Empreintes de pinceau n° 50 répétées à intervalles réguliers de 30 cm

Le principe fondateur de l’œuvre de Toroni n’a pas varié depuis 1966 : son « travail/peinture », comme il le nomme, présente les empreintes, d’une seule couleur, d’un pinceau carré nº 50, répétées à intervalles réguliers de 30 cm et disposées en quinconce de manière à couvrir uniformément le support, que celui-ci soit tableau, toile libre (accrochée, suspendue ou traînant au sol, en tissu ou toile cirée), mur ou bien encore carton. Il n’y a donc pas de spécificité à l’œuvre graphique de Toroni, qui reconduit le même enjeu que la peinture – la recherche d’une définition neutre et minimum du geste pictural –, enjeu né dans le contexte d’une brève association, l’année 1967, avec Daniel Buren, Olivier Mosset et Michel Parmentier (BMPT). De l’avis de Buren, le « travail/peinture » de Toroni constitue « un résumé à proprement parler génial de toute la peinture occidentale : la marque, l’empreinte, le pinceau, la surface, la couleur, le geste, le all over, l’unique et le multiple, le corps, sa présence, son absence… » Dans tous les cas, c’est la matérialité de la peinture qui est mise en avant. La touche, qui en est le point de départ et d’arrivée, s’offre, selon Christian Besson, « sans mouvement inscrit, sans gestualité ; non pas la touche du peintre mais celle du pinceau ; une touche qui n’exprime rien, une facture. » Le « travail/peinture » ne récuse donc pas seulement tous les signes traditionnels de l’authenticité et de l’originalité, il les critique à travers la modalité qui passait pour en être la plus pure expression : le geste d’application.

Bien que la méthode de Toroni installe la répétitivité au cœur de l’œuvre, elle laisse ouverte une possibilité de déclinaisons potentiellement infinies. La configuration – relativement exceptionnelle – de cet ensemble de panneaux en offre un bon exemple : dans ces trois cartons verticaux, identiquement marqués de dix empreintes réparties sur deux lignes de trois et deux lignes de deux alternées, seules les couleurs varient, du bleu au jaune, au rouge et au vert, d’un carton à l’autre et d’une face à l’autre. Peint au recto comme au verso, l’ensemble offre des options d’exposition différentes, entraînant des combinaisons d’accords chromatiques laissés à l’arbitraire de l’accrochage. « Des goûts et des couleurs », indique le sous-titre : en 1981, le retour de la peinture-peinture et d’un discours sur la picturalité et ses émotions entraîne dans l’œuvre de Toroni une série d’allusions ironiques aux signes de la plus pure picturalité et à son appréciation – comme lorsque l’empreinte s’applique à une palette de peintre, ou bien à un album d’apprentissage du dessin. Est ici également suggérée la notion décorative qui sous-tend le geste d’application du pinceau, que Toroni assimile à celle de la peinture en bâtiment ou du papier peint : ce qu’est littéralement la suite d’ Empreintes de pinceau nº 50 répétées à intervalles réguliers .

Arnauld Pierre

Source :
Extrait du catalogue Collection art graphique - La collection du Centre Pompidou, Musée national d'art moderne , sous la direction de Agnès de la Beaumelle, Paris, Centre Pompidou, 2008