Cinémathèque du documentaire
Les Blank & Ross Brothers • Americana
12 avril - 9 juin 2023
L'événement est terminé
Western de Turner Ross & Bill Ross IV © Michael Gottwald, Bill Ross IV, Turner Ross (DR)
Dans son recueil d’essais Americana: Dispatches From the New Frontier (2003), l’historien Hampton Sides, troublé par le fait d’être immédiatement reconnu comme Américain à l’étranger, affirme ne pas savoir ce que signifie l’Amérique, tant la réalité de ce pays si vaste lui paraît trop complexe. Mais il admet d’emblée que les récits sur l’Amérique débordent de personnages, d'énergies et de lieux emblématiques qui appartiennent - inextricablement, incontestablement - à ce pays et à ce pays seul.
Western de Turner Ross & Bill Ross IV © Michael Gottwald, Bill Ross IV, Turner Ross (DR)
Les cinémas de Les Blank (1935-2013) et des frères Turner et Bill Ross regorgent littéralement de cette “américanité” qu’ils vont chercher dans le pays profond : celui que traverse la grande aorte de l’Amérique, ce Mississipi et ses affluents qu’empruntent (en péniche !) dans leur homemovie épique, River (2013) les frères Ross, de leur Ohio natal à La Nouvelle-Orléans, à travers autant de contrées fétiches de l’univers de Les Blank. Qu’il s'agisse des portraits de musiciens de blues et de jazz de Louisiane ou des rencontres des frères Ross avec les habitants des petites villes périphériques, leurs histoires, leurs apparences et leurs environnements sont tous immédiatement reconnaissables comme “typiquement américains”.
Né à Tampa en Floride, Les Blank est un enfant du “cinéma direct” américain et du mouvement flower-power de la fin des années 1960. C’est Le Septième sceau de Bergman qui le pousse à faire du cinéma et, après quelques films de commande, il décide de prendre son indépendance en créant sa propre structure ; désormais il fera les films qu’il a envie de faire. Au total, Les Blank a réalisé une cinquantaine d'oeuvres dont plusieurs ont reçu le label culturellement, historiquement ou esthétiquement significatif de la Library of Congress à Washington.
Paradoxalement, son film le plus connu, Burden of Dreams (1982), récit du tournage apocalyptique du film Fitzcarraldo de son ami Werner Herzog, est une oeuvre à part, car tournée dans la jungle en Amérique latine. Blank préfère sillonner son propre pays, à la rencontre de musiciens de jazz ou de blues (Dizzy Gillespie, Lightnin’ Hopkins) ou des chanteurs folk (Leon Russell, Tommy Jarell). Il les filme en général chez eux, dans leur propre environnement, le Texas, la Louisiane, le Mississippi, la Caroline du Nord, parce que c’est là que l'on peut capter le mieux le personnage et sa musique. Blank s’intéresse particulièrement à la musique des cajuns, une tradition unique jouée à la fois par des Blancs francophones et par des Afro-Américains. Elle est là, l'Amérique de Les Blank : un pays où les traditions venues d'ailleurs ont trouvé une terre d'accueil où se mélanger et prospérer.
Dans ses films, Les Blank ne se révèle pas seulement comme un cameraman éblouissant et habile - il est très mobile avec sa caméra 16mm et il voit tout - il écoute aussi beaucoup. Une grande partie de sa narration passe par la musique et c’est particulièrement saisissant dans Chulas Fronteras (1978), où les chansons racontent la discrimination et l’exploitation des mexicains au Texas par les “gringos” et les “rangers”. Dans ces différentes cultures, musique et cuisine vont de pair et le bon vivant Les Blank s’attarde souvent sur ce dernier aspect. L’un de ses films préférés et l'un des plus étonnants est d’ailleurs consacré à la culture de… l’ail en Amérique Garlic Is as Good as Ten Mothers (1980).
Always for Pleasure (1978) constitue l’un des sommets du cinéma de Les Blank. Il filme La Nouvelle-Orléans à la fête, notamment le Mardi gras célébré par la communauté afro-américaine de la ville. Il le fait avec une énergie et un plaisir qui séduisent toujours, 45 ans après. Blank n’oublie pas de souligner qu’à l’origine, les Noirs étaient obligés de fêter ce jour-là, toute autre manifestation festive leur étant interdite.
Always for Pleasure est l'un des films préférés de Bill et Turner Ross, deux frères qui depuis 15 ans construisent ensemble une oeuvre remarquable. On doit tout à Les Blank, dit Turner. C’est sans doute la liberté et l’esprit d’immersion qu’exprime Blank dans ce film qui a motivé la fratrie. Mais c’est aussi le décor de la Nouvelle-Orléans qui les a attirés : Tchoupitoulas (2012) a été tourné dans cette ville, où ils habitent et travaillent. Les frères Ross sont pourtant originaires du Midwest américain et ils débutent leur carrière à Hollywood. En 2007, ils décident de tourner le dos à la Californie et à l’industrie du cinéma pour retrouver le plaisir de travailler ensemble. Avec leur premier long métrage, 45365, chronique de la vie quotidienne dans leur ville de naissance dans l’Ohio, les deux frères s’affirment immédiatement comme des acteurs majeurs du documentaire indépendant américain : sélectionné au prestigieux festival SXSW à Austin de 2009, le film y obtient le prix du meilleur documentaire.
Suivent Tchoupitoulas (2012, sélectionné à Cinéma du Réel), où ils suivent la dérive de trois frères accompagnés de leur chien lors d’une longue nuit à la Nouvelle-Orléans et Western (2015) récit de la vie à la frontière entre le Texas et le Mexique en proie à des violences croissantes, primé au Festival de Belfort.
Le cinéma des frères Ross a l’apparence du cinéma direct, établi sur l’observation spontanée, mais leurs films sont en vérité le fruit d’une préparation et d'une mise en scène minutieuses. Le tournage de Tchoupitoulas a duré neuf mois et cette préparation est encore plus présente dans Bloody Nose, Empty Pockets (2020) : les personnages qui peuplent un bar à Las Vegas sur le point de fermer ont été soigneusement sélectionnés après un casting et le tournage a eu lieu à… La Nouvelle-Orléans, localisation plus pratique.
Ce sont des procédés que les deux frères assument sans hésitation. Nous n'avons jamais essayé de dissimuler la façon dont nous avons fait ce film, dit Turner Ross. Au départ, notre but n’était pas de devenir des cinéastes du documentaire ; on a toujours utilisé les moyens qu’on jugeait nécessaires pour réaliser le film qu’on avait en tête et pour capturer des moments authentiques.
L’authenticité, c’est peut-être la meilleure définition du travail des frères Ross et de Les Blank, qui parviennent à nous restituer les images d’une Amérique multiple, tout en évitant les clichés habituels.
Harrod Blank, fils du réalisateur, sera à Paris, accompagné par Maureen Gosling, coréalisatrice des films de Les Blank pendant des années. Ils présenteront plusieurs restaurations récentes (notamment celle de Burden of Dreams) et quelques films terminés après la mort de Les Blank.
Bill et Turner Ross viendront à Paris avec, dans leur valise, un moyen métrage spécialement conçu pour la rétrospective, Rose City Hurricane, bilan de 15 ans de vie de cinéma indépendant.
Harry Bos
programmateur du cycle
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The Blues Accordin’ to Lightnin’ Hopkins © Les Blank Films / Western © Michael Gottwald, Bill Ross IV, Turner Ross (DR)