Sans titre

En 1966, après l’exposition de ses peintures et dessins récents au Jewish Museum de New York, Philip Guston, un des représentants majeurs de la peinture expressionniste abstraite américaine, cesse de peindre pendant deux ans. Dans une tentative de faire table rase, il se consacre alors exclusivement au dessin à l’encre, au crayon ou au fusain. Il réalise des centaines d’œuvres, de deux familles distinctes : d’un côté, les dessins « purs », composés de formes abstraites, minimales ; de l’autre, les dessins résolument figuratifs d’objets qui annoncent son retour définitif à la figuration.

Son exposition à la Marlborough Gallery, à New York, en 1970 fait scandale, et c’est seulement après sa mort, en 1980, et du fait du renouveau de la peinture figurative, que son œuvre ultime commence à être considérée à sa juste valeur.

Le répertoire iconographique qu’il met en place à la fin des années 1960 trouve son origine dans ses premiers travaux muralistes des années 1930, mais se réfère également au climat politique et social régnant alors aux États-Unis. La figure emblématique en est un personnage encapuchonné, ubuesque, une réinterprétation drolatique d’une figure du Ku Klux Klan.

Par les différents éléments ici réunis – les têtes encapuchonnées, l’ampoule électrique, la fenêtre et l’homme vu de dos –, ce dessin est non seulement exemplaire de la dernière période de l’artiste, mais aussi particulièrement complexe et abouti : ironie d’une histoire d’aveugles et de sourds dans un monde déshumanisé et prisonnier, efficacité d’un graphisme sommaire, mais qui se déploie avec force sur la feuille blanche. Ces éléments sont présents isolément ou assemblés différemment dans un certain nombre d’autres dessins, dont les meilleurs sont déjà dans des collections publiques (MOMA, Tate). Cette feuille-ci ne semble pas pouvoir être mise en rapport direct avec une peinture ; l’homme vu de dos, entouré de deux personnages encapuchonnés, se retrouve cependant dans la peinture Sheriff (1970, coll. part.), qui figurait dans la célèbre exposition de la Marlborough Gallery en 1970.

Jonas Storsve

Source :
Extrait du catalogue Collection art graphique - La collection du Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, sous la direction de Agnès de la Beaumelle, Paris, Centre Pompidou, 2008