Aller au contenu principal

L'histoire secrète de la Nike Air Max, la basket qui s'inspire de l'architecture du Centre Pompidou

INÉDIT ► Incroyable mais vrai ! Lancée en 1987, la Air Max 1, modèle culte de la marque à la virgule, puise son design dans les codes architecturaux de l'emblématique bâtiment signé Renzo Piano et Richard Rogers. Dessinée par la star du genre Tinker Hatfield, elle reprend l'idée d'une structure en grande partie transparente — c'est ainsi la première semelle dans laquelle la bulle du coussin d'air est visible. Retour sur la genèse d'une chaussure devenue iconique.

± 9 min

Beaverton, Oregon, 1986. Un jeune trentenaire fraîchement nommé au département design de Nike fait une invraisemblable proposition lors d’une réunion de travail. Son idée ? Rendre visible, grâce à une bulle transparente, la technicité du système Air — une innovation brevetée en 1979 qui utilise de l'air sous pression dans la semelle pour offrir un amorti incomparable. Il s’appelle Tinker Hatfield.

 

Vendu depuis à des millions d’exemplaires dans le monde et décliné dans des dizaines d'éditions limitées depuis plus de trente ans, le modèle Air Max est désormais un véritable totem de la culture sneaker.

 

Sa proposition est d’abord très mal accueillie par les cadres de l'équipementier, qui craignent que les clients ne soient rebutés par l’apparente fragilité d’une telle semelle. En 1987, pourtant, la marque à la virgule lance un tout nouveau modèle de chaussures de course avec la fameuse bulle apparente : la Air Max 1. Et elle est entièrement dessinée par Tinker Hatfield. Bingo ! Vendue depuis à des millions d’exemplaires dans le monde et déclinée dans des dizaines d'éditions limitées, la Air Max est désormais un véritable totem de la culture sneaker. En 2017, pour les trente ans du modèle iconique signé Hatfield, Nike sort même une Air Max aux couleurs directement inspirées par le bâtiment de Renzo Piano et Richard Rogers. Car entre la marque au swoosh et le Centre Pompidou, c'est une longue histoire d'amour...

Paris, milieu des années 1980. Tinker Hatfield est de passage dans la capitale. Et il n’a qu’une envie : visiter le Centre Pompidou. Normal, l'homme, ex-champion universitaire de saut à la perche, est architecte de formation. Depuis 1981 et son arrivée chez Nike, il est d'ailleurs chargé de dessiner showrooms et magasins. Mais en 1985, son mentor Bill Bowerman (l'un des fondateurs de la marque), qui avait remarqué son bon coup de crayon, lui conseille de rejoindre l'équipe design. Dans Abstract : l'art du design, une série Netflix consacrée aux artistes et designers, Hatfield raconte : « J'ai découvert presque par accident que je dessinais bien, ça a été une vraie surprise pour moi ! »

Inauguré quelques années auparavant, en février 1977, le colosse de métal et de verre divise toujours autant les Parisiens – certains l'ayant même affublé du tendre sobriquet de « Notre-Dame-des-Tuyaux ». Mais Hatfield est un iconoclaste, et il est curieux de voir de ses propres yeux le bâtiment sorti du cerveau de Renzo Piano et Richard Rogers. Dans Respect The Architects, un court métrage de 2006 réalisé par Thibaud de Longeville pour Nike, Hatfield raconte : « Le Centre Pompidou était vraiment un incontournable pour moi, je devais absolument y aller ! Dès mon arrivée sur la Piazza, j’ai été frappé par le fort contraste entre les immeubles à l’architecture typique de Paris – toits mansardés, petites fenêtres – et le bâtiment, semblable à une sorte de machine dont on verrait les entrailles… Tout était visible, escalators, systèmes de climatisation et de chauffage, étages intérieurs et même visiteurs ! »

 

Le Centre Pompidou était vraiment un incontournable pour moi, je devais absolument y aller ! Dès mon arrivée sur la Piazza, j’ai été frappé par le fort contraste entre les immeubles à l’architecture typique de Paris – toits mansardés, petites fenêtres – et le bâtiment, semblable à une sorte de machine dont on verrait les entrailles…

