Débat / Rencontre
Les carnavalesques
Une proposition de Julia Marchand
09 févr. 2020
L'événement est terminé
Le carnavalesque s’entend comme toute forme de vie désorganisée, dépense improductive ou excessive, qui appelle au renversement temporaire des valeurs et à un dépassement des identités.
Il puise ses origines dans les fêtes populaires du Moyen-Âge qui atteignirent leur apogée sous la Renaissance, avant de se transformer en « simple humeur de fête » (Mikhaïl Bakhtine) dès la seconde moitié du 17ème siècle. En cause : la perte de lien avec la culture populaire dans une société européenne post-Renaissance tournée vers l’étatisation de la vie de la fête, qui s’amoindrit.
Parler des forces carnavalesques en 2020 revient à suivre leurs itérations contemporaines, populaires et clandestines, en Europe et au-delà. Le carnavalesque réapparaît sous diverses formes où persistent l’abject et l’humour et au sein desquelles naissent d’autres métaphores de « transgression » (Peter Stallybrass et Allon White).
Amplifié par l’effet de la foule et/ou éprouvé à l’échelle individuelle, il conserve sa sensibilité contestataire. Pour la critique et commissaire d’exposition Claire Tancons, le carnavalesque demeure « un médium d’émancipation et un catalyseur de désobéissance civile », non dénué de références populaires. Occupy Wall Street en serait l’une des formes récentes, qui, au-delà de l’ambivalence autour du costume et du masque, mobilise, avec la Corporate Zombie Walk, la figure du zombie pour signifier l’emprise du système (nécro) capitaliste sur les corps.
Pour Mathis Collins, le carnavalesque est un dispositif miroir. Convoquant le rire et les pleurs, l’artiste regarde son propre visage pour avancer sur fond de tirade satirique. Jenkin van Zyl, quant à lui, renoue avec la possibilité d’établir une communauté de nouvelles sexualités hérétiques, unifiée dans la panique et la joie et à l’écart des grands rituels conventionnels.
L’après-midi du 9 février consacrée à cette pratique de vie propose de mettre bord à bord performances, chants, conférences et projections de films.
Une proposition de Julia Marchand avec la collaboration de Extramentale
Quand
14h - 19h
Où
Les intervenants
Julien Creuzet, né en 1986 au Blanc-Mesnil, vit et travaille à Fontenay-sous-Bois. Il est artiste plasticien, vidéaste, performeur et poète. À travers des environnements constitués d’ensembles composites, il explore différents héritages culturels en organisant des passerelles entre les imaginaires de l’ailleurs, les réalités sociales de l’ici et les histoires minoritaires oubliées. Son travail a récemment été présenté au Palais de Tokyo, a High Art Gallery et sera présenté au Camden Arts Centre de Londres en 2020. Pour la clôture du Festival Hors Pistes 2019, il collabore avec la DJ Crystallmess et la chanteuse lyrique Makeda Monnet pour une création originale.
Ancienne étudiante à l’École nationale de la photographie de Arles, Esther Esther est une artiste installée près de Limoges. Avec Margaux Bonopera, commissaire d’exposition domiciliée à Arles, elles abordent le carnaval en zone rurale, dans un territoire en lutte, favorable à la pratique collective ainsi que la problématique sous-jacente de sa représentativité. Cette présentation s’inscrit dans la lignée de leur démarche respective sur les lieux et gestes de résistance.
Mathis Collins est un artiste franco-canadien dont la pratique investit le champ des arts populaires et les figures qui y sont associées dans un esprit de renversement des méthodes de pédagogie artistique établies. Oscillant entre une pratique individuelle et collective, il manifeste au travers de la figure de Polichinelle, issu de la commedia dell’arte et du carnaval, son ambivalence à l’égard de la position et du rôle de l’artiste contemporain. Il travaille actuellement sur une série de bas-reliefs en bois polychrome mettant en scène un atelier de broderie dédié à l’art du costume de clown. Mathis Collins sera exposé en avril 2020 à 15 Orient à New York et au Centre d’art contemporain La Criée à Rennes, en septembre 2020.
