et à l'invention d'un Marker déjà amateur de chats, Le Joli Mai n'a pas pris une ride.
Quand
À partir de 20h