Exposition / Musée
Jean Bazaine
Oeuvres reçues en Dation
21 juin - 11 sept. 2006
L'événement est terminé
Dans la conscience de Bazaine, le monde n'existe jamais à l'état figé. Il est, bien au contraire, toujours en formation, en perpétuel devenir. Cette « continuité fluide du réel », selon les mots de Bergson qu'il a beaucoup lu, unit le mouvement et les formes dans une dynamique de l'être sans cesse interrogé.
L'exposition ne présente volontairement qu'un choix restreint de l'oeuvre immense de Jean Bazaine. Il s'agit, dans la Galerie d'art graphique du Musée national d'art moderne, de montrer les oeuvres reçues en dation et quelques oeuvres appartenant déjà à la collection du Musée national d'art moderne. Elle permet aussi de découvrir l'aspect graphique de son travail encore presque inédit.
Cette exposition est consacrée à l’œuvre graphique de l’artiste français Jean Bazaine (1904-2001).
Ne sont présentées, volontairement, qu’un nombre limité d’œuvres dans l’immensité de son travail, une centaine, reçues en dation ou appartenant déjà à la collection du Mnam/Cci – dont une majorité sur papier encore peu montrées. On y verra aussi quelques exemples de son évolution picturale avec notamment L’Enfant et la nuit, 1949, Ombre sur la mer, 1963, et Combat d’ombre, 1974.
Bien que n’ayant appartenu à aucun groupe, son influence fut très importante dans le développement de la peinture non figurative (il préfère ce terme à celui d’abstrait) durant les années 1950 en France et en Europe, en particulier par ses écrits sur la peinture, ses nombreuses expositions et l’intérêt que lui portèrent de grands poètes comme Jean Tardieu et André Frénaud.
Toute l’œuvre de Bazaine s’inspire de la nature, ce sont ses rythmes, l’espace et la lumière qui l’intéressent, comme le montre de manière frappante la série des dessins à la plume de Saint Guénolé ou les aquarelles de Hollande.
Dans la conscience de Bazaine, le monde n'existe jamais à l'état figé. Il est, bien au contraire, toujours en formation, en perpétuel devenir. Cette « continuité fluide du réel », selon les mots de Bergson qu'il a beaucoup lu, unit le mouvement et les formes dans une dynamique de l'être sans cesse interrogé. « Une seule règle demeure, absolue : à chaque toile nouvelle avoir perdu le fil », dira Bazaine.
L'avènement du naturel
En 1939, Bazaine est mobilisé et se retrouve aux avant-postes en Lorraine. « C'est là que mon dessin a commencé à ne plus être réaliste. Plus j'étais en communion avec la réalité, plus je m'écartais de la représentation. Je commençais à sentir le monde autrement, avec plus d'intensité. » (1)
Jusqu'à sa mort Bazaine va peindre et dessiner en renouvelant cette expérience primordiale : il n'est plus face mais « dedans », son dessin s'est « incarné » loin de toute cette abstraction formelle, lyrique ou tachiste dans laquelle on a voulu l'enfermer.
Ce n'est pas la représentation du paysage qui l'intéresse mais c'est la nature dans ses éléments essentiels, l'eau, la lumière, l'espace, qui capteront l'attention du peintre. Ainsi Bazaine à la fin de sa vie parle encore de cette quête inlassable, « ce vide que les années creusent en nous plus profondément, cette faim violente d'une réalité « extérieure », qui prend lentement la forme de notre réalité la plus secrète (...). Dessiner d'après nature n'est pas un travail de « documentation », et le dessin une fois incorporé, peu importe si le peintre l'oublie () le meilleur de cet exercice est qu'il nous donne le vertige, tant cette nature à notre ressemblance échappe un peu plus chaque jour aux tentatives pour la circonscrire, tant l'abîme se fait plus mystérieux, plus indéchiffrable à chaque plongée. »(2)
Son œuvre surgit d'une émotion profonde ressentie à certains moments et que l'artiste appelle « la force ». « Cette force, dit-il, combien de fois l'ai-je subie ? Telle texture du paysage de Lorraine (totalement oubliée mais liée au souvenir du froid et de l'inquiétude), resurgie dix ans plus tard dans une toile - l'Hiver - qui n'avait nulle prétention à être figurative... L'Espagne traversée sans notes, ressortie malgré moi, contre moi, longtemps après ». (3 C'est pourquoi chaque dessin, peinture, aquarelle, quelque soit son format, dégage une tension et même une violence caractéristiques de son univers.
Auprès de mon arbre...
Bazaine travaille beaucoup d'œuvres pendant les années 1943-49 sur le thème de « l'arbre » à cause de sa ressemblance avec la figure mais surtout pour le changement qu'il opère dans sa perception de l'espace.
« Le jour lointain, où essayant de dessiner un arbre, je me suis aperçu que l'espace entre les branches n'était derrière que parce que nous le savions et pouvait aussi bien être devant, ou flotter dans l'espace, le monde a changé de forme, c'est devenu un monde en respiration, plus riche et plus insaisissable » (4). L'arbre et ses branches forment une trame secrète qui unifie l'espace et crée le va et vient entre la surface et la profondeur. L'œuvre intègre désormais le mouvement.
À partir de 1947-48, la figure disparaît peu à peu pour laisser la place à une trame de plus en plus serrée et dense de petites touches qui soulignent les vibrations de l'espace et de la lumière. Les bleus se font se font plus bleus, les rouges plus rouges.
Au tournant des années 1970, nouveau changement : la trame éclate pour embrasser dans un geste ample les rythmes sous-jacents, le plus souvent ascendants ou circulaires, qui engendrent et parcourent la toile.
(Saint Guénolé), c'est sans cesse la naissance du monde
dira Bazaine de ce petit port breton, qu'il découvre en 1936. C'est aussi la rencontre avec l'univers aquatique qui hantera son œuvre. L'eau est une turbulence du réel où le temps n'a pas de prise. Ainsi jailliront en 1966 une extraordinaire série de dessins à la plume (plus d'une cinquantaine) dans lesquels se livre une bataille de traits aux accents précis, rapides qui font vibrer le blanc du papier et se confondre le ciel et la mer dans un espace devenu totalement mental. Comme il le dira à propos de ses carnets réalisés sur le motif « la sensation a pris le dessus sur la réalité soi disant objective ».
« Cet univers de terre et d'eau aux formes répercutées à l'infini comme un jeu de miroirs » le fascine également lors de ses séjours dans le Zeeland en Hollande. Bazaine a trouvé « l'inconscient de la matière » au sens bachelardien du terme et une liberté toujours plus grande. Dans un beau livre, Hollande, le grand poète Jean Tardieu écrira sur ces petites gouaches, où malgré leur petitesse se concentre un cosmos immense : « (...) Un trait - la barque s'en va. »
« Un tableau de Bazaine exige un voyage de l'œil, une écoute qui transforment le saisissement du spectateur en enfouissement dans la profondeur mystérieuse de l'œuvre ... » Bernard Ceysson (5)
1, 2, 3 Jean Bazaine, Exercice de la peinture, Paris, Seuil, 1973
4 Catalogue Bazaine. Dessins 1951-1988, Musée Matisse, Le Cateau-Cambrésis, 1988. Entretien de l'artiste avec Jean-Pierre Greff.
5 Bernard Ceysson, La Tradition française, Bazaine, Genève, Skira, 1990
Remerciements à Jean-Pierre Greff pour son livre Jean Bazaine, éd. Ides et calendes, Neuchâtel, 2002
Quand
11h - 21h, tous les jours sauf mardis