Spectacle / Concert
Move | Tarik Kiswanson
24 mai - 9 juin 2019
L'événement est terminé
Tarik Kiswanson est né en 1986 en Suède. Il est diplômé de Central Saint Martins à Londres et des Beaux-Arts de Paris. Il a récemment montré son travail à la Fondation d’entreprise Ricard à Paris (2018), au MRAC àSérignan, au Mudam à Luxembourg (2017) et à Anticipations – Fondation d’entreprise des Galeries Lafayette (2018). En 2019, il participera à la 5eme Biennale de l’Oural à Ekaterineburg en septembre et présentera une nouvelle commande à la biennale Performa 19 de New York.
L’installation de Tarik Kiswanson réunit sculpture, création sonore et performance dans la lignée de son travail d’écriture de poésie. À partir de recherches sur la préadolescence, cet âge empreint de fragilité et d’une forme de lucidité sur le monde, l’artiste a composé un recueil de poésie en trois chapitres qui sera joué par trois garçons. Les textes sont une plongée dans une réflexion sur la condition humaine évoquant à la fois les corporéités contemporaines et les frontières tant entre pays qu’entre les êtres ou plus généralement, la porosité entre deux états que tout semble opposer au départ.
Les pensées du mélange, la poétique du métissage tout comme les écrits d’Edouard Glissant sont au centre du travail de Tarik Kiswanson. De culture hybride, son héritage se construit à la croisée d’une vie familiale au Moyen-Orient (sa famille a émigré de Palestine dans les années 80) et de son évolution ultérieure en Suède et dans les pays occidentaux.
Sculpteur, écrivain, performeur, Tarik Kiswanson manipule plusieurs matériaux à la fois : le texte et les mots dans une œuvre imprégnée de poésie, de fragments et de rythmes ; le son à travers des polyphonies mixant voix et son variés enregistrés au cours de ses voyages ; le métal, enfin, dans des sculptures qui fonctionnent comme des tissages, entremêlant diverses références, littéralement infusées de l’héritage familial.
L’installation prend en compte l’architecture de l’espace du Forum-1, tout comme son caractère propre de lieu de passage au cœur du Centre Pompidou qui s’appréhende de différents points de vue. Elle se compose d’une création sonore enregistrée notamment avec les voix des enfants se diffusant dans tout l’espace et d’une sculpture suspendue en lames de métal, matériau récurrent chez l’artiste qui utilise ses propriétés diffractantes et réfléchissantes.
Des performances réalisées par les jeunes garçons viendront animer l’installation à certains temps. Le texte évoquera des thématiques comme le déplacement, le soi multiple et le désir. Il abordera l’expérience que peut avoir un enfant issu de la première génération de l’immigration, dont la croissance et le devenir-adulte accompagnent un processus similaire à l’échelle de sa communauté, de mélange et de fusion de différents langages et idiomes en pleine transformation.
Un nouveau film I tried as hard as I could, prélude à Out of Place qui reprend le titre des mémoires d’Edward Saïd suivra la transformation d’un jeune garçon et ses questionnements autour du déracinement.
Dust, 2019, performance
Performeurs : Tydiane Basse-Guillemin, Noa Benassaya-Leger et Keryan Jean
Création sonore avec Valentina Fanigliuo aka Phantom Love
Assistance chorégraphique : Christine Bombal
I tried as hard as I could, 2019, vidéo, son
Musique originale : Luciano Chessa
Animation 2D : Ellis Kayin Chan
Cheffe opératrice : Juliette Barrat
Assistant caméra : Clément Fourment
Son : Gaëtan Ricciuti & Matthieu Fraticelli
Montage : Clément Pinteaux
Production : VENDREDI, Marie Vachette & Marie Jaouen
L’artiste tient à remercier particulièrement la Fondation Tiraz et Madame Widad Kamel Kawar pour sa contribution à la création des costumes.
Avec le soutien de FABA, Fondacion Almine et Bernard Ruiz-Picasso para el Arte, et des galeries Almine Rech et Carlier Gebauer, Berlin.
Performances de Tarik Kiswanson les lundis, mercredis, jeudis et vendredis à 18h30 et 19h15 (sauf le jeudi 30 mai)
Tarik Kiswanson proposera deux lectures dans l’espace les dimanche 26 mai et samedi 8 juin à 17h.
Une rencontre avec l’artiste sera organisée le 26 mai à 18h.
Quand
11h - 21h, tous les jours sauf mardis
Où
Entretien avec l'artiste
Le projet que tu développes spécifiquement pour MOVE comprend une installation in situ, une œuvre sonore, une performance et une œuvre vidéo. Ce sont de nouvelles pièces mais qui s’inscrivent dans la prolongation de tes travaux précédents. Comment as-tu articulé l’ensemble de ces éléments entre eux ?
