Cinéma / Vidéo
Intérieurs sensibles de Chantal Akerman
Films et installations – passages esthétiques
28 janv. 2022
L'événement est terminé
Le 28 janvier, le Centre Pompidou propose une réflexion sur le passage du film à l’installation dans l’œuvre de la cinéaste Chantal Akerman, et sur son expérimentation de ces deux médiums et dispositifs. Cette journée s’inscrit dans le cadre du colloque international « Intérieurs sensibles de Chantal Akerman » (Institut de recherche sur le cinéma et l'audiovisuel, Sorbonne Nouvelle).
À cette occasion, les engagements esthétiques et politiques de la cinéaste radicale Chantal Akerman sont replacés dans leur contexte historique, notamment avec la conférence de Bruce Jenkins, commissaire d’exposition et professeur à la School of the Art Institute of Chicago, collaborateur d’Akerman sur son premier projet d’installation et témoin direct de ses inquiétudes et de ses désirs liés à son entrée dans le monde de l’art contemporain. Un dialogue entre Claire Atherton (monteuse des films et des installations d’Akerman), et la chercheuse et réalisatrice Corinne Maury, met en valeur l’invention de nouvelles formes de narration et de montage dans l’espace. Carole Billy, directrice adjointe de la galerie Marian Goodman, présente l’exposition actuelle « Chantal Akerman. From the Other Side ».
La projection de la copie restaurée du film L’Homme à la valise (1983), dont le projet de restauration a été mené par l’Institut national de l'audiovisuel à la commande du Musée national d’art moderne, est introduite par Anaïs Brives, attachée de collection au service nouveaux médias du Centre Pompidou. Ce film, dont l’engagement formel inclut déjà une réflexion autour du geste d’images et du son spatialisés – un véritable espace sonore dont la compositrice Lara Morciano et la chercheuse Olga Kobryn proposeront une analyse en discussion avec l’artiste Emma Dusong –, constitue le point central de cette rencontre avec les identités de l’œuvre complexe d’une des cinéastes les plus radicales et les plus justes dans l’expression de la sensibilité de l’image.
Dans le cadre du colloque organisé par Olga Kobryn (Ircav, université Sorbonne Nouvelle / Ensta, IP Paris) et Macha Ovtchinnikova (Accra, université de Strasbourg) les 26, 27 et 28 Janvier 2022, en partenariat avec le service nouveaux médias du Centre Pompidou et le centre de l’université de Chicago à Paris.
Événement organisé par Olga Kobryn et Macha Ovtchinnikova en collaboration avec Nicolas Ballet, attaché de conservation, service nouveaux médias du Centre Pompidou.
Programme du colloque
Vendredi 28 janvier 9h30-15h30
Centre Pompidou / Cinéma 1
9h30-9h45 : Discours d’ouverture par Marcella Lista, conservatrice en chef, service nouveaux médias du Centre Pompidou.
9h45-10h45 : Images gravées / Espaces intimes
Conférence de Bruce Jenkins (School of the Art Institute of Chicago)
Cette conférence se concentre sur la première installation de Chantal Akerman – un remontage en trois parties, pour exposition dans une galerie, de son film D'Est tourné en 1993. Le film se présente, selon les mots d'Akerman, comme « un grand voyage à travers l'Europe de l'Est », qui commence au printemps, traverse les saisons et les frontières pour se terminer en pleine nuit, dans un Moscou hivernal – sa destination aussi bien géographique qu’esthétique. En revanche, la version-installation présente une rencontre marquée par la transmédialité : opérée à travers un collage vidéographique de paroles et de sons fracturés, de paysages et de portraits qui recontextualisent la trajectoire du film et déplacent la rencontre dans une série d'espaces intimes vus par un spectateur itinérant. Cette transformation entraîne une nouvelle approche de l’engagement par rapport à ce qu’Eisenstein appelait « les sentiments et l’esprit du spectateur ».
