Exposition / Musée
L'oeil écoute

L'événement est terminé


Une fois par an, jalonnant le parcours des collections du Centre Pompidou, une nouvelle séquence d’expositions-dossiers propose au visiteur une relecture de l’histoire de l’art du 20e siècle à travers un thème. De traverses en vitrines, de vitrines en salles, ces espaces d’étude et de recherche, qui émaillent la visite, permettent d’éclairer les strates de l’histoire de l’art moderne : après une séquence consacrée aux « Passeurs », ces historiens, critiques d’art et amateurs éclairés qui ont tant contribué à son écriture, après « Politiques de l’art » qui a souligné l’engagement des artistes pour les grandes idéologies du 20e siècle, le musée met aujourd’hui en exergue quelques-uns des liens qui ont uni musique et arts plastiques, de 1905 jusqu’au milieu des années 1960.
Intitulé « L’Œil écoute », ce nouveau chemin de traverse qui serpente entre les grandes figures et les mouvements fondateurs de l’art moderne emprunte son titre à l’ouvrage éponyme de Paul Claudel, publié en 1946, dans lequel l’écrivain se livre à une « écoute » de plusieurs tableaux, dont La Ronde de nuit de Rembrandt ou L’Indifférent de Watteau. Le visiteur du musée est ainsi invité à goûter par l’œil et par l’oreille à l’ambiance des « soirées parisiennes », qui, de la butte Montmartre au boulevard du Montparnasse, du Bal Bullier au Bal Tabarin, du Bal Olympique au Bal Banal, de Joséphine Baker aux Black Birds, fascinent artistes et musiciens modernes par l’étincellement des spectacles, l’aiguillon des costumes, mouvements, danses et numéros.
Le ballet, qui permet aux créateurs (décors, costumes, chorégraphie, musique) d’unir leurs forces, est emblématique d’une modernité avide d’abolir les frontières entre les arts, rêvant de l’œuvre d’art totale. On le constate à travers les sections consacrées aux Ballets russes, où l’on découvre notamment des costumes de scène dessinés par les peintres Michel Larionov et Natalia Gontcharova pour le compositeur Igor Stravinski, consacrées aux Ballets suédois, mais aussi à la figure magistrale du compositeur français Erik Satie attirant à lui beaucoup d’artistes : Picasso, pour le ballet Parade, Braque, Brancusi et Picabia. Marcel Duchamp, moins proche par l’amitié de Satie, partage avec lui une évidente communauté d’esprit, d’humour et d’autodérision, entre readymades et musique d’ameublement.
Des liens plus théoriques unissent aussi arts plastiques et musique. Dès les années 1910, le modèle musical devient un principe moteur pour le passage à l’abstraction. Dans le domaine pictural, Vassily Kandinsky, Léopold Survage ou František Kupka rejettent la figuration au profit d’un art qui, à l’instar de la musique, se libère de la représentation : une peinture qui donne à voir son « rythme », ses « couleurs » et ses « modulations » pour susciter les émotions. En avril 1932, Henry Valensi donne une forme quasi institutionnelle à ces recherches en fondant l’Association des artistes musicalistes. Ceux-ci se reconnaissent par leurs œuvres « restées libres les unes des autres, pourvu que l’influence musicale les ait inspirées ». Dans un autre registre, après-guerre, Jean Dubuffet développe le même attrait pour la musique, qu’il pratique et met en image. Dans d’autres cas, les expérimentations des arts plastiques aboutissent à des découvertes dans le domaine musical. La révération éprouvée par le compositeur et artiste américain John Cage pour Marcel Duchamp en est un bon exemple. À l’instar du Grand Fictif, dont les « beautés d’indifférence » mettaient explicitement en jeu le contingent, John Cage ouvre la musique à « tout ce qui arrive ». Alors que Duchamp produit l’Erratum musical, transforme l’aléa en formes avec ses 3 Stoppages-Étalon et introduit la vie de tous les jours dans l’art à travers ses ready-mades, Cage érige le hasard en méthode dans ses œuvres musicales, littéraires et graphiques. L’influence conjuguée de Duchamp et de Cage se manifeste avec force à la fin des années 1950, lorsque certains des élèves du compositeur créent le happening, d’une part, et posent les bases de Fluxus, d’autre part. Cette période est caractérisée par une grande porosité entre les disciplines artistiques. Alors que de grands festivals unissent artistes et musiciens, de Fluxus à Karlheinz Stockhausen, la poésie sonore s’affirme en Europe autour des figures de Bernard Heidsieck ou d’Henri Chopin, qui découvrent les potentialités du magnétophone. Cette porosité prend une signification particulière avec l’affirmation de la « notation » dans le champ des arts plastiques. Ce thème fait l’objet d’une section à la fin du parcours, montrant combien la notation se situe à la charnière des deux disciplines. Tandis que les partitions musicales s’éloignent d’un solfège strict pour adopter une tournure graphique, laissant plus de marge à l’interprétation, l’artiste protoconceptuel George Brecht, élève de Cage à la New School for Social Research, note des « événements » sur de petites cartes, invitant tout un chacun à les réaliser. Il ouvre la voie à la tradition conceptuelle qui, de Lawrence Weiner à Sol LeWitt, fait amplement usage de la notation.
