Björk : « Après les fléaux et les pandémies, il y aura de nouveaux modes d'existence. »
En octobre dernier, une nouvelle espèce de papillon récemment découverte sur la côte est américaine a été baptisée Pterourus bjorkae, en hommage à la chanteuse islandaise. Car le vivant, Björk y a toujours été sensible, habitée par les fracas telluriques de la terre qui l'a vu naître en 1965. Depuis le tournant des années 2010, l'artiste avant-gardiste explore dans ses albums, notamment Biophilia (2011), Vulnicura (2015), Utopia (2017) et surtout Fossora (2022), les intrications entre nature et technologie. Parallèlement, elle s'engage avec ferveur pour la cause environnementale et la préservation de la biodiversité, multipliant les appels à la prise de conscience écologique. Pourtant, la fin de l'humanité. Björk n'y croit pas. Rejetant la vision défaitiste d'un futur post-apocalyptique, elle appelle à entrer dans l'ère du « post-optimisme » — un futur résilient où s'hybrideraient plantes et êtres humains.
Rejetant la vision défaitiste d'un futur post-apocalyptique, Björk appelle à entrer dans l'ère du « post-optimisme » — un futur résilient où s'hybrideraient plantes et êtres humains.
Ainsi dans Nature Manifesto, installation sonore immersive qu'elle a conçue en exclusivité pour le Centre Pompidou avec l'artiste et curateur Aleph, elle nous invite à repenser notre rôle dans la préservation du vivant. L’œuvre, qui résonne dans les emblématiques escaliers mécaniques de la façade, fusionne la voix de Björk lisant un puissant manifeste avec des cris d’animaux disparus ou en voie d'extinction. Un véritable paysage mental produit par l'artiste (dans le cadre du forum biodiversité « Quelle culture pour quel futur ? »), avec l’Institut de recherche et coordination acoustique/musique (Ircam) et des modèles d'intelligence artificielle. Retrouvez ci-dessous le texte intégral signé Björk et Aleph.
Nature Manifesto
par Björk & Aleph
« il y a urgence
l'apocalypse a déjà eu lieu
et la façon dont nous allons agir maintenant est essentielle
après l'extinction massive
nous prendrons un nouveau départ
notre ancien confort a disparu
nous défilerons avec des grillons mutants dans des récoltes radioactives lumineuses
nous migrerons avec les gnous
parmi les orangs-outans en voie de disparition
un nouveau monde
avec l'émergence d'assemblages
et d'enchevêtrements rhizomatiques
avec la voix altérée d'un béluga
et d'un phoque à l'adn transformé
nous nous installerons dans des champs sonores de moustiques
nous trouverons la réciprocité sensorielle
dans tous les tissus écologiques conjonctifs
dans une strate sonore pionnière
de paons, d'abeilles et de lémuriens mutants
la biologie se réassemblera de façon nouvelle
et les micro-organismes s'accoupleront avec d'autres formes de vie pour guérir et s'adapter
dans des corps fructifères
et des champs d'information sensorielle
la toile de la vie se déploiera dans un monde de nouvelles solutions
comme les colonnes de basalte absorbent le carbone
ou lorsqu'un oiseau-lyre devient une tronçonneuse
la vie gagne
avec ou sans nous
après les fléaux et les pandémies
il y aura de nouveaux modes d'existence
de tisser nos corps en relation avec notre environnement
de décomposer nos anciens modes de vie
et échapper à la boucle de rétroaction
grâce à l'ingéniosité métabolique
le hurlement de nos ancêtres biologiques
repris par les esprits animaux
nous remédions aux chants d'oiseaux perdus
en dehors des niches de remplacement
parmi une tapisserie d'êtres
une nouvelle bio-diversité est atteinte
nous terraformerons la planète
dans une profonde morpho-genèse
à partir d'une île volcanique animiste
nous nous délecterons des dauphins à effet doppler qui passent à toute vitesse
des merveilles invisibles s'épanouissant
des entités énigmatiques hyphanéennes
la mémoire de nos gènes
formera un appel à l'action
moulez un nouvel accord de Paris sur le climat
cette fois atteignable
atteindre
atteignons-le » ◼
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Photo © Vidar Logi