Serge Lasvignes : « Pierre Boulez a puissamment contribué à la force pluridisciplinaire du Centre Pompidou. »
Disparu le 5 janvier 2016, Pierre Boulez a marqué notre temps. Traversant toutes les mutations vécues par le 20e siècle, dont la révolution numérique ne fut pas la moindre, il s’est employé à réduire la distance entre l’utopie et le pragmatisme, entre la vision et l’action, entre l’idée et sa mise en œuvre.
Compositeur et théoricien, l’un stimulant l’autre, il fut aussi un interprète et un pédagogue acharné, un polémiste redouté et un fondateur d’institutions. Homme de rupture, il garda une attention continue pour la transmission. Passionné par les avancées de la science, de la technologie autant que par les arts visuels, l’architecture et la littérature – sa musique s’est alliée à la poésie de Char, de Mallarmé et de Cummings –, il a encouragé des parentés entre les disciplines et pointé de magnifiques constellations : Debussy-Cézanne, Varèse-Léger, Schönberg-Kandinsky, Webern-Mondrian. Par son sens unique des traversées, Pierre Boulez a puissamment contribué à la force pluridisciplinaire du Centre Pompidou. Son esprit et son talent précurseurs ont pleinement rencontré la vision fondatrice de Georges Pompidou : à sa demande il a créé l’Institut de recherche et coordination acoustique/musique, l’Ircam.
Pierre Boulez a puissamment contribué à la force pluridisciplinaire du Centre Pompidou.
Serge Lasvignes, président du Centre Pompidou
La volonté de faire dialoguer scientifiques et artistes trouve l’un de ses modèles dans l’esprit du Bauhaus. C’est en particulier dans la figure de Paul Klee et de ses cours au Bauhaus que Boulez s’est reconnu. « Jusqu’à ma rencontre avec Klee, je ne raisonnais qu’en musicien, ce qui n’est pas toujours le meilleur moyen d’y voir clair » écrivait‑il en 1989. La puissance de déduction, l’intelligence des structures, l’art de la variation, l’élaboration d’une œuvre organique, autant de motifs communs à deux univers artistiques autonomes. Cette « frontière fertile » entre la vision et l’écoute, pour paraphraser le titre du livre que Boulez consacra à Klee (Le Pays fertile : Paul Klee, 2008, ndlr), désigne le choc de la rencontre avec une œuvre, la « commotion involontaire ». En 2002, dans L’Œil musical, Pierre Boulez écrivait encore : « Klee propose surtout une grande leçon de composition. Il avait une culture musicale très vaste, incomparablement plus approfondie que celle de la plupart des peintres. Il avait étudié la musique, pratiqué le violon, et avait donc une connaissance pragmatique de la musique. Mais ce n’est pas tellement cet aspect qui m’importe, car la musique n’est pas restée le principal sujet de préoccupation de Klee. Ce que je constate surtout c’est qu’à partir de ces données musicales, il a développé des notions de composition dans des textes révélateurs qui font des leçons du Bauhaus non seulement un modèle de réflexion, mais un document qui concerne directement la composition musicale. » (Pierre Boulez, Éclats 2002, entretiens avec Claude Samuel, 2002). L’héritage de Pierre Boulez est aussi celui‑là, que chacun peut éprouver dans son expérience personnelle : celui de l’art qui révèle et transmute. ◼
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© DR
Illustration © Stéphane Trapier
Ce texte est initialement paru dans Code Couleur, n°25, mai-août 2016, p. 8-9.