Quand
11h - 21h, tous les jours sauf mardis
Où
Le surréalisme et la musique : « Silence d’or »
Le silence du surréalisme face à la musique est essentiellement dû à la volonté de son fondateur, André Breton. Si ce dernier, aux côtés de Philippe Soupault et Louis Aragon, avait publié dans les premiers numéros de leur revue Littérature en 1919, des rubriques musicales signées par les compositeurs Darius Milhaud et Georges Auric, il précise dans La Révolution surréaliste le 15 juillet 1925 sa position : « Que la nuit continue donc à tomber sur l’orchestre ». Pour le poète, la création musicale apparaît être en opposition avec les fondements du groupe : l’automatisme et le modèle intérieur. Et c'est au sein du surréalisme belge, élaboré à partir de 1926 notamment autour de Paul Nougé, que le musicien André Souris va œuvrer pour une musique surréaliste diffusée autour de revues, de festivals, livrant de nouvelles recherches expérimentales.
En 1944, Breton, dans son texte « Silence d’or » écrit à New York, revient sur sa distance face à la musique. Toutefois, les artistes surréalistes proches du poète, tels Joan Miró, Salvador Dalí, Man Ray, Yves Tanguy, ne seront pas insensibles à cette forme d’expression, présente dans leurs œuvres.
Artaud, le cri du corps
La découverte du théâtre balinais, lors de l’Exposition coloniale de 1931 à Paris, joue un rôle crucial dans la construction théâtrale d’Antonin Artaud. Devant le « gamelan », ensemble traditionnel de percussions, Artaud est frappé par le lien intime qu’entretiennent musique et mouvements. Le contraste avec le théâtre occidental, placé sous l’hégémonie du texte, est saisissant. Il imagine alors un théâtre de portée chamanique, fondé sur une équivalence entre sons, parole, gestes, lumières et décors. Au-delà de ses réflexions regroupées dans Le théâtre et son double (1938), la question de la sonorité et du souffle embrasse l’ensemble de la création d’Artaud. Il produit ainsi des « dessins-écrits », où le langage se fait cri, sortilège proféré à l’encontre de souffrances physiques et psychiques récurrentes. Avec les glossolalies, syllabes rythmées qui ponctuent ses textes et les affranchissent de toute signification, la douleur se fait poésie ardente. Enfin, dans Pour en finir avec le jugementde Dieu (1947), le message d’Artaud est porté par sa propre voix : c’est dans le fracas que le théâtre embrasse la vie.
Affinités électives : architecture et musique
La relation entre musique et architecture est régulièrement évoquée depuis l’Antiquité, rythmes et proportions étant ses dénominateurs communs. Elle sera l’un des axes de la théorie de l’intégration des arts. Fondées sur les travaux de mathématiciens comme Pythagore, les influences réciproques entre l’esthétique architecturale et musicale abondent : dans les principes architecturaux élaborés par Alberti ou Vitruve, les compositions musicales de Bach, la musique sérielle ou encore l’acoustique contemporaine. se distingue la collaboration entre Le Corbusier et Iannis Xenakis, à la fois compositeur, architecte et ingénieur. Dès 1953, Xenakis imagine des pans de verre « ondulatoires » pour le couvent de la Tourette. Le compositeur utilise également le Modulor – mesure harmonique à l'échelle humaine applicable universellement à l'architecture – conçu par Le Corbusier dès 1945 dans l’œuvre orchestrale Metastaseis (1955) fondée sur des principes mathématiques tels que la suite de Fibonacci. C’est cette œuvre qui lui sert notamment de base pour imaginer le pavillon Philips de l’Exposition de Bruxelles (1958), qu’il cosigne avec Le Corbusier et pour lequel collabore le compositeur Edgar Varèse.
