Le Centre Pompidou &... Chloé Delaume
Autrice de près d'une trentaine de livres dont Mes bien chères sœurs ou le récent Le Cœur synthétique (Seuil), prix Médicis 2020, qu'elle définit comme son « premier roman normal », Chloé Delaume est aussi chanteuse et musicienne (elle sort ces jours-ci un album, Les fabuleuses mésaventures d’une héroïne contemporaine). Son pseudonyme, celle qui se nomme Nathalie Dalain pour l'état-civil l'emprunte à la fois à Boris Vian (l'héroïne de L'Écume des jours), et à Antonin Artaud (L'Arve et l'Aume). Souvent expérimentale, parfois lyrique, toujours autofictionnelle, l'écriture de Delaume est à la fois corrosive et féministe. Rencontre avec une écrivaine « en création permanente », pour qui le Centre Pompidou fait office de madeleine de Proust.
« Au début des années 1990, j’avais 15 ou 16 ans et je traînais beaucoup avec mes copines gothiques dans le quartier de Beaubourg. À l’époque, c’était vraiment là où tout se passait pour des jeunes comme nous. On y croisait les mêmes bandes qu’aux Puces, il y avait une atmosphère particulière. On apportait à boire et on passait la journée à écouter des cassettes de Sisters of Mercy ou Parabellum sur le parvis du Centre Pompidou. Un beau jour, on remarque que c’est gratuit pour les ados, alors on entre...
Un beau jour, on remarque que c’est gratuit pour les ados, alors on entre... Et là, ça a été un choc total pour moi. Je n’étais pas du tout habituée à ce genre d’endroit.
Chloé Delaume
Et là, ça a été un choc total pour moi. Je n’étais pas du tout habituée à ce genre d’endroit, je connaissais plutôt les musées du Guide vert, des trucs ruraux et folkloriques où m’emmenaient mon oncle et ma tante. Des endroits horribles, du type "musée du peigne à myrtilles en Alsace", qui ne m’avaient laissé que des mauvais souvenirs… Je viens de banlieue, des Yvelines, et mes seules rencontres avec l’art moderne c’était soit les pendules d’Arman devant la gare Saint-Lazare, soit le Pont Neuf emballé par Christo qu’on nous avait emmenés voir en cinquième. À l’époque, j’avais trouvé ça étrange et culotté, le fait même qu’on ait eu le droit de faire ça m’avait marquée.
En entrant dans le Centre Pompidou, j’ai eu un premier choc esthétique devant les œuvres d’Yves Klein, et son bleu. J’étais très impressionnée par le fait qu’on ait pu donner son nom à une couleur… J’étais ébranlée, un vrai choc des cultures. Et c’est là que j’ai découvert le Jardin d’hiver de Dubuffet. Une vraie bulle poétique. J’ai eu immédiatement l’impression d’être à l’intérieur de mon cerveau. Ça m’absorbait complètement, il y avait quelque chose du refuge, de la grotte primitive, de l’habitacle. J’y allais le week-end toute seule, je prenais mon RER, et j’avais rendez-vous avec le Jardin d’hiver.
J’ai découvert le Jardin d’hiver de Dubuffet. Une vraie bulle poétique. J’ai eu immédiatement l’impression d’être à l’intérieur de mon cerveau. Ça m’absorbait complètement, il y avait quelque chose du refuge, de la grotte primitive, de l’habitacle.
Chloé Delaume
Ça m’apaisait physiologiquement. Je gambadais dans ma tête, j’observais les gens qui ne me gênaient pas du tout. Je pouvais y passer des heures, moi on me pose là et je ne bouge pas, je suis un dolmen ! J’y emmenais des amoureux, pour les tester. Pour que ça marche entre nous il fallait aimer The Cure, David Cronenberg et Dubuffet ! Il y a deux ans, Jean-Max Colard, qui organise le festival de littérature Extra! m’a proposé de faire une lecture de textes dans un endroit particulier, et j’ai choisi le Jardin. J’y ai lu du Pierre Guyotat, du Patrick Bouvet, du Antonin Artaud, avec la sensation de partager avec le public un truc intime… Quand je suis dans le secteur, j’y retourne. Et je retrouve toujours la même sensation physique. Au prochain confinement, je m’installe là-bas, il faudra juste apporter un petit matelas ! » ◼
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Portrait de Chloé Delaume
Photo © Sophie Couronne