Hannibal N° II
1969
Hannibal N° II
1969
Domain | Dessin |
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Techniques | Feutre, mine graphite et peinture acrylique sur papier |
Dimensions | 54,6 x 67,3 cm |
Acquisition | Achat, 1971. Attribution au Musée national d'art moderne / Centre de création industrielle , 1977 |
Inventory no. | AM 1977-183 |
Detailed description
Artist |
Jean Tinguely
(1925, Suisse - 1991, Suisse) |
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Main title | Hannibal N° II |
Creation date | 1969 |
Domain | Dessin |
Techniques | Feutre, mine graphite et peinture acrylique sur papier |
Dimensions | 54,6 x 67,3 cm |
Inscriptions | S.B.DR. : Tinguely |
Acquisition | Achat, 1971. Attribution au Musée national d'art moderne / Centre de création industrielle , 1977 |
Collection area | Cabinet d'art graphique |
Inventory no. | AM 1977-183 |
Analysis
Pour le plasticien du mouvement, créateur de machines inutiles et absurdes, dessiner fait en tout premier lieu partie intégrante du travail de recherche : « Les dessins sont pour moi juste des apports techniques. Je dessine seulement quand j’ai un problème d’ordre matériel et dont je ne sais pas comment trouver une solution entre ce que je cherche et ce que je rêve. Ce sont deux choses à la fois : le problème de l’ingénieur et de la forme. » (« Parole d’artiste », Dessins et gravures pour les sculptures, cat. exp., Genève, musée d’Art et d’Histoire, 1976). Depuis qu’en 1959, Tinguely a lancé par avion au-dessus de Düsseldorf 150 000 tracts déclarant : « Tout bouge, il n’y a pas d’immobilité », il interroge en poète et en technicien l’intégration dans le mouvement mécanique – par essence répétitif, qu’il soit rotatif ou de va-et-vient – des accidents du hasard et des objets quotidiens récupérés. Adhérant alors au projet des Nouveaux Réalistes, il conçoit les Méta-Matics, « machines à dessiner » qui font appel à la participation du public, avant de proposer les Rotozazas, puis les Baloubas, métaphores de la vie quotidienne dans leur joyeuse agitation, et enfin de construire des machines avec explosifs, proches du happening et visant au spectacle total.
1963 est une année charnière : il maîtrise alors tous les matériaux (ferraille, moteurs électriques, ressorts, plumes), et commence à couvrir ses machines de peinture noire, afin de mettre en valeur le contour des formes, leur efficacité fonctionnelle et visuelle. Cet acte anti-Nouveau Réalisme les prive de leur caractère d’objets trouvés et les dématérialise pour en faire des sculptures hybrides, tout à la fois machines plus puissantes et plus durables (grâce, notamment, à l’utilisation du roulement à bille) et objets formels. Le travail du dessin s’affirme encore.
Entreprenant, à son retour des États-Unis, la conception d’Eurêka, « culpture-machine-géante-sonore-variable-extensible » qui sera exposée en 1973-1974 dans le parc Zurichhorn, il réalise d’innombrables schémas au crayon ou à l’encre, portant des annotations de mesures, des indications et des interrogations techniques sur les mouvements : « Dans le cas d’Eurêka, mes dessins étaient toujours accrochés dans la baraque de chantier. » Dans l’un d’eux, exécuté au crayon très brillant, contrairement à la matité noire de la sculpture, Tinguely campe l’œuvre finale, avec son socle proportionné, et indique le mouvement par l’arc suggéré en pointillés entre les deux bras de droite : « [Mes dessins] donnent souvent une espèce d’indication sur les courses que l’axe doit parcourir. » Le caractère prospectif, spéculatif, de ces beaux dessins d’ingénierie n’est pas sans rappeler, ironiquement, ceux de Léonard.