L’instrument de musique, sous l’œil du photographe
L’instrument de musique est un motif récurrent de l’iconographie de l’avant-garde photographique. Dans les années 1920 et 1930, en réaction aux représentations classiques du réel, les « nouveaux » photographes adoptent une approche plus expérimentale, en exploitant les possibilités multiples offertes par l’appareil. Ouïes, cordes, archers, volutes ou soufflets d’accordéons sont particulièrement appréciés pour leur aspect insolite ou les jeux d’ombres et de lumières qu’ils permettent. Pris en gros-plan, fragmentés par le cadrage, les instruments se transforment parfois jusqu’à l’abstraction ou prennent des allures surréalistes. Parallèlement, nombreux sont les photographes qui cherchent à « sonoriser » les images. L’onde sonore s’introduit dans les images grâce aux effets de lumière et de flou, au photomontage, ou à la déformation de la matière photosensible.
La musique futuriste
La révolution musicale futuriste trouve son expression majeure dans l’œuvre de Luigi Russolo. Le 11 mars 1913, sous la forme d’une lettre adressée à son ami musicien F. Balilla Pratella, Russolo rédige un manifeste intitulé « L’art des bruits ». Selon lui, la musique faite de sons est arrivée à son terme. Pleine de bruits, la vie moderne offre à la musique une matière musicale nouvelle. L’environnement sonore des grandes villes, comme celui de la campagne, modifié par les machines, invite les artistes de son époque de se l’approprier. Incluant les bruits naturels, Russolo classe les bruits en six catégories : grondements, bruits sourds, bruits de percussion, bruits soufflés, bruits persistants, voix d’hommes et d’animaux. Il imagine en « obtenir des émotions sonores non par succession de bruits imitatifs reproduisant la vie, mais par une association fantastique de ces timbres variés ».
Serge Diaghilev (1872-1929) et les Ballets russes
Mis à l’écart de ses fonctions en tant qu’adjoint du directeur des Théâtres impériaux, Serge Diaghilev, entouré de Michel Fokine, Léon Bakst, Alexandre Benois et d’une partie de sa troupe de danseurs, part à la conquête de Paris en inaugurant en 1909 sa première saison des Ballets russes au Théâtre du Châtelet. Habile meneur d’hommes, Diaghilev s’entoure des plus grands artistes de l’époque (compositeurs, chorégraphes, danseurs, peintres) afin d’éblouir la scène parisienne en reprenant des œuvres russes et en proposant des créations issues des nouvelles esthétiques. La réalisation de décors artistiques, de costumes aux couleurs vives et contrastées, les mises en scène novatrices contribuent à l’évolution du ballet classique. Pendant 20 ans, la compagnie alterne scandales et triomphes. La troupe se produit sur les scènes européennes, en Amérique, mais jamais en Russie. Malgré les tentatives vaines de ses derniers collaborateurs pour la maintenir, l’aventure des Ballets russes cesse à la mort de Diaghilev en 1929.
Poésie sonore
Les années 1960 vivent une formidable énergie créative sur le terrain de l’invention poétique. C’est l’alchimie des expérimentations « verbo-voco-visuelles », selon les mots du théoricien Marshall McLuhan. Une génération de créateurs exploite les potentialités sonores et visuelles du langage dans des formes innovantes d’écriture et de lecture. C’est ici l’expérience d’écoute et de vision qui s’élargit en renouant avec la fibre « optophonétique » des dadaïstes. Les adeptes de la poésie sonore sont également attentifs aux nouvelles expressions musicales performées dans le cadre du Domaine musical de Pierre Boulez, poursuivis plus tard par le Domaine poétique de Jean-Clarence Lambert à l’American Center for Students and Artists de Paris, prélevant des échantillons sonores issus du monde réel, à travers la musique concrète de Pierre Schaeffer et Pierre Henry ou bien exploitant les nouvelles techniques d’enregistrement sur magnétophone. Phénomène international, allant du Brésil jusqu’au Japon et en Suède, passant par le Canada, la poésie concrète, sonore et visuelle transgresse les limites du simple genre littéraire pour expérimenter la voix humaine dans sa dimension corporelle, ainsi que le potentiel iconique des mots, dans une constellation créative exceptionnelle.
