Der eiserne Hindenburg (Hindenburg de fer)
1920
Der eiserne Hindenburg
(Hindenburg de fer)
1920
Domain | Dessin |
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Techniques | Encre de Chine sur papier de soie contrecollé sur papier de soie rouge |
Dimensions | 39,5 x 27 cm |
Acquisition | Achat, 1983 |
Inventory no. | AM 1984-28 |
Detailed description
Artist |
Raoul Hausmann
(1886, Autriche - 1971, France) |
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Main title | Der eiserne Hindenburg (Hindenburg de fer) |
Creation date | 1920 |
Domain | Dessin |
Techniques | Encre de Chine sur papier de soie contrecollé sur papier de soie rouge |
Dimensions | 39,5 x 27 cm |
Inscriptions | Signé et daté en bas à droite : rhausmann / 1920 |
Acquisition | Achat, 1983 |
Collection area | Cabinet d'art graphique |
Inventory no. | AM 1984-28 |
Analysis
À Berlin, le mouvement Dada, très orienté politiquement, prend pour cible la toute jeune République de Weimar, accusée de s’appuyer sur les valeurs dépassées et sclérosées de l’armée, de l’Église et de la bourgeoisie. Ce combat, Raoul Hausmann le mène dans ses écrits comme dans ses dessins, où il recourt à la satire et à la caricature – selon lui « les seuls moyens [artistiques] non compromis ». Les deux premiers Présidents, Scheidemann et Ebert, et les généraux Ludendorff et Hindenburg, qui ont instauré un régime autoritaire, deviennent les cibles privilégiées de ses attaques : dans Der eiserne Hindenburg, le général, bardé de slogans, n’est qu’un pantin mécanique à la main de fer, une machine à tuer qui exhorte les hommes à mourir au nom de Dieu. « Ô ! quels nobles hommes que nos généraux, qui élaborent ces grands projets visant à répandre la ferveur religieuse allemande et la civilisation chrétienne, fidèles aux paroles du Christ : “Je ne suis pas venu pour vous apporter la paix mais le glaive” », lira-t-on dans Hurrah ! Hurrah ! Hurrah !, un ensemble de douze dessins iconoclastes publiés par Hausmann en 1921. Plus généralement, la dénonciation de la mécanisation de la vie moderne, qui entraîne la perte de l’identité individuelle au profit d’une idéologie collectiviste, est son cheval de bataille. Ses assemblages ironiques d’instruments de mesure – le célébrissime montage L’Esprit de notre temps. Tête mécanique (1919, MNAM) –, de même que ses portraits dessinés – ainsi celui de Conrad Felixmüller, un artiste expressionniste de Dresde avec lequel il fut un temps lié –, ne sont pas sans s’approcher des visions plus mélancoliques et métaphysiques de Giorgio De Chirico, dont les espaces vides et flottants, peuplés de mannequins, disent le malaise et l’inquiétude devant la modernité contemporaine.
Au mutisme des citoyens, à leur regard vide, à leur esprit absent, les dadaïstes entendent opposer un nouveau langage et une nouvelle conception du monde. Dès la fondation du mouvement, à Zurich en 1916, ils s’attaquent au langage, devenu pendant la Première Guerre mondiale un instrument de la propagande politique. Ils s’emploient à le faire imploser – à libérer la syntaxe, à revenir au mot et au son – et à le réinventer, afin de lui rendre sa force première, sa pureté, sa dimension magique et sacrée. Raoul Hausmann, surnommé « le dadasophe », reprend le flambeau à Berlin en inventant dès 1918 ses premiers poèmes « optophonétiques », qui doivent être perçus à la fois de façon visuelle (optique) et sonore (phonétique). Dans certains d’entre eux, dessinés à la main, il joue sur la forme des lettres, sur leur corps et leur graisse, ainsi que sur leur agencement spatial. Dans d’autres, il opte pour un simple dispositif typographique : sur deux lignes, de grosses lettres sur bois de graveur – qu’il dit choisies au hasard par le typographe – sont imprimées au format affiche. Par leur sobriété, qui rompt avec le chaos typographique des poèmes futuristes ou dadaïstes, ces « poèmes-affiches » affirment haut et fort la volonté de Hausmann de revenir aux éléments primordiaux du langage, à savoir la lettre et les signes de ponctuation. Cet élémentarisme visuel et sonore attire l’attention de Schwitters, qui s’inspirera du motif de son poème-affiche Fmsbw (MNAM) pour élaborer une sonate composée à partir de sons primitifs, la Ursonate (1921-1932).
C’est avec le photomontage que Raoul Hausmann va exploiter les multiples possibilités du nouveau langage Dada. Son collage ABCD montre toute la maîtrise qu’il a acquise : figures, objets, lettres, chiffres se mêlent étroitement ; la bouche grande ouverte laisse échapper non pas un cri d’angoisse expressionniste, mais les quatre premières lettres de l’alphabet ; la dimension sonore est, quant à elle, donnée par les lettres éparpillées qui forment le mot « VOCE » [voix]. Simultanément, l’œil au monocle offre l’image de cette nouvelle vision que le procédé du photomontage est le plus à même d’exprimer. Hausmann, avec sa compagne Hannah Höch, est de ceux qui, comme George Grosz, John Heartfield et Max Ernst, en revendiquent l’invention : au-delà de cette querelle de paternité, l’essentiel réside dans la nature des matériaux utilisés (tous choisis dans le registre populaire), et dans leur adoption commune du terme « photomontage », alors qu’il s’agit en réalité de « photocollage ». Selon Hausmann, le choix de ce mot s’explique par la « haine de l’artiste » que nourrissent les dadaïstes : se considérant comme des ingénieurs, ils veulent « construire, assembler, monter ». Le montage est également, à cette époque, au cœur du cinématographe, qui suscite en eux un grand intérêt. Hausmann compare le photomontage à un « film » sonore et visuel, film « statique », car les événements s’y déroulent de façon simultanée. Son montage ABCD pourrait ainsi être à visionner comme un film autobiographique (le visage, sur la photo, est le sien) rendant hommage à Rimbaud (le fragment de carte mentionne la ville de Harrar), ou comme une anthologie filmée de l’histoire de Dada, avec la naissance (l’image d’un palper utérin), la tournée Dada de 1921 en Tchécoslovaquie, et la soirée Merz donnée par Hausmann et Schwitters en 1923 à Hanovre (évoquées ici par d’autres fragments collés).
Isabelle Ewig
Source :
Extrait du catalogue Collection art graphique - La collection du Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, sous la direction de Agnès de la Beaumelle, Paris, Centre Pompidou, 2008