Vincent Descombes

« Divers épisodes de notre actualité récente ont été interprétés par l'opinion publique, et à juste titre, comme les symptômes d'une profonde crise française : les émeutes des banlieues en novembre 2005, le résultat négatif du référendum sur la constitution européenne, la polémique en cours autour de la « guerre des mémoires », avec à l'arrière-plan les ratés de l'élection présidentielle en avril 2002.

Plus qu'une simple crise politique, c'est-à-dire un échec à terminer une confrontation des volontés sur le terrain politique, nous vivons une crise du politique lui-même, comme le marque le fait de notre incapacité à donner aux mécontentements des uns et des autres la forme d'une volonté politique. Cela veut dire, pour un pays qui a choisi jusqu'ici de se définir comme une nation politique, une crise de son identité collective.

Nous avions l'habitude d'apprécier les événements et les programmes en leur appliquant un étalon de mesure que nous tirions de l'idée républicaine. Sous l'autorité de l'idée républicaine, tout ce qui va dans le sens d'une

équivalence entre le lien social et le lien d'égale citoyenneté est progressif, tout ce qui nous éloigne de cet idéal est rétrograde. Or c'est la valeur de notre étalon de mesure qui est contestée dans la crise présente : cette idée républicaine serait devenue rétrograde dans un monde défini par les phénomènes de la globalisation des marchés et de la rencontre des civilisations. C'est pourquoi il apparaît aujourd'hui nécessaire de tenter une appréciation de l'idée républicaine. Je prends ici le mot appréciation au sens de Marcel Mauss et d'Auguste Comte : évaluer une idée collective, ce n'est pas la considérer dans sa pureté rationnelle, c'est la considérer dans les conditions réelles de son application, ce qui veut dire dans les institutions qui peuvent l'exprimer. » Vincent Descombes

Vincent Descombes est directeur d'études à l'Ehess. Dernier livre paru : Le complément de sujet. Enquête sur le fait d'agir de soi-même (Gallimard 2004).