Aller au contenu principal

Plus belle la ville, avec l'architecte Sara de.Gouy

Plus joyeuse, plus poétique, plus durable : la ville est au au cœur des recherches formelles de la designeuse, architecte et plasticienne Sara de.Gouy. Des cours de récréation à un projet d'abri-refuge sur les chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle, elle propose des espaces en harmonie avec celles et ceux qui les fréquentent, suite à un indispensable processus de co-conception. Pour la Galerie des enfants, elle a conçu l'exposition-atelier « Il était une ville » (2025). Rencontre avec une amoureuse de la couleur.

± 6 min

Pour rejoindre Sara de.Gouy, designeuse d’espace, plasticienne et architecte, il faut gravir les pentes de la Croix-Rousse, à la fois colline et quartier de Lyon. L’atelier partagé où elle travaille, dans une rue calme ouvrant sur une place carrée, se niche dans un ancien atelier de canuts, ces tisserands de la soie qui firent la fortune de la ville, également célèbres pour leurs grands soulèvements ouvriers. L’âme du lieu, qu’on imagine lumineux sous le soleil, avec ses verrières et ses hauts plafonds, et sa large palette de couleurs, en dit long sur ses occupant·es. C’est ici un endroit studieux, chaleureux, où un rien de fourbi et l’accumulation, çà et là, de matériaux divers, de maquettes, d’affiches, de pinceaux… renseignent sur la nature artistique et créatrice des activités qu’on y pratique. Partout, des touches de couleur, on s'y sent bien.

La Drômoise d’origine a d’abord commencé par une formation d’arts appliqués à Lyon, avant de poursuivre par des études d’architecture d’où elle sort diplômée en 2012, l’autorisant à intervenir sur des surfaces plus vastes. Un prérequis pour la jeune femme, si attachée à la transversalité des échelles de projets . « J’aime travailler à différentes échelles, confie-t-elle, du mobilier urbain, à des équipements publics de cinq mille mètres carrés. » Quatre-vingt-dix pour cent de ses réalisations, d’ailleurs, sont publiques, traduisant son engagement pour une architecture et un design pour toustes, ouverts sur la ville et pensés pour les usagers. « Intervenir dans l’espace public pour améliorer le quotidien des gens, voilà le cœur de ma démarche. Leur apporter un espace plus beau, plus fonctionnel, plus coloré, plus ludique. » Puis de citer comme source d’inspiration le Centre Pompidou (ouvert en 1977), des architectes Renzo Piano et Richard Rogers, pour sa porosité avec la cité, ou la cité radieuse du Corbusier (achevée en 1952) pour le mélange réussi de ses programmes architecturaux ; des logements, des commerces, un hôtel…

 

Intervenir dans l’espace public pour améliorer le quotidien des gens, voilà le cœur de ma démarche. Leur apporter un espace plus beau, plus fonctionnel, plus coloré, plus ludique.

Sara de.Gouy

 

Cette diversité qui lui tient à cœur on la retrouve dans le programme l’Autre Soie à Villeurbanne, auquel elle a collaboré ; cet ancien Institut universitaire de formation des maîtres, un bâtiment art déco des années 1930, accueille dorénavant des logements, dont une partie pour étudiant·es et migrant·es, des espaces de travail, des ateliers d’artistes, ainsi qu’un amphithéâtre, un parc, un tiers-lieu, etc. « Que les villes développent ce type de programmes est hyper important. Ça invite les gens à se mélanger dans des espaces communs. » C’est elle aussi qui a créé à la Duchère, autre quartier lyonnais, le mobilier urbain in situ au pied de la haute tour panoramique. La ligne aérienne de ses structures colorées n’est pas sans rappeler la verticalité de la tour. Radicalement différent dans la forme, son Pecten Maximus, une œuvre d’art refuge qui s’installe le long du GR65, l’un des chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle ; l’abri, composé de plus de quinze mille coquilles Saint-Jacques, dont la partie plate forme des tuiles, et la partie bombée s'agrège dans un béton marin spécialement inventé pour l'occasion, est en parfaite osmose avec le lieu classé à l’Unesco, recouvert par les eaux au Jurassique. « La coquille Saint-Jacques, raconte Sara de.Gouy, représente chaque année plusieurs milliers de tonnes de rebuts en France, souvent sans solution de valorisation. Pourquoi ne pas la transformer en matière première pour la construction ? Sans compter que la symbolique de la conque est ancrée dans notre histoire depuis le Moyen Âge. C’est dans cette perspective que j’ai imaginé un refuge construit à partir de ces déchets ; lieu de protection, mais aussi espace propice à la rêverie. »

