Documentary film
À l'aventure !
Le documentaire prend le large
25 Mar - 12 Jun 2022
The event is over
© Deutsche Kinemathek, Werner Herzog Film
Nous étions très anxieux de savoir ce que donnerait le film : tout notre avenir dépendait de ces petites bobines. Si Martin était photographe averti, il s’essayait pour la première fois au cinéma professionnel. La caméra, comme les films, avaient été exposés à une chaleur et à une humidité anormales. Aux tropiques, la lumière était aussi vive que dans les zones tempérées ; aussi ne pouvions-nous prévoir les résultats de nos efforts. Nous n’avions pas la patience d’attendre le retour aux États-Unis et il était urgent de savoir si la gélatine avait souffert.
Osa Johnson, J’ai épousé l’aventure, 1940.
© Deutsche Kinemathek, Werner Herzog Film
À l’aventure ! Bien sûr, cela sonne comme un cri du coeur lancé depuis cette époque où nos vies sont contrariées et contraintes, où elles ont même été carrément confinées. Cela a assurément contribué à notre désir d’embarquer pour le grand large avec le cinéma documentaire dont le compagnonnage avec l’aventure est ancien et fécond. Mais de quelle aventure parle-t-on ? Il ne s’agit pas en tous cas d’un cycle sur le voyage, pas plus qu’il ne porte sur l’exploration, le film ethnographique, sportif ou d’exploit, même si ces genres cinématographiques s’invitent logiquement dans le programme. L’aventure est ici prise d’une façon simple, non conceptuelle : une avancée intrépide, avec les moyens du cinéma, vers l’inconnu, le lointain, dans des formes de dépassements, d’exaltation, de désobéissance aux règles voire à la rationalité. On a veillé à ce que les films soient un point de rencontre entre l’aventure, le cinéma et les cinéastes ; c’est-à-dire comment le risque, la découverte, l’incertain, le lointain mettent en valeur et à l’épreuve les démarches, les êtres et les machines. Se mêlent ici des oeuvres qui rendent compte de l’aventure et d’autres où le film constitue l’aventure elle-même. Et bien souvent ces cas de figures se mélangent. Beaucoup de films ici prennent le parti d’être bousculés, mais, en retour, ils recueillent une matière et un éclat particuliers.
Le rapport ancien entre aventure et cinéma documentaire nous met globalement en présence d’un regard occidental, essentiellement masculin, où peut se manifester le surplomb de l’homme blanc si persuadé de sa prétendue supériorité sur l’Autre – avec un A majuscule, le non-civilisé, le sauvage, dont on n’imagine pas qu’il puisse être un semblable, dans une façon de voir et penser le monde témoignant d’une époque. Où peut s’inscrire aussi un esprit où l’aventure se suffit à elle-même dans une attitude autosatisfaite, où le regard ne s’arrête pas sur cette rencontre possible avec une altérité, ni sur ce qu’il y a autour. Quand ce n’est pas carrément un esprit colonial, d’appropriation, de prédation - de territoires, de cultures, des ressources de la nature. Sans oublier que l’aventure fut un commerce, y compris cinématographique, fort lucratif pour certains. C’est évidemment un terrain passionnant mais complexe et sensible, qu’il ne s’agissait pas de privilégier mais pas non plus d’éluder. Les films d’Osa et Martin Johnson, indéniablement des objets de très grande valeur, rassemblent bon nombre de ces écueils. On considère que c’est ce qui les rend passionnants, aussi parce qu’ils ne sont pas seuls mais en dialogue avec ceux, par exemple, de Robert Flaherty, Marie Voignier, Alexandre Litvinov ou Ariane Michel. Et bien entendu, les échanges, la mise en perspective, notamment historique, auront comme toujours une place importante dans les séances.
Le cycle s’articule en trois blocs, dont on retrouvera au fil de la lecture de cette brochure des éléments de présentation et contextualisation, afin de bien préciser le récit proposé par le programme. Premier temps : la mise en valeur de Figures de la ciné-aventure, dont les emblématiques (Robert Flaherty), les attendus (Werner Herzog), les plus ou moins connus ou oubliés (Jean-Jacques Languepin, Mario Marret). Et d’autres de ces figures, détaillées ci-après. Ensuite, une thématique Tout là-haut, récit subjectif en six films et trois séances d’un XXe siècle qui a commencé par les balbutiements de l’aviation pour, en quelques décennies, se poursuivre dans l’espace. Enfin, troisième temps du programme, une question qui ouvre sur le contemporain : L’Aventure existe-t-elle (encore) ? Une interrogation qu’il ne s’agit pas de trancher mais de nourrir à travers un ensemble de films assez récents qui mettent en jeu cette notion d’aventure cinématographique.
Autre caractéristique de ce cycle : les films muets nous ont invités à l’organisation de ciné-concerts. Adélaïde Ferrière fera sonner son marimba pour nous conduire dans les pas d’Osa et Martin Johnson ; Thomas Suire s’animera au-dessus de son thérémine pour accompagner les aventures aériennes de Walter Mittelholzer ; les guitares de Benoist Bouvot nous entraîneront à travers les épaisses forêts et vives rivières de l’Oussouri. Et le service Musique de la Bpi nous offre un ciné-concert de clôture sur la piste de Simba : roi des animaux.
Enfin, une autre singularité du programme : les plus jeunes auront droit à leur “P’tit cycle”. L’occasion était trop belle de partager avec eux ces aventures sur grand écran : sur la banquise, dans les mers du Pacifique sud, dans la campagne enneigée de Suède, dans la jungle en Inde, dans les airs et l’espace. Ce qui nous fait formuler une évidence, toujours bonne à rappeler : l’aventure a toujours quelque chose à voir avec l’esprit d’enfance.
Arnaud Hée, programmateur du cycle
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