Tinker Hatfield

 

Car c’est là l'idée novatrice de Piano et Rogers : rejeter sur l'extérieur du bâtiment toutes les infrastructures liées au fonctionnement interne pour laisser libres sur six niveaux des plateaux de 7 000 m2,entièrement modulables. Renzo Piano résume ainsi le projet : « Sur la Piazza et à l’extérieur du volume utilisable, on a rassemblé tous les équipements du mouvement du public. Sur le côté opposé, on a centrifugé tous les équipements techniques et les canalisations. Ainsi chaque étage est-il complètement libre et utilisable, pour toute forme d’activité culturelle connue ou à trouver. » L’ossature de l’ensemble est quant à elle conçue comme un jeu de construction géant, les éléments se répètent, s’assemblent et s’imbriquent, formant un engrenage régulier métallique complètement ouvert. Et sur la façade, l’escalator qui zèbre le bâtiment (la fameuse « Chenille ») fonctionne comme une véritable signature visuelle (jusqu'à devenir le logo de Beaubourg grâce au génie de Jean Widmer).

 

Une vision radicale pour l'époque qui marque le jeune Hatfield. Mieux, il vit une véritable épiphanie esthétique : « Le bâtiment de Piano et Rogers a vraiment secoué le monde de l’architecture et du design urbain. Il a changé notre manière d’appréhender la ville. Certains pensent que c’est pour le pire – moi je pense le contraire. »

Pour sa future Air Max, le designer reprend donc l’idée de Piano et Rogers : rendre visible ce qui est habituellement caché. Mais il s’inspire aussi des couleurs transgressives choisies par les architectes pour leur bâtiment : du bleu pour les circulations d’air, du jaune pour les circulations électriques, du vert pour la circulation d’eau et du rouge pour la circulation des personnes. À l’époque, les chaussures de running créées par Nike, notamment la « Waffle » (portée par le champion Steve Prefontaine en 1974, ndlr) étaient déjà conçues dans des couleurs primaires assez flashy. Mais pour la Air Max 1, Hatfield pousse le bouchon encore plus loin : il la dessine rouge et blanche. « Piano et Rogers voulaient que leur bâtiment soit visible de loin, ils voulaient qu’il frappe l’œil – et sûrement qu’il choque, aussi. Et c’est ce que j’ai voulu faire avec la Air Max : aller aussi loin que possible sans me faire virer ! », raconte le designer avec humour. 

 

Piano et Rogers voulaient que leur bâtiment soit visible de loin, ils voulaient qu’il frappe l’œil — et sûrement qu’il choque, aussi. Et c’est ce que j’ai voulu faire avec la Air Max : aller aussi loin que possible sans me faire virer ! 

Tinker Hatfield


Loin de se faire virer, Tinker Hatfield prend du galon, et devient l’une des stars de l’écurie design de Nike. On lui doit notamment plusieurs modèles de la Air Jordan, un best-seller originellement conçu pour le basketteur Michael Jordan. Mais aussi la fameuse Nike Air Mag « auto-laçante » de Michael J. Fox dans Retour vers le Futur 2 (qui finira par réellement exister en 2015), ou les chaussures du Batman de Tim Burton. Aujourd’hui, à 72 ans, Hatfield est le vice-président du département Design & Special Projects de Nike. Lorsqu'il résume sa carrière, on croirait entendre Renzo Piano, son idole : « Les gens luttent contre les choses qu'ils ne comprennent pas, et contre les designs différents de ceux auxquels ils sont habitués. Mais ce qui crée l'enthousiasme, c'est d'aller chercher ce qui dérange, ce qu'on appelle après "une grande idée". C'est ça que je fais, c'est ça mon travail. » Le rêve ultime d'Hatfield ? Rencontrer Renzo Piano, 86 ans au compteur (Richard Rogers est décédé en 2021, ndlr). Mais que pense l’architecte italien de cet improbable hommage ? Avec son élégance habituelle, il maestro avoue « ne pas y connaître grand-chose en chaussures de sport », mais se dit « très flatté » d’avoir tant inspiré Hatfield… L’histoire ne dit pas s’il porte des Air Max. ◼