Il s’agit de mettre en lumière le processus de production et, en particulier, la période de deux années au cours desquelles Akerman avait développé des passerelles entre le film et la vidéo, la projection et l’affichage sur moniteur, la salle noire du cinéma et le cube blanc de la galerie. Sont également revisitées les influences du cinéma que Hollis Frampton appelait le cinéma de « nos prédécesseurs soviétiques » (Eisenstein et Vertov), les protocoles du « film structurel », les formes cinématographiques alternatives de la représentation de la Shoah, des projets pionniers d'installations vidéo, et le travail d'autres artistes contemporains tel que Christian Boltanski. Enfin, la période de la réalisation de l'installation – 1995, l’année du centenaire du cinéma – apparaît comme un moment privilégié pour imaginer de nouvelles formes et pratiques de l'image en mouvement pour le siècle à venir.
10h45-11h30 : Table ronde avec Bruce Jenkins et Carole Billy (directrice adjointe et responsable des expositions, galerie Marian Goodman Paris). Modération : Christa Blümlinger (université Paris 8).
11h30-12h30 : Déjeuner
12h30-13h15 : Présentation du film L’Homme à la valise (1983) de Chantal Akerman par Olga Kobryn (université Sorbonne Nouvelle) avec l’introduction autour du projet de restauration par Anaïs Brives (attachée de collection), suivie d’un dialogue avec Lara Morciano, compositrice, chercheuse à l’Ircam, et Emma Dusong (artiste et chercheuse, université de Picardie Jules-Verne.).
13h15-14h15 : Projection de L’Homme à la valise (1983) de Chantal Akerman
14h15-15h15 : On ne peut pas tout dire d'un monde
Dialogue entre Claire Atherton (monteuse) et Corinne Maury (université de Toulouse – Jean Jaurès).
Comment Chantal Akerman et Claire Atherton ont exploré ensemble une nouvelle forme de narration, par le montage dans l’espace.
Et aussi
Mercredi 26 janvier
Ensta Paris, 828 boulevard des Maréchaux Palaiseau / amphithéâtre Duhamel le Monceau
17h30-19h30 : avec Bruce Jenkins (School of the Art Institute of Chicago).
Organisé par Olga Kobryn et Antoine Gaudin, en partenariat avec le séminaire de recherche "Liberté(s) confinée(s) : histoire et actualité" (Université Sorbonne Nouvelle / ENSTA Paris).
Jeudi 27 janvier
Institut national d’histoire de l’art, 2 rue Vivienne 75002 Paris / salle Vasari
9h-17h30 : avec Christa Blümlinger (université Paris 8), Robert Bonamy (université Grenoble Alpes), Evgenia Giannouri (université Sorbonne Nouvelle), Bruce Jenkins (School of the Art Institute of Chicago), Olga Kobryn (université Sorbonne Nouvelle), Sarah Leperchey (université Paris 1 Panthéon-Sorbonne), Corinne Maury (université de Toulouse - Jean Jaurès), Macha Ovtchinnikova (université de Strasbourg), Ruby Rich (université de Californie Santa Cruz), Emmanuel Siety (université Sorbonne Nouvelle), Antonio Somaini (université Sorbonne Nouvelle) et Eugénie Zvonkine (université Paris 8).
Centre de l’Université de Chicago à Paris
16h15-18h30 : avec Mathias Lavin (université de Poitiers), Matthieu Couteau (université Sorbonne Nouvelle) et Raquel Schefer (CEC, université de Lisbonne ; IHC, Nouvelle Université de Lisbonne ; université du Western Cape).
