Un homme à abattre

Un homme à abattre (Cabra marcado para morrer)
1984/ Brésil / 120 min.

Réalisation : Eduardo Coutinho
Image : Edgar Moura, Fernando Duarte
Son : Jorge Saldanha
Montage : Eduardo Escorel
Musique : Rogiéro Rossini
Production : Mapa Filmes

C'est l'histoire — on dirait aujourd'hui le making of — d'un film plusieurs fois interrompu, et laissé inachevé : en 1962, dans le Nordeste, au Brésil, Joao Pedro Texeira, leader local de la Ligue Paysanne, est assassiné par deux policiers qui ne seront jamais condamnés. Eduardo Coutinho, qui fait partie d'une équipe de jeunes cinéastes de Rio liée au Centre Populaire de Culture, décide de tourner une fiction biographique sur lui, et de faire interpréter sa femme et ses enfants par eux-mêmes et les autres personnages par des paysans en lutte. Le tournage commence mais les conflits entre paysans et police le contraignent à se déplacer. Autre village, autres vicissitudes : cette fois-ci l'œuvre, tournée à moitié, est saisie dans les grandes largeurs, et c'est jusqu'à son scénario qui est confisqué.
Près de vingt ans plus tard, Coutinho revient avec une détermination têtue : il souhaite finir le film, quitte à ce que celui-ci, à l'arrivée, soit un mélange du docufiction d'alors et des réactions contemporaines des témoins et des acteurs de 1964. Les luttes paysannes du Nordeste croisent ici l'histoire plus générale du pays et de ses dictatures : retrouvée en 1983 lors du retour de Coutinho, la veuve de Texeira, cachée à cinq cents kilomètres de là, a été amnistiée par un régime loin d'être démocratique. Elle a perdu de vue presque tous ses enfants. La persévérance du cinéaste à recueillir les témoignages des survivants des luttes et celui de cette mère Courage va au-delà de l'héroïsme un peu naïf de son projet initial. Il réaffirme la nécessité d'une mémoire de l'histoire contemporaine dans un régime que sa disparition pure et simple arrangerait.
Charlotte Garson