Sans titre

Se défaire de la figure et ne voir que le dessin et la matière : en procédant, en 1968, après ses « fractures », à son premier « renversement » ( La Forêt sur la tête , Cologne, Museum Ludwig), c’est-à-dire en manipulant le support en tous sens – de haut en bas ou de la verticale à l’horizontale – comme le font les enfants pour dessiner ou peindre, Baselitz invitait à quitter le sujet pour le motif. Renverser pour briser l’anecdote, briser l’illustration, telle est la méthode qu’il s’est donnée pour produire « le plus grand choc » : elle est devenue depuis, on le sait, sa signature. C’était pour lui, admirateur de tous les praticiens de l’insurrection – Dubuffet, Artaud, Lautréamont, Van Gogh, notamment –, se donner le moyen de s’éloigner de la « stupide évidence » ; et de « jeter l’ancre » pour retrouver une sauvagerie et produire l’essentiel : de l’énergie pure.

C’est paradoxalement – bien avant la peinture – par le dessin, ou plutôt en se défaisant de lui par le jet d’encre, que Baselitz en arrive à cet acte radical, irréversible. Ses premières œuvres sur papier, de 1962, sont des taches, des formes confuses évoquant des têtes et des corps, des ondulations métamorphiques, des points grossiers : se met en place un espace du suspens, du possible, d’un monde autre, en latence, sans sujet. Ce sont, ensuite, des fils tordus, qui donnent naissance à des êtres entre déséquilibre et chute (suite des Héros de 1963-1965), et, à l’inverse, à des éclats purs – tracés noirs presque abstraits, livrés dans le vide (série des Aigles , 1975-1978). Défaire toujours, pour faire.

Agnès de la Beaumelle

Source :
Extrait du catalogue Collection art graphique - La collection du Centre Pompidou, Musée national d'art moderne , sous la direction de Agnès de la Beaumelle, Paris, Centre Pompidou, 2008