Débat / Rencontre
Évaluer l’art : commissions, subventionnements, mécénats
14 févr. 2020
L'événement est terminé
Lors de cette journée d’études, artistes, chercheurs et acteurs du monde de l’art s’interrogeront sur la façon dont sont évalués les œuvres et les projets artistiques dans le cadre des politiques de financement de l’art, sur la pertinence des méthodes de sélection, et sur les alternatives à une évaluation de l’art soumise aux logiques du marché. Il s’agira de chercher à rendre visible ce qui reste opaque dans les pratiques d’évaluation de l’art, en vue de mieux comprendre ce qui se joue dans nos manières d’attribuer de la valeur.
Le temps où avait cours l’idée que c’est l’artiste qui fait l’art est bel et bien révolu. Du commissaire d’exposition au médiateur de musée, figures qui n’existaient pas il y a quarante ans, en passant par le conservateur de musée, le programmateur, l’expert, le critique d’art, le collectionneur ou les « agences de notation » de l’art (Artprice, Artnet), l’œuvre d’art n’est plus simplement le produit de l’artiste, mais celui d’une action collective impliquant des chaînes de valorisation et d’intermédiaires toujours plus étendues dans l’écosystème artistique. Le pouvoir de ces intermédiaires tient en grande partie au rôle qu’ils jouent dans les processus d’évaluation par lesquels œuvre ou artiste se voient attribuer une valeur, imposant ainsi une normativité qui peut être jugée étrangère ou aliénante relativement à l’acte créateur. Ces médiations sont le lieu de négociations et de rapports de forces entre intermédiaires, commanditaires, institutions et artistes, qui reformulent d’une certaine manière la question de l’autonomie de l’art, dans la mesure où l’évaluation d’une œuvre dépend non d’une logique interne au champ artistique mais de régimes de valeurs hétérogènes.
Cette journée d’études s’inscrit dans le programme de recherche-création « Évaluation générale » soutenu par l’EUR ArTeC, dont le Centre Pompidou est partenaire.
Organisateurs : DCC/Service de la Parole, en partenariat avec l’EUR ArTeC et l'Université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis
Comité scientifique : Jean-Max Colard (DCC/Service de la Parole), Yves Citton (LHE U. Paris 8), Laurent Jeanpierre (CRESPPA, U. Paris 8), Nancy Murzilli (LHE, U. Paris 8).
Ce travail a bénéficié d’une aide de l’État gérée par l’Agence Nationale de la Recherche au titre du programme d’Investissements d’avenir portant la référence ANR-17-EURE-0008.
Quand
11h - 17h30
Où
Programme
11h00 : Accueil des participants
11h15 : Introduction
11h30 : Valence, valuation, évaluation de l’art contemporain
Table ronde animée par Yves Citton (théoricien des médias), avec Jérome Glicenstein (artiste et théoricien des arts), Valérie Pihet (sociologue), Olivier Quintyn (théoricien des arts), Joëlle Zask (philosophe).
12h45 : Pause déjeuner
14h30 : Evaluer l’art par l’art
Par Franck Leibovici (artiste et poète) et Yaël Kreplak (sociologue).
15h15 : Pratiques d’évaluation de l’art : comment se fixe un prix ?
Table ronde animée par Jean-Max Colard (chef du service de la parole au Centre Pompidou, critique d’art et théoricien de la littérature) et Nancy Murzilli (philosophe et théoricienne de la littérature), avec Nicolas Trembley (art advisor et ex-critique d’art), Marion Papillon (directrice de la galerie Papillon et présidente du Comité professionnel des galeries d’art), Marc Vaudey, directeur du pôle création au Cnap, Centre national des arts plastiques), Agnès Thurnauer (artiste).
16h45 : Pause
17h00 : Ranking et big data artistiques, mode d’emploi
Entretien entre Nathalie Moureau (économiste) et Marek Claaßen (directeur d'Artfacts.net).
17h45 : Clôture
La journée d'étude
Du fait même qu’elle se définit à partir d’un concept aussi vague que celui d’art l’institution artistique est fondamentalement soumise à une incertitude évaluative (Menger 2009) et à une contestation de ses valeurs. L’incertitude sur la valeur dans le monde de l’art est telle qu’on y trouve une exposition des conflits de valeur ou d’évaluation beaucoup plus nette qu’ailleurs. L’art contemporain, « de par sa logique propre consistant à expérimenter les limites, à transgresser les frontières, y compris et surtout à transgresser les frontières de sens commun entre art et non-art », constitue un vivier d’objets-frontières qui se situent « à l’intersection de domaines d’activité et de systèmes axiologiques hétérogènes – ce pourquoi de tels objets sont des observatoires privilégiés pour des conflits de registres de valeurs » (Heinich 2017).
