Labelled (Etiquetée)

Les séries de têtes réalisées avec des encres et de l’acrylique sur du papier préalablement humidifié, et dont Mixed Blood (1996) est un exemple marquant, forment un genre particulier au sein de l’œuvre de Marlene Dumas. Avec cette suite de grandes feuilles, elle propose des images troublantes de six adolescents métis. Travaillés d’après des photographies, comme souvent chez elle, les visages en très gros plan gardent le caractère d’instantanés photographiques, et imposent tous une étrange identité, tant raciale que psychologique. « Je traite mes visages avec une certaine égalité. Les “normaux” ont l’air un peu fou, et les “fous” ont l’air tout à fait normaux, et ils essayent tous de te séduire d’une manière ou d’une autre » , explique-t-elle.

Les dessins de Mixed Blood ont été réalisés spécialement pour une exposition au Japon (Tokyo, galerie Koyanagi), pays dont Marlene Dumas dénonce l’importance qui y est accordée à la pureté de la race ; un même esprit préside à une œuvre comme Barbie, the Original (1997, coll. part.), qui représente la quintessence stéréotypée de la blonde Américaine. Parmi les autres séries de têtes, il convient de mentionner les Black Drawings (1991-1992, Tilburg, De Pont Stichting voor Hedendaagse Kunst), Jesus Serene (1994, coll. De Heus-Zomer) et, plus récemment, Young Men (2002-2005, coll. part.).

Mais l’artiste ne s’attaque pas uniquement au visage et au corps des autres, elle applique le même traitement à son propre corps. Dans Willendorf (1997, coll. Olbricht) ou Labelled (1998), que Marlene Dumas se plaît parfois à considérer comme des autoportraits, elle explore l’image intemporelle d’une femme qui ne soit ni modèle ni pin-up. La technique de ces dessins, où le lavis d’encre de Chine – dont les coulures, accidentelles ou voulues, confèrent à l’image une incertitude inquiétante – se trouve mélangé au lustre métallique des acryliques, lui permet de dire, sans jugement, sans pudeur non plus, et de façon inédite, la beauté du corps humain tout autant que sa décrépitude.

Jonas Storsve

Source :
Extrait du catalogue Collection art graphique - La collection du Centre Pompidou, Musée national d'art moderne , sous la direction de Agnès de la Beaumelle, Paris, Centre Pompidou, 2008