L’essence du travail réside à l’intersection entre tout ce qui se trouve ici. Entre le son et la performance, la performance et la sculpture, la sculpture et le film, et au centre de tout cela, se trouve un pré-adolescent. C’est une cosmologie d’œuvres où tout gravite autour de lui. Il prend vie au croisement entre ces éléments. Il est le script. Il est un tissage. Il est métis. Il est né entre plusieurs cultures. Il est « post-diaspora ».
Je voulais créer un environnement où la contamination des différentes œuvres entre elles génère l'œuvre finale, une forme furtive évoluant au rythme du temps et de l'espace. Tel un organisme vivant, l’œuvre prend vie au travers de trois interprètes métis pré-adolescents. Leur voix dans la performance fait partie de l’œuvre sonore, qui est à son tour intégrée au film qui nous donne l’impression de percevoir le monde à travers leurs yeux. Cela fait maintenant plusieurs années que l’âge de la préadolescence est au centre de mon travail - l'âge de l'incertitude, l'âge de l'ambiguïté et surtout l'âge où l'on devient vraiment présent au monde.
La thématique de MOVE porte cette année sur la question des mémoires conscientes et inconscientes inscrites dans le corps. Ton travail aborde des thèmes comme la multiplication ou la désintégration, l’hybridité, le tissage et la polyphonie, mais incorpore aussi des fragments liés à ton histoire personnelle (ici par exemple les costumes porteront l’empreinte de vêtements traditionnels arabes) et à ta famille, partie de Palestine pour émigrer en Suède où tu es né, et questionne aussi ce qui survit aux migrations. Comment relies-tu cette thématique mémorielle par rapport à ton travail ?
Quand on est né dans une société occidentale, on a parfois l’impression de souffrir de perte de mémoire puisqu’on est censé comprendre un passé dont on n’a pas été témoin. Cela va même au-delà de la compréhension: on est censé ressentir un sentiment d'appartenance à la culture héritée de la famille. En grande partie, c’est généralement le cas, et c’est le mien. Mais la question se pose de savoir comment l’identité est façonnée dans cet état d’entre-deux fertile. Dans mes premiers travaux j’ai eu recours à des fragments d'histoire familiale pour m’aider à me construire dans le présent. La mémoire, en effet, me semble perdurer bien au-delà des expériences vécues de chacun.
J’ai toujours travaillé en puisant activement dans le passé pour générer le présent. Quand je parle de « passé » je désigne une réalité tangible et physique. Le plus souvent, il s’agit d'objets du passé et leurs souvenirs silencieux. C’est par exemple le cas d’une cuillère en argent qui a suivi ma famille en exil lors du parcours qui les a menés de la Palestine jusqu’à la Suède, ou encore d’une photographie en noir et blanc du début du XXe siècle représentant des membres de ma famille vêtus de costumes traditionnels. Loin d’être simplement passifs, ces objets sont empreints d’une vie sociale façonnée par les transactions dont ils ont fait l’objet. Je me souviens d’une citation de l’anthropologue Arjun Appadurai qui déclarait que « Tout objet constitue le moment caché d’une trajectoire sociale plus longue. Tout objet conserve en dépôt éphémère la trace de telle ou telle propriété, à la manière dont les photographies suspendent momentanément la réalité transitoire du monde ». C’est dans la mutation et la résurrection d’objets et de formes que beaucoup de mes œuvres ont évolué. La cuillère en argent que nous évoquions a été fondue et désormais, elle est ce qui fait tenir ensemble des sculptures en laiton dans la série What we remembered. Quant aux photographies, une centaine de détails microscopiques prélevés au sein des petites photographies ont servi de base à une série de grands tissages muraux en métal intitulés The Weavers’ Machines sur lesquels j’ai travaillé pendant plusieurs années.
Ici, comme tu l’as mentionné, le passé joue à nouveau un rôle important dans mon travail, peut-être d'une manière plus obsédante et fantomatique qu’auparavant. J'ai toujours été fasciné par les racines, par l’idée d’aller à la racine des choses, ou comme on le dit aussi : jusqu’à la moelle. En venant dématérialiser, déformer, fondre le passé, j’ai ici voulu le rendre squelettique et transparent, le transpercer de lumière. Pour produire les costumes de la performance, j'ai emprunté des robes à la Fondation Tiraz à Amman, en Jordanie. Il s’agit de l’une des plus grandes collections de costumes traditionnels du Moyen-Orient, d’Afrique du Nord et d’Asie mineure. Celle-ci couvre deux siècles et constitue une remarquable exploration d’un patrimoine textile incluant des régions aussi lointaines que l’Ouzbékistan. Ces robes ont été scannées aux rayons X. Ce que les garçons portent est le résultat d’un collage de ces scans et de vêtements de leur garde-robe personnelle, laquelle est très influencée par le sportswear. Chaque garçon porte sur lui le passé et le présent. Des centaines d’années d’héritage patrimonial se retrouvent condensées sur un seul costume. Aux scans se mêlent également des textes brodés dans différentes langues : arabe, français etc. Ce sont des extraits de la pièce sonore ou de textes antérieurs. Les poèmes sont une exploration diffractée de la condition humaine et du langage. Ils abordent entre autres ce processus infiniment complexe qu’est le passage à l’âge adulte, qui l’est d’autant plus lorsqu’il concerne les individus issus de la première génération de l’immigration. Nous sommes entrés dans une époque obscure où le nationalisme et le suprématisme blanc gagnent de plus en plus de terrain. Dans ce contexte politique, être métis ou issu de la première génération de l’immigration est en soi une forme de résistance. Nous sommes la contradiction, nous sommes l’absence de frontières par définition. Dans les banlieues européennes à forte population immigrée, comme celle où j’ai grandi moi-même, un nouveau monde est en train d’être construit. Là, les processus de mélange et de fusion transcendent tout statu quo. Ils disqualifient la question de la couleur de peau, de la race et de l’origine au profit d’un ancrage plus profond, celui des besoins vitaux humains : survivre, s’adapter et se construire. Nous devrions prêter une attention plus fine à ces communautés. Je les perçois comme les exemples les plus révolutionnaires d’une possible coexistence au sein de la société moderne.