Ce qui opposait l’avant-garde artistique à l’autonomisation de l’art en le projetant vers la vie et en tentant de lui donner les moyens de subvertir la valeur par l’introduction du non art dans l’art (Bürger, 2013) a-t-il encore une possibilité d’exister dans la culture globalisé qui est la nôtre ? Qu’en est-il du rapport de l’institution art avec des pratiques d’évaluation qui touchent aujourd’hui tous les domaines de la vie ? Dans quelle mesure les pratiques d’évaluations ayant cours dans le monde de l’art, qui en déterminent la valeur, la visibilité et les orientations, sont-elles spécifiques à ce domaine ? Y a-t-il une spécificité de l’art qui s’accompagnerait d’une spécifité de l’évaluation propre à l’art et en ferait un domaine où la valeur aurait un cours indépendant du reste des affaires du monde, contribuant à façonner sa valeur somptuaire et à le nimber d’une « nouvelle aura », ou bien au contraire cette valeur somptuaire de l’art est-elle gouvernée par des pratiques d’évaluation communément inspirées du modèle managérial qui domine nos sociétés néolibérales (Cometti 2016) ? Si, comme le suggère Olivier Quintyn, une réinterrogation des valences du concept d’avant-garde permet d’esquisser « un modèle de critique ou d’analyse transinstitutionnelle où l’art sort délibérément de sa nature instituée pour devenir un laboratoire de formes de critique sociale réinstituante » (Quintyn 2015), l’art ne pourrait-il être ce lieu d’un questionnement de nos pratiques d’évaluation reconduisant vers la vie ?
Cette journée d’étude se propose d’explorer deux pistes distinctes dont on pourra se demander dans quelle mesure elles pourraient se rejoindre :
L’exploration de la valeur dans l’art
Les régimes d’évaluation existent dans plusieurs mondes sociaux, mais le régime d’évaluation de l’art a ceci de particulier qu’étant beaucoup plus pluriel, incertain, conflictuel que d’autres, puisque la rationalisation de l’évaluation y est moins claire, il se prête mieux que d’autres à un travail de désinvisibilisation des pratiques d’évaluation. La sanction du marché par le prix n’y étant pas suffisante, pour produire une évaluation fiable, le recours à l’expertise, y est par exemple, plus qu’ailleurs nécessaire pour « juger, hiérarchiser, reconnaître, récompenser, promouvoir, subventionner, acquérir… » (Heinich 2017). Une analyse micrologique de contextes spécifiques comme ceux des plateformes de cotation du marché de l’art, des commissions d’attribution de subventions, de bourses, de prix ou de dotations privées impliquant fréquemment des acteurs issus de mondes sociaux différents, à travers une observation des opérations de négociation par lesquelles la valeur est attribuée à un artiste, une œuvre ou un projet artistique, permettrait une meilleure compréhension des actes d’évaluation et une clarification ponctuelle des tensions qui règnent dans les discours de valorisation de l’art souvent forgés de croyances institutionnelles implicites et antagonistes.
L’exploration de la valeur par l’art
On pourra également se demander si l’art lui-même, au moyen des dispositifs qui lui sont propres, ne peut, par la position même qu’il occupe dans le champ de la critique institutionnelle, se faire le spectacle de nos pratiques d’évaluation généralisées. Il y a dans la structure même du concept d’art contemporain et dans les institutions d’art contemporain un intérêt pour une forme de réflexivité ou pour l’autocritique, sans doute hérité de la critique institutionnelle, qui en font des lieux privilégiés pour la critique et l’analyse des régimes d’évaluation. Différents projets artistiques mettent aujourd’hui en question à divers degrés les régimes de valeurs, de valorisation et d’évaluation de l’art. Qu’il s’agisse de la critique du capitalisme artiste et de l’esthétisation du monde, à travers des entreprises-artistes proposant un art prestataire comme Ouest-Lumière de Yann Toma (www.ouestlumiere.fr), Ikhéa©Services de Jean-Baptiste Farkas, ou Ludovic Chemarin© (Poirson, in Multitudes 2014 ; Toma et al. 2012 ), d’une réflexion sur les écologies de l’œuvre d’art chez Franck Leibovici, d’une remise en question des flux de production, de diffusion et d’échange des œuvres d’art qui alimentent les systèmes d’accumulation du capital chez Eva Barto, de l’interrogation des mécanismes de légitimation de la valeur et des rapport entre l’art et l’éco-finance par Antoine Dufeu, ou encore des évaluations publiques du fonctionnement du Centre Pompidou d’Agence de notation par Christophe Hanna au Festival Extra !, on pourra s’interroger sur l’agentivité de ces formes de questionnement de nos pratiques d’évaluation.
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