Festivals Fluxus
Le terme Fluxus apparaît pour la première fois sur les invitations des trois conférences musicales « Musica Antiqua et Nova » organisées par George Maciunas en 1961, attestant du lien particulier qu’entretient le mouvement éponyme à la musique. En 1962 Maciunas, Dick Higgins et Alison Knowles, avec le concours d’autres artistes comme Joseph Beuys, Wolf Vostell, Giuseppe Chiari et Sylvano Bussotti, organisent une série de Fluxfestivals qui débuteront à Wiesbaden avec l’historique Fluxus Internationale Festspiele Neuester Musik. Les travaux de John Cage, Gyorgy Ligeti, Terry Riley y sont présentés à côté de ceux de Dick Higgins, George Brecht, Nam June Paik, Ben Patterson et de bien d’autres. Plusieurs festivals ont lieu successivement à Copenhague, Paris, Düsseldorf, Amsterdam, La Haye, Londres, Nice et marquent la diffusion rapide du mouvement. L’année suivante Fluxus s’empare de New York avec le YAM Festival, promu par George Brecht et Robert Watts, à travers une série d’événements performatifs, musicaux.
Brancusi et la musique
Brancusi a un lien naturel avec la musique. Même s’il n’a jamais étudié méthodiquement la musique, il avait une belle voix et il était capable de jouer du violon et de la guitare. Son compatriote, l’ethnomusicologue Constantin Brăïloiu, qui a contribué à créer les Archives internationales de musique populaire au Musée d’ethnographie de Genève, a constitué pour lui une discothèque éclectique d’environ deux cents disques réunissant des musiques de tous les pays, de l’Amérique latine à l’Inde et aux îles du Pacifiques, de la musique folklorique des pays européens au jazz américain. Habile artisan et mélomane, Brancusi a fabriqué lui-même un gramophone qui, ajouté à ses des deux pick-up, lui permettait de faire écouter ses musiques dans une ambiance joyeuse à ses amis, artistes, musiciens, danseuses, écrivains qui se réunissaient le soir dans son atelier. Parmi ses invités, le compositeur Erik Satie occupait une place privilégiée car, comme le constatait Henri-Pierre Roché dans ses Souvenirs sur Brancusi, « Satie éblouissait Brancusi. Il lui apprit l’escrime de la parole, la confiance en soi, la clarté. Brancusi fut le disciple de Satie-Socrate ».
« Beautés d’indifférence » : Esthétique du hasard en musique et dans les arts visuels
Tout au long du 20e siècle, l’idée de hasard a profondément marqué la création moderne, de la musique aux arts plastiques, ouvrant des ponts entre ces deux disciplines. Dès les années 1910, ce que le hasard comporte d’incongru et de destructeur permet à Dada de laisser libre cours à son esprit réfractaire à toute norme. Avec les 3 Stoppages-étalon (1913), que Marcel Duchamp définit comme son « premier usage du hasard en tant que médium », la création plastique s’affranchit des canons du Beau pour se tourner vers l’expérimentation. John Cage, initié au jeu d’échecs par Duchamp, fait sienne cette esthétique de la surprise et du banal, qu’il associe à la pensée zen : puisque selon lui la musique doit être avant tout une « affirmation de la vie », il invite les compositeurs à « laisser les sons être eux-mêmes », à l’instar de 4’33’’, sa pièce la plus exemplaire. Cage renonce à la mélodie – que Duchamp avait aussi en horreur, dénonçant le sentimentalisme de ses « effets boyaux de chat ». Tirant également les leçons de l’œuvre de Mark Tobey, empreinte de philosophie orientale, le compositeur devient un modèle, et souvent un maître pour nombre des artistes du mouvement Fluxus. Avec Zen for film (1964), transposition de 4’33’’ dans un dispositif filmique, Nam June Paik démontre que le hasard peut donner une couleur et des formes au silence.
Jean Dubuffet, Expériences musicales
Cette salle est dédiée aux « expériences musicales » menées par Jean Dubuffet (1901-1985) à deux moments de son parcours : une première fois en 1960-1961 ; une seconde fois en 1973-1974. Très tôt, les réflexions de Jean Dubuffet sur la musique populaire, le jazz et la musique arabe témoignent de son aspiration à une musique libérée des conventions de la musique occidentale, à laquelle il a été confronté dès son plus jeune âge à travers l’étude assidue du piano. Au début des années 1960, les expériences sonores novatrices de Dubuffet confrontent le « peintre » au « musicien ». Les conceptions de l’artiste en matière de musique sont en effet indissociables de ses recherches picturales, en particulier celles de deux ensembles d’œuvres essentiels : les Phénomènes, les Texturologies et les Matériologies ; L’Hourloupe, avec son point culminant, le « spectacle » Coucou Bazar. L’artiste recourt à toutes sortes d’instruments et explore les techniques d’enregistrement sur bande magnétique pour créer une musique inédite. À travers trois diffusions sonores, le poème La fleur de barbe, un documentaire de 1961 sur les expériences musicales de Dubuffet, et la version filmée du spectacle Coucou Bazar à Turin, le visiteur pourra mesurer les correspondances visuelles et sonores que l’artiste a cherché à établir.