Tu collabores depuis longtemps avec des enfants de 11ans qui se trouvent à ce stade de préadolescence. Qu’est-ce qui t’intéresse dans cet état ?
Il s’agit de ces années d’entre-deux où l’enfant se transforme en adolescent, marquant la période où la transformation du corps est la plus rapide, mais surtout celle où l’on prend vraiment conscience du monde, de sa position unique et de celle des autres à l’intérieur de celui-ci. C’est à cet âge que l’on acquiert la conscience de ce qu’est l’identité, que l’on construit et affirme la sienne ; à cet âge également que l’on commence à comprendre le sens de notions telles que la race, le refus, le désir, le privilège, la pauvreté et la démocratie. L’individu est alors totalement extraverti, prêt à absorber tout ce qui survient en chemin. Comme précisé auparavant, cela m’intéresse particulièrement de travailler avec des enfants issus d'un contexte « post-diasporique » ; qui ont grandi, comme moi, dans des quartiers à forte présence immigrée et qui sont issus d’une condition marquée par cette dualité. Il s’agit d’une identité sans racines née en dehors de l’idée de territoire et d’Etats-Nations. Je fais partie d'une génération qui a dû faire face à la difficile tâche de se mouvoir en équilibre entre plusieurs cultures. Cela se traduit par l’impératif de devoir vivre avec une sensation de n’appartenir nulle part, maintenu en suspension constante entre la culture dont on a héritée et la société occidentale dans laquelle on est né.
L’intérêt que je porte à cette génération m’a conduit à passer outre la question de migration. Il s’agit de dépasser cette question en tant que seul phénomène à l’intersection des cultures occidentales et orientales mais également de prendre en compte les mouvements migratoires se produisant à plus petite échelle, par exemple ceux qui ont résulté de l’instauration de l’espace Schengen menant à la liberté de circulation en Europe. Mon premier projet avec un pré-adolescent a été réalisé avec Vadim, 11 ans, dont les parents ont émigré de Roumanie pour s’installer en France au début des années 2000.
Ces enfants remettent en cause la norme. Pour cette raison, ils créent leurs propres modes d’interaction, leurs propres contre-cultures et langages. Transcendant les origines, ils forment des micro-communautés qui existent en dehors de la nationalité.
Tu travailles aussi depuis longtemps le métal poli, parfois pour réaliser des sculptures qui sont des formes hybridées avec des gouttes de métal fondu provenant de l’argenterie familiale qui se transmet entre génération à travers le temps. Comment joues-tu avec les notions de réflexions et réfractions propres à ce matériau ?
Mes sculptures et mes textes abordent très souvent des thèmes relatifs à la vision et à la perception, nos yeux étant les fenêtres par lesquelles nous faisons l'expérience du monde et prenons conscience de nos différences. Lors de mes premiers travaux, je polissais des plaques de métal tranchantes jusqu’à ce que mon reflet apparaisse progressivement à leur surface. Ce processus obsessionnel représentait un moyen de déplacer ma conscience hors des limites de mon propre corps, de l’extraire totalement de tout contenant physique. J'ai, à travers les années, coupé, tissé et transformé ces plaques. Il a toujours été question d’une fragmentation du moi. Mes sculptures relèvent davantage de situations que de formes matérielles. A l’intérieur de ces situations, tout devient une partie de l’œuvre : le spectateur, l’architecture environnante et les œuvres d’autres artistes dans le cadre d’une exposition de groupe. Il s’agit d’œuvres fortuites ouvertes à la contamination. Elles adaptent, absorbent, réfractent et transforment tout ce qu’elles rencontrent, et se constituent chemin faisant. Dans une certaine mesure, leur histoire est celle de n’importe quel immigrant.
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