Crystallmess est le futur. DJ, productrice, artiste à la sensibilité brute. Elle est une machine à créer, ses sets hors-normes ont fait le tour de l’Europe, Shape artist 2019, Résidente chez NTS et gagnante du NTS WIP 2019, curatrice et présentatrice pour Boiler Room ou le Novamix. Son premier Ep MERE NOISES a squatté les platines de djs tels que Bill Kouligas, Bonaventure, Kode9 entre dancehall abrasif, ambient et afro-trance, son paysage musical est vaste et foisonnant. Après avoir partagé l’affiche avec des artistes tel qu’Yves Tumor, Nkisi ou Jlin, De la Tate Gallery à Concrete, Crystallmess est en train d’allier l’afro-futurisme et la culture populaire pour un mélange unique et qui ne manquera pas de vous attraper comme un hook bien placé de trap De Georgie.
Julia Marchand est la modératrice et organisatrice de cette après-midi. Elle est commissaire d’exposition à la Fondation Vincent van Gogh d’Arles, où elle a organisé notamment l’exposition « James Ensor & Alexander Kluge : Siècles noirs ». Elle a créé en 2016 la plateforme curatoriale et éditoriale Extramentale qui présente des travaux d’artistes abordant la compréhension du réel par le prisme de l’adolescence.
Paul-Emmanuel Odin, vient nous parler de l’imagerie populaire du monde inversé. Il est actuellement directeur artistique du lieu de création La Compagnie à Marseille et est membre de l’IKT, l’association internationale des curators. Parallèlement, il enseigne la théorie de l’image à l’École supérieure d’art d’Aix-en-Provence.
Paul B. Preciado, invité du Centre Pompidou pour la saison 2019-2020, est philosophe et commissaire d’exposition. Né en Espagne, il fait des études de philosophie à la New School for Social Research à New York où il travaille avec Jacques Derrida et Agnes Heller, et obtient un doctorat en théorie de l’architecture à l’université de Princeton. En 2013, il s’oppose publiquement aux limitations de l’avortement du gouvernement espagnol avec son article « déclarer la guerre de l’utérus». L’un de ses essais les plus connus est Testo junkie : sexe, drogue et biopolitique (Grasset, 2008) dans lequel il décrie la transformation des technologies de contrôle et de production du genre et de la sexualité dans le capitalisme contemporain. En 2019, il publie Un appartement sur Uranus: chroniques de la traversée (Grasset), qui rassemble ses chroniques publiées dans le journal Libération de 2013 à 2017.
Claire Tancons est curatrice et chercheuse investie dans le discours et la pratique de la politique postcoloniale de l’exposition. Au cours de la dernière décennie, Claire Tancons a infléchi les généalogies historiques de l’art performance par l’esthétique diasporique africaine. Elle a notamment révélé le carnaval au sein des pratiques artistiques contemporaines avec l’exposition et la publication En Mas’ : Carnival and Performance Art of the Caribbean, primée par le prix de l’exposition Emily Hall Tremaine, ainsi que de nombreux autres projets, articles et conférences. On peut notamment citer Spring, pour la Gwangju Biennale (2008) ; Up Hill Down Hall pour Tate Modern (2014) ; Tide by Side pour Faena Art (2016) et Look for Me All Around You pour Sharjah Biennial 14 (2019).
Jenkin van Zyl est un jeune artiste anglais actuellement étudiant à la Royal Academy de Londres. Son premier film, Looners (2019) dresse le portrait d’un gang de personnes queer dans un décor fantastique situé dans les montagnes Atlas. Son dernier film The Rat King, détourne la légende du Roi des rats pour exploiter son potentiel d’horreur populaire appliquée à la culture queer contemporaine.
Jean-Baptiste Carobolante (1988, France) termine actuellement une thèse de doctorat en histoire de l’art à la faculté de Caen Normandie sous la direction de Philippe Ortoli. Dans cette thèse, il propose une théorie de la hantise de l’image à partir du cinéma de fantôme contemporain. Son objectif consiste autant à analyser le genre qu’à proposer une théorie cinématographique par le biais de techniques issues de l’histoire de l’art et de la philosophie, notamment celle de Giorgio Agamben. Il est également critique d’art pour la revue bruxelloise l’Art Même, il enseigne l’histoire et la théorie de l’art à l’École Supérieure d’Art de Dunkerque et est intervenant à l’École d’Art Visuel de Lacambre.