Débat / Rencontre
14-18
l'empreinte de la Grande Guerre
26 nov. 2004
L'événement est terminé
En 1914 éclate ce que l'on appellerait dès 1915 la Grande Guerre - laboratoire et matrice d'un XXème siècle de violences. A l'échelle de l'Europe et rapidement de l'ensemble du monde par le biais des colonies, non seulement les soldats mais aussi les civils sont mobilisés, d'autres sont victimes des invasions, des occupations et, pour les Arméniens, de l'extermination de 1915-1916.
Or, dans les années 1990, la guerre dans l'ex-Yougoslavie, renoue avec les deux conflits balkaniques de 1912-1913 et le troisième, celui de la crise de juillet 1914 dégénéré en conflit mondial. Comme si l'épicentre balkanique, aux nationalismes porteurs d'agression, enclenchait encore la même logique guerrière. L'empreinte de la Grande Guerre aujourd'hui tient à l'effet paradoxal de proximité et d'éloignement. Proximité par le ressac de l'actualité internationale, du nom Sarajevo à nouveau prononcé aux guerres d'Afghanistan et d'Irak ; éloignement par l'absence de références permettant la compréhension d'un événement à la fois si tragique et si dérisoire - pourquoi est-on mort à Verdun ou dans les Dardanelles ?
1914-2004 : Quatre-vingt-dix ans ont passé
Ouverture : Gérald Grunberg, directeur de la Bibliothèque publique d'information
Présentation par Annette Becker, professeur d'histoire contemporaine à l'Université de Paris X-Nanterre, co-directrice du Centre de recherche de l'Historial de la Grande Guerre de Péronne, Somme
14-18 : éloignement, proximité, présence nouvelle et représentations aujourd'hui
Guerre et humanitaire : un paradoxe du siècle
par John Horne, professeur d'histoire contemporaine européenne, Trinity College, Dublin
Retrouver la Grande Guerre oubliée : Allemagne quinze ans après l'unification
par Gerd Krumeich, professeur d'histoire moderne et contemporaine, Université Heinrich Heine, Düsseldorf
Vers une histoire européenne de la Grande Guerre
par Jay Winter, professeur d'histoire contemporaine, Yale University, New Haven
Débat. Modérateur : Stéphane Audoin-Rouzeau, directeur d'études, Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), co-directeur du Centre de recherche de l'Historial de la Grande Guerre
Consentements, refus et héritages de la violence
La guerre après la guerre
par Mario Isnenghi, professeur d'histoire contemporaine, Università Cà Foscari, Venise
De la Première à la Seconde guerre mondiale : héritages et différences
par Henry Rousso, historien, directeur de recherche au CNRS, directeur de l'Institut d'histoire du temps présent (IHTP)
Entre imaginaire et réel, penser le massacre
par Jacques Sémelin, directeur de recherches au CNRS (CERI), professeur à l'Institut d'Etudes Politiques de Paris
Débat. Modérateur : Jean-Jacques Becker, historien, président du Centre de recherche de l'Historial de la Grande Guerre, professeur émérite, Université de Paris X-Nanterre
Lecture de textes par Jean-Pierre Becker, comédien
14-18 : mémoire, deuil , silence, parole , écriture
Faire parler les silences de l'histoire
par Carine Trévisan, Université de Paris VII-D-Diderot
La Grande Guerre, la fin d'un monde
par Pierre Bergounioux, écrivain
14-18 et la génération d'écrivains actuels
par Marc Dugain, écrivain
Mémoire, pierres, parole...
par Xavier Hanotte, écrivain
« De vastes et d'étranges domaines » : après la fin...
par Adam Thorpe, écrivain
Débat. Modératrice : Annette Becker
Conclusions de la journée et perspectives par Jean-Jacques Becker et Gerd Krumeich.
L'Héroïque cinématographe (2002) Projection du film de Laurent Véray et d'Agnès de Sacy (50mn).
Présentation et intervention de Laurent Véray, Paris X-Nanterre, Les archives filmées de la Grande Guerre : matière pour une écriture documentaire et fictionnelle de l'histoire.
L'empreinte de la Grande Guerre.
" En 1914 éclate ce que l'on appellerait dès 1915 la Grande Guerre - laboratoire et matrice d'un XXème siècle de violences. A l'échelle de l'Europe et rapidement de l'ensemble du monde par le biais des colonies, non seulement les soldats mais aussi les civils sont mobilisés, d'autres sont victimes des invasions, des occupations et, pour les Arméniens, de l'extermination de 1915-1916.
