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Francis Bacon, "Triptyque", 1970 - repro oeuvre

Bacon, la littérature à l'œuvre

Eschyle, Nietzsche, T. S. Eliot, Joseph Conrad, Michel Leiris, Georges Bataille : autant d'écrivains qui ont influencé Francis Bacon. L'exposition « Bacon en toutes lettres », qui s'est achevée en janvier dernier, mettait en relation les œuvres des vingt dernières années du peintre irlandais avec ses sources littéraires. Des correspondances qui frappent l'esprit.

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Présentée au Centre Pompidou du 11 septembre 2019 au 20 janvier 2020, l’exposition « Bacon en toutes lettres » mettait en relation les œuvres des vingt dernières années de Francis Bacon avec ses sources littéraires. Six salles y faisaient entendre les voix d’acteurs lisant des passages d’Eschyle, Nietzsche, T. S. Eliot, Joseph Conrad, Michel Leiris et Georges Bataille. Ces écrivains, poètes et philosophes partagent une vision du monde polarisée qui a nourri l’univers du peintre en particulier à partir des années 1970. En effet, les œuvres de Bacon qui suivent sa grande rétrospective aux Galeries nationales du Grand Palais en 1971 marquent une vraie rupture. Elles sont frappantes par leur géométrie rigoureuse, par leur économie de moyens et leur chromatisme électrique, et elles incorporent davantage les images déclenchées en « flash » par les lectures du peintre.

Dans L’Orestie d’Eschyle, Bacon est fasciné par le surgissement irrépressible de la violence. La pièce lui inspire son premier chef-d’œuvre Trois Figures au pied d’une Crucifixion et les figures de Furies commencent à peupler ses tableaux suite au décès accidentel de son amant George Dyer. Rongé par la culpabilité, Bacon peint ces créatures redoutables qui ont pour mission de poursuivre inlassablement et sans trêve les parricides et les matricides.

 

Parmi les philosophes, c’est vers Nietzsche que Bacon se tourne, évoquant sa Naissance de la tragédie qui met en lumière la dialectique des inspirations apollinienne et dionysiaque caractérisant la tragédie grecque. Bacon cherche à incarner cet art polarisé entre la forme claire et définie d’Apollon et l’informe de Dionysos dans des tableaux tels Dune de sable (1981) ou Eau coulant d’un robinet (1982).

 

Le poète T. S. Eliot lui inspire en 1967 un triptyque qui renvoie à Sweeney Agonistes, une pièce de théâtre mettant en scène deux prostitués assassinées. Son poème La Terre vaine donne lieu à une série de paysages, de terres arides chez Bacon. De même, Au cœur des ténèbres de Joseph Conrad hante l’esprit du peintre. Il est fasciné par le récit d’un homme civilisé qui révèle son côté obscur et sa descente dans la barbarie. Un triptyque de 1976 représente le personnage central du livre, Kurtz, à côté d’un oiseau de proie, critique du prométhéisme de la civilisation occidentale, projetant ses valeurs les plus excessives sur le monde.

Chez ses contemporains, Georges Bataille, dont la pensée et les écrits se nourrissent de la polarité d’Eros et de Thanatos, est celui dont les ouvrages présentent le plus de similitudes poétiques avec les tableaux de Bacon. Les définitions de « Bouche » et « Abattoir » que Bataille publie pour son dictionnaire critique ont une influence sur l’œuvre de Bacon jusqu’à la fin de sa vie. Michel Leiris, qu’il rencontre en 1965, occupe lui aussi une place particulière dans le panthéon littéraire de Bacon. Il devient son interlocuteur le plus constant et le traducteur de ses Entretiens avec David Sylvester. L’écrivain lui envoie notamment son ouvrage Miroir de la tauromachie où il rapproche le geste tauromachique de l’exercice de la poésie, ou de la peinture.

L’artiste est comme le torero, il s’emploie à faire entrer dans la logique géométrique de la forme parfaite, la violence, la bestialité la plus radicale.

 

Cette lecture va inciter Bacon à réaliser un certain nombre de tableaux tauromachiques, où le taureau avance sur le lieu de son sacrifice, sujet emblématique de son dernier tableau, peint peu de temps avant sa mort. ■

Commissariat

 

Didier Ottinger

Directeur adjoint du Musée national d'art moderne