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Portrait de la cinéaste Axelle Ropert

Axelle Ropert : « Je trouve important que l’on puisse reconnaître le cinéma de femmes aussi pour sa grandeur formelle. »

C'est au Centre Pompidou qu'Axelle Ropert a été couronnée du prix Jean Vigo 2021 pour son quatrième long métrage, Petite Solange —  rejoignant ainsi au palmarès Jean-Luc Godard, Olivier Assayas, Katell Quillévéré ou encore Xavier Beauvois. Mélo sur l'adolescence, à la beauté faussement simple, Petite Solange (avec Philippe Katerine et Léa Drucker), sera en salle le 2 février prochain. Rencontre avec une voix singulière du cinéma français.

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Elle a passé sa vingtaine devant les écrans de la Cinémathèque et des salles du Quartier latin, entourée exclusivement d’une bande de garçons, dont certains sont devenus ses collaborateurs. Elle a signé Étoile violette, un premier moyen métrage remarqué, en 2004, avant son premier long, La famille Wolberg, sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs, au festival de Cannes, en 2009. Cinéaste, scénariste, notamment pour les films de Serge Bozon, cinéphile indéfectible passée par la critique, Axelle Ropert est une voix singulière du cinéma français. De film en film, elle impose un talent où se mêlent l’humour et la délicatesse. Elle vient de recevoir le prix Jean Vigo pour Petite Solange, son quatrième long métrage avec Philippe Katerine et Léa Drucker, sélectionné cet été au festival de Locarno (en salle le 2 février prochain). Elle évoque cette récompense, qui, comme l’affirme le jury, « distingue un réalisateur français pour son indépendance d’esprit et son originalité de style », et l’aventure de ce mélo à la beauté faussement simple.

Que représente pour vous le prix Jean Vigo ?
Axelle Ropert — Je le dis humblement, je n’ai jamais reçu de prix et je me suis toujours dit que je ne faisais pas du tout un cinéma qui pouvait en recevoir tant, sans le vouloir, j’ai le sentiment d’être un peu dans une drôle de case ! Pour simplifier, le cinéma est très polarisé entre le cinéma d’auteur, bien représenté en festival, qui se caractérise par des partis-pris formels très assumés, très radicaux et très lisibles, et le cinéma dit « mainstream » où les partis-pris formels sont moins radicaux et qui se caractériserait plutôt par le goût pour les personnages, pour les sentiments, etc. Pour ma part, je suis très obsédée par la mise en scène mais pas du tout par des partis-pris formels très radicaux, aimant beaucoup le cinéma de sentiments et de personnages, mais en restant plus attachée à la forme que le cinéma « mainstream ». Donc, j’ai l’impression que ce que je fais est entre les deux, un peu comme pouvaient le faire Truffaut et Chabrol. Que mon cinéma soit remarqué pour la mise en scène me fait très plaisir. Par ailleurs, les films de femmes sont souvent ramenés à des sujets. C’est vrai qu’elles ont la capacité à traiter des sujets restés, jusque-là, invisibles ou qui n’appartiennent pas aux hommes, car elles ont une expérience de vie différente, mais je trouve important que l’on puisse reconnaître le cinéma de femmes aussi pour sa grandeur formelle. À part quelqu’un comme Kelly Reichardt aujourd’hui, on convoque rarement les femmes sur la puissance de leur mise en scène, je suis d’autant plus heureuse que Petite Solange soit distingué pour ça. 

 

Je suis très obsédée par la mise en scène mais pas du tout par des partis-pris formels très radicaux, aimant beaucoup le cinéma de sentiments et de personnages, mais en restant plus attachée à la forme que le cinéma « mainstream ».

Axelle Ropert

 

Vous considèrez justement que c’est votre film le plus mis en scène. Avez-vous travaillé différemment ?
Axelle Ropert — 
Le projet du film, c’est juste de suivre une jeune fille dans ses émois, pendant six mois. Ses parents vont divorcer, ce n’est pas plus grave que ça. Comment rendre palpitant, tenable, profond, un parti-pris aussi ténu, alors qu’il n’y a ni grand drame, ni péripéties ? Il fallait une actrice très forte (la jeune Jade Springer, ndlr) et la mise en scène devait tenir le spectateur. On s’est posé des questions graphiques, de mouvements de caméra, de respiration, d’ampleur. Je savais qu’il fallait plus que jamais avoir des idées formelles pour chaque scène. D’un point de vue de l’émotion, je voulais montrer la profondeur cachée d’un drame complètement banal. J’adore les films avec de grandes péripéties terribles, notamment n’importe quel film de Kenji Mizoguchi. Mais le drame des enfants passe souvent par de toutes petites choses, la manière dont ils prennent littéralement à cœur les détails de la vie quotidiennes me déchire le cœur. Je voulais raconter cette distorsion entre la banalité d’un événement et sa conséquence sur le monde d’un enfant. À partir de ces scènes quotidiennes, la mise en scène devait creuser un drame absolu. 

