Projet pour l'Apothéose de Marat

Ce Projet pour L’Apothéose de Marat, de Jean Dewasne, révèle le processus d’élaboration de son œuvre manifeste. Cette peinture monumentale (plus de 8 mètres de long), déposée au Musée de Grenoble, concrétise l’ambition enthousiaste du jeune peintre, qui, après-guerre, s’affirme aux côtés de Jacobsen et Vasarely à la galerie Denise René comme le champion d’une abstraction construite. Le titre fait résonner la gloire du révolutionnaire martyr, dont il lit alors les écrits. « J’étais plein d’admiration pour la logique implacable de sa pensée. […] La rigueur même de cette démarche coïncide avec celle qui me fait imaginer mes futures œuvres », témoigne Dewasne dans un article de 1973. L’œuvre naît dans le contexte stimulant de l’Atelier d’art abstrait, qu’il a fondé en 1950 avec Edgar Pillet. Dans ce lieu d’enseignement où se regroupent les défenseurs du mouvement, Dewasne développe les principes fondateurs de son abstraction, énoncés dès 1949 dans son Traité d’une peinture plane. Animé par un souci de vérité, il base son système formel sur la planéité, en écho au support. De ce refus de la profondeur découle le recours absolu à l’aplat coloré et à des formes contiguës pouvant être lues alternativement comme positives ou négatives.

Ce collage préparatoire éclaire la place particulière du travail préliminaire chez Dewasne. L’idée du tableau vient d’un premier jet à la gouache, exécuté très librement, qui est ensuite épuré et structuré suivant des tracés régulateurs. Le dessin est donc le lieu où la composition prend forme, où la ligne délimite la tache colorée, où l’intellect recadre l’instinct. Il est ici recomposé par découpage, selon la méthode utilisée par Matisse dans les gouaches découpées de Jazz (1946), exposées en 1949. Reporté ensuite sur panneaux, le dessin est modifié en fonction du format. Si la composition d’ensemble de la peinture reste ainsi la même, les rayures diminuent ou disparaissent, les formes se condensent et acquièrent puissance et monumentalité. Comparé à la manière lisse du grand panneau final, le dessin garde, au contraire, la fraîcheur et le dynamisme de l’inspiration première.

Ariane Coulondre

Source :
Extrait du catalogue Collection art graphique - La collection du Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, sous la direction de Agnès de la Beaumelle, Paris, Centre Pompidou, 2008