Or, dans les années 1990, la guerre dans l'ex-Yougoslavie, renoue avec les deux conflits balkaniques de 1912-1913 et le troisième, celui de la crise de juillet 1914 dégénéré en conflit mondial. Comme si l'épicentre balkanique, aux nationalismes porteurs d'agression, enclenchait encore la même logique guerrière. L'empreinte de la Grande Guerre aujourd'hui tient à l'effet paradoxal de proximité et d'éloignement. Proximité par le ressac de l'actualité internationale, du nom Sarajevo à nouveau prononcé aux guerres d'Afghanistan et d'Irak ; éloignement par l'absence de références permettant la compréhension d'un événement à la fois si tragique et si dérisoire - pourquoi est-on mort à Verdun ou dans les Dardanelles ?
Les années 1914-1918 doivent se comprendre comme un entrelacement de violences et de souffrances vécues par des individus et par des communautés, nationales, régionales, raciales, de genre, d'âge. L'événement a été construit et reconstruit au fur et à mesure qu'il a été vécu : les temps de mémoire et d'oubli sont concomitants, chacun se les forge dans les bribes de mémoire et les bribes d'oublis, à partir de trauma, de silence, de refoulé et de retour du refoulé. Pendant la guerre, les périphéries et les centres s'aménagent : les notions de front et d'arrière changent radicalement quand ce dernier devient le home-front, le front domestique. De même disparaît la distinction entre civils et militaires, quand, dans les territoires envahis puis occupés, les civils - et ce sont bien souvent des femmes et des enfants - sont pris en otage, mis au travail forcé, déportés. Là naît la guerre totale. Après une guerre, qui, vingt ans plus tard, poussera la folie de l'assassinat de masse jusqu'à l'extermination industrielle des Juifs d'Europe, on créera le mot de génocide.
C'est à juste titre qu'on applique rétrospectivement le concept à l'annihilation des Arméniens.
Pendant la guerre, les combattants ont majoritairement exprimé avec force leur adhésion à l'union sacrée et leur approbation du sacrifice de soi pour le collectif national. Cet engagement volontaire les lie paradoxalement à la nation : plus ils se battent pour elle plus ils se persuadent qu'ils en sont retranchés. Car ils prennent vite conscience que la guerre métamorphose, les « ramène à une mentalité primitive, sauvage, où l'instinct domine avec violence »
(Jules Isaac) .
Chacun des soldats se trouve au centre d'un cercle de souffrance qui va de ses proches à toute sa sociabilité, entre travail, militantisme, pratiques religieuses ou festives. Les ondes concentriques deviennent après la guerre mémoire et deuil : des proches à l'Etat, toute une série d'ensembles, du plus intime au plus officiel, de la femme en pleurs au préfet inaugurant un monument aux morts, disent la prolongation infinie des détresses. En effet, les différentes sociétés belligérantes ont été touchées par les deuils intenses : car ce sont des morts jeunes, des morts violentes à travers des mutilations sans précédent, des morts absents pour des familles privées des corps de leurs proches, d'où l'invention du culte du soldat inconnu, sur une tombe de substitution. Le temps du deuil fut d'autant plus compliqué et prolongé qu'aucun accord ne se fit sur le sens de la guerre au lendemain de l'armistice : le consentement à la guerre était adossé à un millénarisme d'espérance en une humanité neuve que l'on peut apparenter à un véritable « mythe de croisade » (Alphonse Dupront). Mais le conflit provoqua ensuite un rejet profond, à la mesure de ce qu'avait été la force de l'attente eschatologique initiale, déçue.
Après la guerre, l'idéologie pacifique, voire pacifiste - celle de la « der des der » - l'a largement emporté : l'horreur de l'ennemi s'est transformée en horreur de la guerre. Depuis les années vingt on ne comprend presque plus la dialectique entre souffrance et acceptation, probablement par culpabilisation des anciens combattants d'avoir trop consenti à ce qui semble de plus en plus impensable, faire la guerre, tuer.
Tous les êtres ont en effet été durablement altérés, grandis, abîmés, par le conflit : ces transformations repérées par les historiens et analysées sous le terme de culture de guerre, culture de mobilisation, culture de démobilisation, ont été aussi mises en mots, en images, par des artistes, des cinéastes et des écrivains, des anthropologues, des politologues, des philosophes. Ces réflexions qui courent depuis 1914 jusqu'à aujourd'hui, ces œuvres croisées, sont l'empreinte durable du conflit. "
Annette BECKER
Quand
11h - 22h30