 

Patricia Mazuy, Alain Guiraudie, Mathieu Amalric et tant d’autres, vous sentez-vous proche de cette famille réunie autour du prix Jean Vigo, si elle existe ?
Axelle Ropert — Je trouve que le prix Jean Vigo représente une sorte de grandeur du cinéma français, unique au monde. Tous ces cinéastes ont une personnalité, une singularité, une langue, qui n’appartiennent qu’à eux. En France, ces personnalités sont prolifiques, c’est extraordinaire. Je sais que c’est devenu de bon ton de dire un peu du mal du cinéma français, mais il suffit de voyager à l’étranger pour se rendre compte combien les autres envient notre situation.

 

Je trouve que le prix Jean Vigo représente une sorte de grandeur du cinéma français, unique au monde. Tous ces cinéastes ont une personnalité, une singularité, une langue, qui n’appartiennent qu’à eux.

Axelle Ropert

 

Petite Solange a été présenté dans le cadre de l’événement « Le cinéma comme il va », en septembre dernier, au Centre Pompidou. Que raconte le film de l’état du cinéma français ?
Axelle Ropert — Le cinéma, et particulièrement le cinéma d’auteur, est dans un moment de péril comme on ne l’a jamais connu. Une étape charnière où il peut absolument se faire « bouffer » par les plateformes, les petits écrans, le tout-venant industriel. Dans ce contexte, il y a peut-être deux voies qui s’offrent à lui : résister en réaffirmant sa spécificité, faire des films que l’on ne trouvera jamais sur des plateformes, un peu comme Petite Solange, qui ne peut pas exister du tout sur une plateforme, ou être très malin et intégrer les spécificités de ce qui peut marcher sur Netflix, etc., et le ramener du côté du cinéma. Il me semble que le film Parasite, de Bong Joon Ho, notamment, est très utile là-dessus. Je ne sais pas quelle voie est la meilleure.

 

Comment s’est déroulé le tournage ?
Axelle Ropert — 
Le film est imprégné par le drame de la covid, puisque son tournage été intégralement interrompu par le premier confinement. On ne savait ni si on pourrait reprendre, ni si on pourrait finir le film, c’était très dur psychologiquement. Jacques Rivette disait qu’un film est toujours aussi un documentaire sur son tournage, je crois que seul le cinéma peut faire ça. Petite Solange, de manière mystérieuse, a intégré la difficulté de son tournage et a nourri ainsi l’héroïsme de son personnage. On a repris en juillet 2020, avec beaucoup de joie, dans une grande solidarité. Refaire du cinéma après trois mois d’interruption a insufflé quelque chose au film. Petite Solange s’est retrouvé pratiquement dépositaire d’un héroïsme et d’une joie à refaire les choses. Je ne suis pas du tout plaintive à propos du système, je crois qu’on fait les films avec l’argent qu’on a. Le film ne s’est pas financé facilement pour une raison assez évidente : la simplicité du projet rendait les gens un peu perplexes.

 

Le cinéma, et particulièrement le cinéma d’auteur, est dans un moment de péril comme on ne l’a jamais connu. Une étape charnière où il peut absolument se faire « bouffer » par les plateformes, les petits écrans, le tout-venant industriel.

Axelle Ropert

 

Je me suis beaucoup entendu dire que je manquais d’ambition pour ce film. À cette étape-là, un producteur fort est très important et Charlotte Vincent (Aurora Films, ndrl) n’a jamais douté de la puissance finale du projet, on l’a fait très joyeusement avec peu d’argent. Ça dira peut-être aux gens : ne vous méfiez pas de la simplicité d’un projet, ce n’est pas parce que c’est simple que ce n’est pas profond. Dans l’histoire du cinéma, il y a plein de films qui sont très simples en termes d’écriture mais magnifiques au final, Les Quatre Cents Coups, de Truffaut, les films d’Yasujirō Ozu, et même Kramer contre Kramer, de Robert Benton, un film que j’aime beaucoup. Ce prix est une petite revanche espiègle.

 

Est-ce que la sortie du film est une étape qui vous inquiète, alors que c’est si difficile, en ce moment, pour les films d’auteur en salles ?
Axelle Ropert — Je suis très attachée à ce qu’il y ait un public pour le film et que les gens qui ont investi dedans soient remboursés. J’ai un côté épicière et mère de famille ! En même temps, j’ai un optimisme de fond, un peu naïf. Même si c’est difficile en ce moment, je me dis que les gens vont revenir au cinéma !

 

J’adore les séries, donc je ne suis pas du tout démoralisée par leur succès, je trouve qu’en termes d’écriture fictionnelle, elles ont permis l’accès à des durées longues, à des créations de personnages que le cinéma ne permet pas car il fonctionne sur un format différent.

Axelle Ropert

 

Avez-vous des projets avec les plateformes, justement ?
Axelle Ropert — 
Personnellement, j’adore les séries, donc je ne suis pas du tout démoralisée par leur succès, je trouve qu’en termes d’écriture fictionnelle, elles ont permis l’accès à des durées longues, à des créations de personnages que le cinéma ne permet pas car il fonctionne sur un format différent. Je suis en train de développer un projet de série sur les féminicides, et un autre qui raconterait l’histoire du cinéma français des années 1960-1970 à travers le personnage de la grande productrice Mag Bogard. Aujourd’hui, j’ai beaucoup de goût à travailler avec les femmes de ma génération, il y a une frontalité et une simplicité que j’adore, la parole circule vite. ◼