The Bar n° 1 (Le bar n° 1)

Depuis leur rencontre en 1967, Gilbert and George ont érigé leur comportement en œuvre d’art. Quel que soit leur support, toutes leurs réalisations sont pour eux des « sculptures » prenant leur source dans la vie – en trois dimensions –, la leur tout d’abord, mais aussi celle de tout un chacun. Leur langage s’appuie sur ce qui constitue l’universalité de l’homme : « la tête, l’âme et le sexe ». Sortes de miroirs dans lesquels chaque individu peut se projeter, leurs œuvres s’inscrivent dans la recherche d’un « art pour tous » – expression qui désigne leur atelier à partir de 1970. Au début de leur collaboration, ils réalisent plusieurs dessins qu’ils considèrent comme des « sculptures fusain sur papier ». Ici, le dessin, agrandissement d’une photographie, importe peu en tant que support : il est avant tout « une manière de communiquer avec la réalité ». Les cinq panneaux de l’environnement The Bar n°1 reproduisent en détail l’intérieur d’un bar et recouvrent les murs et le plafond d’une pièce. Celle-ci est soumise à la vision subjective des artistes, déformée par l’ivresse – un thème souvent abordé, notamment entre 1971 et 1974, période pendant laquelle les artistes exécutent plusieurs dessins dont les légendes suggèrent un état d’ébriété. Les mots ne sont plus utiles, les déformations subies par les murs et les meubles suffisent à suggérer l’ambiance qui entoure les artistes. Comme dans la plupart de leurs œuvres, ils sont les seuls protagonistes représentés (ici au bar et dans la salle) : le regard tourné vers le spectateur, ils semblent l’inviter à partager leur expérience.

PERSON - Juliette Combes-Latour

Source :
Extrait du catalogue Collection art contemporain - La collection du Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, sous la direction de Sophie Duplaix, Paris, Centre Pompidou, 2007

L’année où ils se lancent dans la série de photographies et de performances qui feront leur renommée en tant que « sculptures » vivantes, en 1971, Gilbert & George commencent une singulière série de treize dessins monumentaux au fusain, dont ils prennent soin de préciser qu’il s’agit là encore de sculptures – des « sculptures en fusain sur papier ». Ils préciseront plus tard que la technique du dessin a été utilisée faute de pouvoir réaliser de grandes pièces photographiques,  et qu’à chaque fois une photographie agrandie en a été l’origine. En réalité, leur projet est assez réfléchi et concerté dans ses détails pour donner lieu, dès avant sa mise en place, à une sorte de texte-manifeste, « Travaux descriptifs en crayons sur papier », écrit en 1970. Ils y placent le dessin bien au-dessus de la photographie, célébrant la force du crayon, le retour au dessin originel de l’enfance contre l’esthétique du gribouillis de leur siècle, puis ils expliquent, dans une seconde partie, la fonction de mise en scène et/ou de décor de l’œuvre : « Vous voyez nous marchons un peu c’est le début du dessin […]. George et Gilbert entrent figés dans leur propre représentation selon nos propres termes […]. L’image dessinée rend parfaitement compte de notre situation dans le temps et personnellement nous sommes toujours dans ce dessin au moment de conclure cet essai ». De fait, les deux « sculptures vivantes » sont toujours au centre des œuvres de cette série, qui sont pour l’essentiel bucoliques (le titre de la série est The General Jungle), et dont le sujet est traité au même moment dans plusieurs tableaux intitulés The Paintings (With Us in the Nature).

Deux exceptions à ces ensembles de grands dessins de promenades champêtres : The Bar n° 1 et The Bar n° 2, relevant, à la même époque, d’une autre veine d’inspiration. Les plaisirs de l’alcool et l’expérience du bar anglais donnent en effet lieu en 1972-1973 à une série de photographies et à un livre. Réalisé pour une exposition à la galerie Anthony d’Offay, à Londres, en 1972, The Bar n° 1 est une installation aménagée au mur, au sol et au plafond. Le carton d’invitation la présente comme une « nouvelle sculpture », accompagnée d’une chanson d’ivrogne, et annonce qu’un verre de porto sera offert à chaque visiteur.

Camille Morineau

Source :
Extrait du catalogue Collection art graphique - La collection du Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, sous la direction de Agnès de la Beaumelle, Paris, Centre Pompidou, 2008