Ces études préparatoires produisent leur propre mécanique de suggestion : ainsi, lorsque, à la suite d’Hannibal nº 1, 1963 (New York, MOMA) – un enchevêtrement compact de tringles de fer, de roues et de courroies de transmission opérant un mouvement de va-et-vient –, il travaille au monumental Hannibal nº 2, 1967 (Bâle, Kunstmuseum), dont l’imposant canon qui avance et recule évoque une machine de guerre, il met au point dans une suite de dessins l’idée d’un lent mouvement ascendant et descendant contrarié par la marche trépidante d’un chariot. Processus sans fin : en 1969, soit deux ans après la sculpture, Tinguely continue à en étudier le fonctionnement, et à imaginer d’autres applications : « Je réalise parfois des dessins alors qu’une machine est déjà construite, d’après elle, en vue d’une autre machine que je ferai peut-être un jour […]. Et pour penser, rêver. C’est très joli, penser-rêver ; un dessin, ça aide. Je fais un dessin en vitesse, et je vois plus clair. » Dans celui du Musée, réalisé au gros feutre noir pour rendre l’aspect compact et puissant de la machine, les annotations ne sont pas portées en français mais en allemand, comme souvent.
Les années 1970 marquent un changement : les sculptures et les dessins se libèrent de la rigueur noire de la décennie précédente. La rouille et les objets trouvés, laissés tels quels, dominent à nouveau ; la couleur réapparaît, qui, se mêlant à une profusion de formes, de mouvements et de sons, apporte un aspect ludique, fantaisiste à l’extrême. « L’introduction de l’humour était pour moi toujours primordiale », déclarera Tinguely. Le dessin pour Klamauk (titre ironique signifiant « boucan »), 1979, annonce parfaitement, par son effervescence de tracés et de couleurs, le tintamarre de cet « appareil de concert des rues », la puissance de cette sculpture mobile et de plein air, qu’il qualifie d’« épouvantail motorisé », et dont il apprécie le caractère explosif : en 1981, il fera rouler ce monstre pétaradant et fumant sur le circuit de Saint-Ursanne Les Rangiers, en souvenir de son ami Jo Siffert, pilote de formule I, mort accidentellement. Le dessin, où se mêlent gouaches, encres, pastels et pointes bic, constituant un bouquet vivement coloré de rouages tournoyants surmontés d’une étincelle (préfiguration d’une sculpture automobile que Tinguely envisage de construire, sorte de carnaval ambulant qui joue de la musique et tire des feux d’artifice) traduit la complexité et le baroquisme délirant de la sculpture. Plaisir de se livrer à l’imagination du dessin : « Le dessin n’a pas besoin d’être la réalité, c’est pourquoi je n’ai pas le regret de ne pas lui faire exprimer la totalité du mouvement », affirme-t-il.
Initié en 1978, le travail graphique pour la série des Méta-Harmonies (sortes de longs triptyques formés de panneaux rectangulaires encadrés de métal, qui sont à lire comme des peintures en ronde bosse, alors que le mécanisme des engrenages, extrêmement complexes, entraîne le spectateur dans un impossible déchiffrement) dénonce une picturalité grandissante : la profusion envahissante de formes, de couleurs, de sons et de mouvements, conçus comme d’un seul jet, la liberté des tracés, plus allusifs et épars, la part désormais importante de l’acrylique et de la gouache l’emportent sur l’effet de puissance des mécanismes motorisés. Il en va de même dans les études pour le Relief pour un petit bonhomme, de 1980-1981, divisé en panneaux rectangulaires. Une énergie inépuisable, qui semble venir d’un processus hallucinatoire, se manifeste encore dans le dessin Méta-Harmonie-Disloquer, 1987, envahi par une ébullition de formes éclatées aux couleurs acidulées, dont la fonction hiéroglyphique rejoint celle des lettres majuscules ou minuscules dont Tinguely constelle depuis toujours ses feuilles et, à plus forte raison, les nombreuses missives qu’il adresse à ses amis. Ces explosions ludiques relèvent d’un état de rêve éveillé, peu avant que la thématique de la mort et du tragique – dans les séries des Philosophes et des Mengele, dans le Cyclop et, enfin, dans L’Enfer (MNAM) – n’imposent un retour à l’austérité.
Nadine Pouillon
Source :
Extrait du catalogue Collection art graphique - La collection du Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, sous la direction de Agnès de la Beaumelle, Paris, Centre Pompidou, 2008