Colloque « Intérieurs sensibles de Chantal Akerman : films et installations - passages esthétiques »
Chantal Akerman (1950-2015) est une cinéaste radicale et complète. Des films de fiction, essais filmés et documentaires aux installations d’images en mouvement, son art est celui d’une intrépide expérimentation formelle. Cette esthétique du geste expérimental a pour départ un positionnement et un engagement éthiques forts. Akerman est à l’origine de ce que Corinne Maury appelle la « caméra-logeuse » : à l’encontre de tout voyeurisme, d’un regard opposé à un autre, Akerman accueille l’autre à l’intérieur de son propre logis, le loge au sein de sa propre intimité. Il faut entendre ici les concepts d’« intime » et d’« intimité » en un sens philosophique, celui que leur prête la tradition issue de la pensée de Kierkegaard dont l’œuvre est fondée « sur une intimité qui s’est révélée être non pas le petit cercle que l’on promettait, mais proprement l’espace le plus infini » marqué par la « solitude qui est contraire d’un isolement » (Alain Cugnot). Akerman fait éprouver au spectateur le sentiment d’une extrême perméabilité au monde à travers la tenue du présent, le sensible immédiat pesé au poids de l’Histoire, la mise en scène d’une parole intime engagée dans l’espace public en tant que témoignage le plus radical de l’existence. L’intimité offerte et saisie par Akerman, le travail sur l’intime du point de vue des expressions formelles, visuelles et sonores, devient un espace possible à partager et à vivre en commun.
Ainsi les notions d’intérieur et d’intériorité sont intimement liées dans l’œuvre d’Akerman à la notion de passage : passages d’un extérieur fixe à une mobilité interne mitigée, d’un espace public à l’espace intime, d’une neutralité factice du cadre aux bouleversements profonds des corps. Le passage du film à l’installation a également été caractérisé par la même perméabilité des frontières entre l’extérieur, enclos au sein de l’espace intime d’une galerie, et l’intériorité mise à nu. Comment habiter un espace, l’investir de soi tout en préservant aussi bien sa propre intimité que celle de l’espace lui-même, et celle de l’autre – d’une autre identité, que ce soit la mère de la réalisatrice dans son dernier film No Home Movie (2015) ou encore ses personnages : de Jeanne Dielman à ceux de Je, tu, il, elle (1974), Toute une nuit (1982) et Histoires d’Amérique (1989) ?
Au cours de ce colloque, les films d’Akerman sont abordés par ce motif essentiel de l’espace intérieur, un motif qui permet également de mettre l’accent sur la partie de son œuvre moins étudiée – les installations. La mise en scène et le montage des espaces intérieurs dans les films d’Akerman, l’architecture complexe des espaces clos et de leurs temporalités, intègrent déjà une réflexion spatialisée et posent les prémices du travail sur l’installation. Comment le passage d’un médium à un autre se produit-il et comment les deux pratiques se complètent-elles et se répondent-elles ? Comment penser le paradoxe inscrit dans le geste et dans l’acte d’installation et d’exposition de matières aussi sensibles que l’intériorité ou encore l’intimité ? De quelle manière ces installations mobilisent-elles le spectateur et spatialisent-elles l'écran plat du cinéma dans l'espace itinérant de la galerie ?
Enfin, une réflexion sur la définition contemporaine de l'esthétique et de ses enjeux théoriques – à travers l'étude de l'incorporation de la pensée et de l'engagement dans les formes – constitue le fil conducteur de ce colloque. Plutôt qu’une discipline philosophique autonome, l’esthétique peut être envisagée, à travers l’œuvre d’Akerman, comme un acte d'engagement aussi bien du point de vue formel qu'éthique qui, transposé dans l'espace public, devient un acte politique : une « résistance de l’œuvre qui s’insurge contre l’autorité du discours, contre l’hégémonie discursive » (Jacques Derrida).
Olga Kobryn et Macha Ovtchinnikova
Quand
9h30 - 15h30
Où
Partenaires
Chantal Akerman, Je, tu, il, elle, l'installation, 2007, installation vidéo
© Courtesy Chantal Akerman Foundation & Marian Goodman Gallery, New York, Paris, London.