 

La coquille Saint-Jacques représente chaque année plusieurs milliers de tonnes de rebuts en France, souvent sans solution de valorisation. Pourquoi ne pas la transformer en matière première pour la construction ?

Sara de.Gouy

Ces projets si différents dans leurs usages ont en commun la durabilité des matériaux utilisés, leur adéquation avec le lieu – et le fait qu’ils soient nés de la rencontre de l’architecte-designeuse avec les usagers. Loin d’être une posture, la réussite de ses projets architecturaux n’est possible que dans une démarche participative, au cœur même de la conception. « La co-conception permet d’élaborer un cahier des charges précis en concertation avec les usagers. Bien entendu, chaque projet pose ses propres contraintes  ; budgétaires, spatiales, etc. Elles doivent être intégrées dès le départ afin de ne pas engendrer de déception ni d’entacher la confiance en ce type de pratiques collaboratives. » Les nombreux échanges et ateliers qui viennent nourrir cette démarche novatrice permettent de produire un cahier des charges au plus près des futurs usages. À la charge de l’architecte-designeuse restent cependant les choix purement esthétiques comme les couleurs et les formes – un vocabulaire de l’épure et de la couleur ; les designers danois Verner Panton (1926-1998) et français Jean Prouvé (1901-1984) ne sont pas loin. « Pour moi, dit-elle, le design est social par essence. Il doit être accessible aux gens. Tout le mobilier scolaire conçu par Prouvé a une vraie fonctionnalité. » La forme, donc, au service de la fonction.

 

Pour moi, le design est social par essence. Il doit être accessible aux gens.

Sara de.Gouy

À l’instar du père de la célèbre chaise scolaire n° 806, Sara de.Gouy s’adresse aussi aux enfants, en se consacrant notamment au domaine par excellence du loisir et de l’apprentissage de la sociabilité : la cour de récré. L’observation de la manière dont se répartissent les espaces et une série d’ateliers thématiques permettent de concevoir la cour idéale, avec une redistribution plus équitable des zones de jeux ou de repos.C’est ainsi qu’à Sorbiers, dans la Loire, les classes de CP et de CE2 de l'école Magand ont imaginé une nouvelle cour et sa cabane sur le thème de la pluie et du beau temps, installée en 2024. À Yssingeaux, en Haute-Loire, c'est l’école Jean de la Fontaine (1621-1695) qui se verra prochainement dotée d’une cabane-perchoir et d’une cabane-tanière, imaginées à l’issue de six ateliers avec des classes de moyenne section et de CE1, l’occasion de découvrir le métier d’architecte ou de dessiner sa cabane idéale.

 

Sara de.Gouy s’adresse aussi aux enfants, en se consacrant notamment au domaine par excellence du loisir et de l’apprentissage de la sociabilité : la cour de récré.

 

C'est également selon ce processus qu’a été conçue l’exposition de la Galerie des enfants « Il était une ville ». Deux classes de la rue des Pyrénées, dans le vingtième arrondissement parisien, ont participé aux côtés de Sara de.Gouy à une série d’ateliers, de balades urbaines, ou de visites au Centre Pompidou, pour imaginer une ville de rêve, à hauteur d’enfants. Nul doute, avec Sara de.Gouy, que la ville de demain sera plus belle, plus vivante, propice aux rencontres, et en harmonie avec les éléments naturels. L'étudiante qui, un jour de charette, était venue se reposer au Musée, aurait-elle pensé y revenir pour un si généreux projet ? ◼