Georges Braque, décorateur de théatre
Pour Braque, la musique tient une place essentielle. Il joue de la flûte et de l’accordéon, collectionne des instruments de musique et en représente dans ses natures mortes. Pour la compagnie des Ballets russes de Serge de Diaghilev du Théâtre de Monte-Carlo, Braque crée les rideaux de scène, les décors et les costumes de deux ballets, Les Fâcheux (1924) et Zéphire et Flore (1925). Pour Les Soirées de Paris du Comte de Beaumont, au Théâtre de la Cigale, il crée ceux de Salade (1924). Ces spectacles modernisent la comédie italienne et associent Braque aux plus brillants compositeurs et danseurs de l’époque (Georges Auric, Darius Milhaud, Boris Kochno, Léonide Massine et Serge Lifar). En 1950, pour Louis Jouvet, metteur en scène et interprète d’un Tartuffe sur une musique d’Henri Sauguet, Braque conçoit des décors « sobres et austères », en accord avec la vision de l’acteur. L’ensemble de maquettes et de dessins de Braque pour le spectacle réunis dans cette salle, vient d’être donné au Musée national d’art moderne, par Quentin et Annick Laurens.
Assemblage, Environments & Happenings
Assemblage, Environments & Happenings est le titre du livre légendaire d’Allan Kaprow écrit entre 1959 et 1961 et publié en 1966. Dans cet ouvrage, l’artiste réunit les expériences conçues autour du happening par Jim Dine, Red Grooms, Robert Whitman, Claes Oldenburg, Yayoi Kusama, George Brecht et Robert Watts entre autres. Kaprow et Oldenburg travaillent dans une grande proximité et ont tous les deux produit, pour la galerie Judson et la galerie Reuben, des environnements et des événements plaidant la continuité entre l’art et la vie. Les matériaux utilisés pour ces créations sont éphémères : des journaux, des ordures, des chiffons, des cartons, de la nourriture. Avec The Street, Oldenburg emploie des matériaux pauvres et symboliques, tandis que Kusama réalise des installations combinant objets trouvés et peinture.
Le musicien photographié
Qui incarne mieux la musique que celui ou celle qui la performe ? Populaire, jouant pour tous dans la rue, ou posant dans l’intimité du studio photographique, le musicien offre plusieurs visages. Dans les années 1910 et 1920, avant son exil à Paris, André Kertész (1894-1985) s’intéresse aux violonistes ou accordéonistes de son pays natal, la Hongrie. À cette même période, à Cologne, August Sander (1876-1964) dirige également son appareil vers ces formations musicales ambulantes. Dans son studio professionnel, il réalise aussi de nombreux portraits de musiciens illustres. Ce type d’images, souvent destinés à la promotion de leurs activités, est courante : les pianistes Yves Vat ou Walter Rummel, les compositeurs Edgar Varèse ou Arnold Schönberg, comme tant d’autres, seront ainsi immortalisés dans l’objectif d’un Man Ray (1890-1976), d’une Laure Albin-Guillot (1879-1962) ou d’une Germaine Krull (1897-1985).
L’abstraction et le modèle musical
À sa naissance, l’abstraction a eu besoin de s’autoriser de quelques modèles. La musique a été l’un des plus importants. À une peinture qui cherchait à se libérer de la représentation, la musique a offert un puissant cadre conceptuel. Les titres de plusieurs œuvres pionnières de l’abstraction, chez Kupka et Kandinsky par exemple, renvoient d’ailleurs à la musique. Si la peinture pouvait se faire abstraite, pure, comme la musique, une dimension essentielle de celle-ci lui échappait pourtant : le temps, le mouvement. L’abstraction picturale va trouver dans le film le moyen de se « musicaliser » encore davantage. C’est sous l’attraction du modèle musical que le cinéma abstrait voit le jour. Les rapports étroits ainsi noués par la peinture abstraite et la musique s’officialiseront au début des années 1930 avec la création du musicalisme.
