
Romain Brau, artiste de scène : « Le cabaret est un art où l’on peut tout être. »
Romain Brau revient tout juste de Los Angeles, où il a frisé « l’overdose de tacos », et où il envisage d’ouvrir son cabaret, avec une bande d’ami·es. Il a pris le temps de repasser par son pied-à-terre normand pour y récupérer une partie de sa flamboyante garde-robe, de savourer un bœuf Wellington (même s’il n’exclut pas, un jour, de devenir végétarien), avant de traverser le Marais « maquillé comme un camion » pour s’installer dans l'une des loges des salles de spectacle du Centre Pompidou.
Au mur, un poster aux couleurs passées de l’exposition « Jean Cocteau, l’enfant terrible » (2004), comme un signe. Partout des tenues de lumière : talons roses à perles, veste pied-de-coq, truc en plume vert et jaune que ne renierait pas Zizi Jeanmaire, large chapeau noir fabriqué de ses mains… Lorsqu'on évoque son intrigante paire de lunettes ananas, Romain Brau rit aux éclats : « Pour le Cabaret Extra!, je voulais que ce soit très pop, riche visuellement, qu’on se dise : c’est quoi ces lunettes ? C’est quoi cette robe ? » Sous sa direction artistique, le festival, conçu comme une revue vivante, propose ainsi une série de numéros variés qui mêlent écriture, performance et fête collective. « Le Centre Pompidou était ma fenêtre sur le rêve », dit-il, se remémorant les heures passées à la Bibliothèque publique d'information (Bpi) pour y réviser son bac.
Romain Brau, c'est une silhouette élégante et souple, et une abondante chevelure rousse — son style signature. En 2015, il relance Madame Arthur, premier cabaret travesti de Paris, fondé en 1946. Il y voit à la fois un puissant vecteur d’émancipation et d’affirmation de soi, à rebours de l’image poussiéreuse qu’il en avait a priori : « Un caniche de vingt-trois ans et une carne qui jongle et tousse entre trois clopes. Dans un coin, un accordéon crevé », se remémore-t-il, un brin sarcastique. Mais c’est aussi parce que le cabaret est à la frontière, aux confins des genres, que ça lui plaît : à la fois danse, chant, poésie, histoires drolatiques.
On a besoin de rire aujourd’hui, mais il faut continuer à se battre, rien n’est acquis. Le cabaret est un art où l’on peut tout dire, où l’on peut tout être.
Romain Brau
L'artiste se nourrit alors de l’histoire de grandes figures trans et travesties qui ont fait la légende du lieu — ses « guerrières », comme il les appelle. Il évoque l'artiste de scène Bambi, assignée homme à sa naissance en Algérie, en 1935 : « C’était très courageux de sortir comme ça dans les années 1950. » Ou encore Coccinelle, autre égérie transgenre, ainsi que tous les souvenirs retrouvés pêle-mêle dans les coulisses de Madame Arthur. « Elles ont vraiment bossé pour nous. Leur combat nous oblige. », souffle-t-il, ému. Dans les années 1960, Madame Arthur comptait parmi le public de grandes figures de la culture gay, comme les deux Jean, Cocteau et Marais, Marlène Dietrich, ou encore Barbara – dont Romain Brau murmure qu’elle aurait été, un soir, morigénée par Bambi pour ses bavardages pendant son tour de chant. Pour lui aussi, la scène est un exutoire : « On a besoin de rire aujourd’hui, mais il faut continuer à se battre, rien n’est acquis. Le cabaret est un art où l’on peut tout dire, où l’on peut tout être. »
C'est en 2019 que l’artiste se fait véritablement connaître du grand public en passant du cabaret au cinéma avec le rôle marquant de Fred, dans la comédie Les Crevettes pailletées, qui met en scène une improbable équipe de water-polo gay. « Je ne voulais pas prendre la place d’une artiste transgenre, alors que moi je suis artiste travesti. J'ai donc proposé à l'équipe le rôle d’un personnage en transition. » Depuis le succès de ce film à petit budget, suivi d’un deuxième opus, il enchaîne les tournages, dont une série internationale avec Michael Douglas (Franklin, sur Apple TV+), tout en gardant les pieds bien ancrés sur scène, avec un premier spectacle solo Romain Brau allume les étoiles en 2023.
Romain débute comme mannequin alors qu’il n’a que quinze ans, sous l’œil presque ennuyé d’un directeur d’agence en vue, avant de rejoindre, au tournant des années 2000, l’Académie royale des beaux-arts d’Anvers. D’où il sort diplômé en section mode.
Harcelé pendant sa scolarité dans les années 1990, « condamné dès la cour de récré », le jeune Romain rêve devant les photos des défilés de Jean Paul Gaultier. Il observe sa mère, flamboyante professeure de patinage artistique, lorsqu’elle se maquille. Très tôt, il ressent un besoin vital de se faire la malle, loin de Varenne-Saint-Hilaire dans le Val-de-Marne. Ses parents, aujourd'hui fiers du chemin parcouru ensemble, sont alors dans l'incompréhension. Alors qu’il voulait être peintre, sculpteur, performeur, on lui rétorque : « Au pire, tu seras steward. »
Il débute comme mannequin alors qu’il n’a que quinze ans, sous l’œil presque ennuyé d’un directeur d’agence en vue, avant de rejoindre, au tournant des années 2000, l’Académie royale des beaux-arts d’Anvers. D’où il sort diplômé en section mode. Il y développe un amour et un goût infinis pour le vêtement, qu’il considère comme une seconde peau, un vecteur d’émotion, voire de vérité (il a ouvert plusieurs concept stores, et crée notamment les costumes du chorégraphe François Chaignaud).
Derrière le personnage de scène exubérant en forme de carapace, comme une timidité fragile. Romain avoue d'ailleurs cerner les gens qu’il croise grâce à l'astrologie, dont il est fan (scoop : il est Balance, ascendant Sagittaire). Alors qu'il prend la pose pour les portraits, il conclut dans un grand éclat de rire : « Je n’ai jamais prétendu exprimer quelqu’un d’autre que moi. La scène est une extension de moi-même. » ◼