Cinéma / Vidéo
Sergeï Paradjanov
15 déc. 2021
L'événement est terminé
Récemment acquis par le Musée national d’art moderne, les trois courts métrages Les Fresques de Kiev (1966), Hakob Hovnatanian (1967) et Arabesques sur le thème de Pirosmani (1985) laissent transparaître toutes les composantes du cinéma de Paradjanov dont les chefs-d’œuvre (Les Chevaux de feu [1964], Sayat Nova – Couleur de la grenade [1968]) deviennent l’objet d’une véritable fascination en Europe occidentale où ils commencent à circuler à partir de la fin des années 1970 : mélange de motifs traditionnels et d’obsessions personnelles (travail sur le tableau vivant, goût pour les accessoires et les costume, qu’il réalisait lui-même).
Sergeï Paradjanov, né en 1924 à Tbilissi en Géorgie, est mort en 1990 à Erevan, en Arménie. Après des études de cinéma au VGIK, la prestigieuse école de cinéma de Moscou où il suit le cours d’Alexandre Dovjenko, il travaille pour les studios cinématographiques de Kiev puis pour les studios Géorgiens en Arménie. Dans les films qu’il réalise à partir du commencement des années 1950, Paradjanov va graduellement s’éloigner de la grammaire soviétique pour élaborer une œuvre en prise directe avec les traditions des régions où il tourne (Ukraine, Géorgie, Azerbaïdjan, Arménie) et dont il soutient les visées indépendantistes ce qui lui vaudra d’être condamné à plusieurs reprise sous des prétextes divers (homosexualité, trafic d’œuvres d’art) à des peines de prison à partir des années 1980. Développant une œuvre prolifique et transdisciplinaire à la croisée de l’art conceptuel et du folklore, Paradjanov, qui disait tenir son goût pour les objets d’art et les collections de son père antiquaire, a aussi été musicien, peintre, mosaïste, décorateur... Dans son œuvre de plasticien, les collages qu’il réalisait lorsque le pouvoir soviétique l’empêchait de tourner et qu’il considérait comme des films compressés occupent une place toute particulière.
Invité à présenter cette séance, le cinéaste, producteur et programmateur Daniel Bird revient sur la restauration de l’œuvre cinématographique de Paradjanov dont il est à l’initiative depuis de nombreuses années.
« Il est tentant de considérer ces trois courts métrages – Hakob Hovnatanian (1967), Les Fresques de Kiev (1966), et Arabesques sur le thème de Pirosmani (1985) – comme de simples anecdotes dans la carrière haute en couleur de Sergeï Paradjanov (1924 – 1992). Ils sont bien plus que cela.
Paradjanov a réalisé Hakob Hovnatanyan pendant la préproduction de son chef-d'œuvre, Sayat Nova – Couleur de la grenade (1969). À première vue, il s'agit d'un documentaire sur le portraitiste arménien du 19e siècle, Hakob Hovnatanian. Tourné à Tbilissi, capitale de la Géorgie, le film est surtout remarquable par son utilisation du son, voire même du silence. Cela n’a rien d’une surprise quand on sait que ce dernier a servi de diplôme de fin d’étude à l'ingénieur du son, Yuri Sayadyan. Ce dernier collaborera par la suite avec Tigran Mansuryan pour la bande originale de Sayat Nova – Couleur de la grenade. Inspiré par Pierre Schaeffer et Pierre Henry, Sayadyan a abordé la bande originale de Hakob Hovnatanian comme une composition de musique concrète.
De ces trois films, Les Fresques de Kiev est sans doute le plus important, notamment parce qu'il révèle l’esthétique poétique de Couleur de la grenade sous une forme embryonnaire. Il s'agit d'un bricolage d'essais de caméra pour un film qui n'a jamais été produit. Le film a été officiellement commandé par les studios Dovjenko pour commémorer l'anniversaire de la Grande Guerre patriotique. Comme son titre l’indique, il s’agissait d'une séquence de fresques cinématographiques, dans lesquelles le naturalisme est rejeté et l'artifice adopté. Des peintures sont omniprésentes, comme la Parsuna d’Hetman et une œuvre contemporaine du peintre ukrainien Hryhorii Havrylenko, Deux femmes dans la nature. Ce qui aurait pu être une succession de tests d’appareils conservés pour la postérité se transforme en une œuvre qui sert à la fois de document historique et de déclaration d’intention artistique.
Tourné peu de temps après La Légende de la forteresse de Souram (1984) de Parajanov, Arabesques sur le thème de Pirosmani est à la fois une pièce complémentaire et un développement de Hakob Hovnatanian. Les œuvres du célèbre peintre naïf géorgien du début du 20e siècle sont à la fois le sujet de Paradjanov et le contrepoint de rêveries, de fantaisies mettant en scène Pirosmani et les thèmes de son œuvre. Un fort sentiment de mélancolie imprègne le film – comme Hakob Hovnatanian, le gagne-pain de Pirosmani est éclipsé par la technologie émergente de la photographie. Les deux films ne se réduisent pas cependant à une simple complainte sur un genre pictural en voie de disparition, et font la part belle aux rêveries et aux fantaisies du vieux Tiflis prérévolutionnaire.
Les trois courts métrages ont été restaurés à partir des négatifs originaux en résolution 4K sous la supervision de Lukasz Ceranka (Varsovie). Ce projet n'aurait pas été possible sans la coopération et le soutien du Centre national du cinéma arménien (Erevan), du Centre Dovzhenko (Kiev), de Georgian Film (Tbilissi), de Gosfilmofond de Russie (Belye Stolby), du CPC Londres, de Kino Klassika (Londres), de l'AGBU (New York). »
Daniel Bird, The Hamo Bek-Nazarov Project(traduit de l’anglais)
Remerciements : Daniel Bird, National Cinema Center of Armenia, du Oleksandr Dowzhenko Natinal Center, Georgian National Film Center, The Hamo Bek-Nazarov, Fixafilm, Armenian General Benevolent Union (AGBU) et Kino Klassika.
Sergeï Paradjanov, Les Fresques de Kiev, 1966, film 35mm, couleur, sonore, 15 min
Sergeï Paradjanov, Hakob Hovnatanian, 1967, film 35mm, couleur, sonore, 10 min
Sergeï Paradjanov, Arabesques sur le thème de Pirosmani, 1985, film 35mm, couleur, sonore, 20 min
Quand
19h - 21h
Où
Partenaires
Sergeï Paradjanov, Arabesques sur le thème de Pirosmani (détail), 1985
© Georgian Film production