Les ballets suédois
Cocteau, Picabia, Satie, Debussy, Milhaud, Léger, Bonnard, Clair, Chirico… « Quelle troupe de ballets a jamais offert un spectacle semblable qui assemblait à la fois les musiciens les plus illustres et les peintres qui sont l’illustration de l’art contemporain français ?… » L. Handler, Comoedia (15 février 1921). Créateur, mécène et directeur des Ballets suédois, Rolf de Maré propose le 23 octobre 1920 au théâtre des Champs-Élysées sa « générale publique ». Après les Ballets russes qui étonnent Paris depuis 1909, la troupe des Ballets suédois bouleverse très vite les codes traditionnels de la danse, en proposant un art scénique total. Mouvement et rythme, décors et costumes, tout se conjugue pour produire un nouvel art de la scène. L’aventure fut courte, s’achevant par l’ultime représentation de Relâche le 17 mars 1925, mais elle marqua durablement chorégraphes et danseurs du 20e siècle.
Partitions
Au cours des années 1950 s’opère un rapprochement inédit entre plasticiens et musiciens autour de nouveaux modèles de notation. L’avant-garde musicale remet en cause le rôle de la partition : elle n’est plus le lieu où un compositeur fixe le détail d’une structure sonore par le moyen de la notation musicale, mais devient plutôt un matériau offert à la créativité propre de l’interprète, grâce à des notations graphiques et verbales échappant à toutes les conventions et dont il faut parfois inventer le mode d’emploi. Du côté des arts plastiques, la possibilité formulée par Marcel Duchamp d’un art « non rétinien » ouvre pour la notation un usage inédit. Les artistes de Fluxus, tout comme certains artistes conceptuels, trouvent en elle le moyen de remettre en cause l’unicité mythique des œuvres d’art. Jusqu’aux années 1970, grâce à l’impulsion de compositeurs transdisciplinaires (tels John Cage ou Sylvano Bussotti) et du groupe Fluxus, le concept de partition (ou score), au lieu de singulariser la musique par rapport aux autres arts, constitue un trait d’union entre les nouveaux domaines de l’expérimentation artistique.
Les soirées de Paris (1905-1930)
De Montmartre aux boulevards de Montparnasse, les soirées de Paris du début du 20e siècle rapprochent des êtres hétéroclites. Rive gauche au Bal Bullier, les Delaunay, Blaise Cendrars ou Apollinaire se réunissent pour danser. On y donne des « bals travestis » et des « bals banals ». Boulevard Raspail, Guillaume Apollinaire et les artistes de l’avant-garde se rencontrent chez la baronne d’Oettingen. On y croise Léopold Survage qui a un petit atelier attenant à l’appartement. Rive droite, aux Folies Bergère, Kees Van Dongen observe les danseuses, tandis que rue Victor Massé celles du Bal Tabarin attirent l’attention de Man Ray. Au cours de ces soirées, on pratique les nouvelles danses sur les rythmes du fox trot, du tango ou bien du ragtime. Pendant les années 1920, le succès des revues de music-hall est à son apogée. En 1925, on découvre les pas incroyables de Joséphine Baker dans la Revue nègre et en 1929, la troupe américaine des Black Birds accompagnée par la voix d’Adelaïde Hall, conquiert le cœur des Parisiens.
Erik Satie
Erik Satie se présente en 1888 comme un « gymnopédiste », ce qui lui vaut d’être admis parmi les artistes du cabaret montmartrois Le Chat Noir. Compositeur inclassable, admiré par Debussy, Milhaud et Poulenc, sa démarche apparemment marginale est en prise directe avec le contexte artistique contemporain. Ami de Brancusi, Picasso, Cendrars et Cocteau, jouant ses œuvres dans les galeries, il est fasciné par le langage et le visuel. Satie pose ses notes sur le papier comme un poète calligraphe, traçant les portées à la main, sans barre de mesure, précisant l’intention et le rythme par des formules malicieuses (« en clignant de l’œil »…) En 1917, dans un esprit que l’on pourrait déjà qualifier de dada, il utilise des musiques trouvées, rendues répétitives, pour en faire des musiques d’ameublement, décoratives, à ne pas écouter. À partir de 1917, il compose pour plusieurs ballets : Parade (1917) avec Cocteau, Picasso et Massine, Mercure (1924) avec Picasso et Massine et Relâche (1924) avec Picabia, Börlin et René Clair, dont l’entracte cinématographique inaugure le genre de la musique de film. Satie parvient dans ces dernières œuvres à une collaboration absolue entre l’image et le son.