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La visite amoureuse de... Coco

Dessinatrice pour la presse (Libération, Charlie Hebdo28 minutes sur Arte), Corinne Rey alias Coco a le trait souvent féroce. Mais son crayon sait aussi se faire poétique, comme lors de sa récente visite de l'exposition « Suzanne Valadon », qu'elle a « adorée » à tel point qu'elle n'a pu s'empêcher de croquer certains de ses tableaux préférés. Rencontre.

± 3 min

Ses dessins d'actualité pour le quotidien Libération, férocement drôles, créent parfois la polémique. Mais Coco assume un trait nerveux et caustique, lustré durant ses années à Charlie Hebdo — elle y a démarré il y a près de quinze ans, épaulée par les figures du journal comme Cabu. Les muses de Coco ? Trump, Poutine et Musk, bien sûr, qu'elle croque avec délice. Et en toute liberté. Dans le paysage du dessin de presse, genre souvent par trop masculin, Corinne Rey (née en 1982) fait un peu figure d'exception (elle est fan de sa collègue du Guardian Posy Simmonds, récemment honorée à la Bibliothèque publique d'information). Un point commun qu'elle s'est trouvé avec la peintre Suzanne Valadon (1865-1938), figure résolument libre, dont l'exceptionnel parcours est retracé dans l'exposition « Suzanne Valadon », riche de plus de deux cents peintures et dessins. Une monographie que la dessinatrice a parcourue avec bonheur. Elle partage ses coups de cœur — et quelques-uns des dessins inédits qu'elle a réalisés lors de sa visite au Centre Pompidou.

« Je ne connaissais pas très bien Suzanne Valadon, mais quand j'ai vu l'affiche pour l'exposition dans le métro, ça m'a tout de suite parlé. J'ai aimé le traitement des couleurs, la douceur du visage, l'attitude du modèle… Cette femme, clope au bec, l'air un peu blasé, nonchalante en pyjama, c'est un tableau très contemporain qui aurait pu être fait de nos jours. Pourtant, Valadon l'a peint il y a plus de cent ans ! Je suis venue visiter l'exposition en février dernier, et j'y ai passé trois heures… J'aime bien aller aux expos avec mon carnet. Je picore, je m'arrête, je scrupte les détails, je reviens sur mes pas… En observant les œuvres, la touche, la richesse des couleurs, j'enrichis ma culture graphique, mon dessin, je rafraîchis mon œil, je stimule ma créativité !

Sa manière de peindre ses modèles et leurs poses, comme celles du tableau Les Deux Sœurs, me fascine. Et puis les expressions des visages, sans concession — comme lorsqu'elle représente sa mère et son air assez dur, rigide. Valadon dessine avec une sorte de naturel, sans chercher à dégager plus de beauté qu'il n'y en a, et je trouve que c'est ça qui la singularise. J'ai été fascinée par ses gammes chromatiques, son goût pour les tissus à motifs, qui se marient si bien avec les nus dans ses compositions. Et puis la richesse des peaux de ses modèles, tantôt rosées, tantôt vert d'eau, ou mauves, jaunes… Le modelé est toujours très réussi. Elle sait choisir des gammes atypiques qui fonctionnent très bien pour dégager des reliefs.

 

Valadon dessine avec une sorte de naturel, sans chercher à dégager plus de beauté qu'il n'y en a, et je trouve que c'est ça qui la singularise.

Coco, dessinatrice

 

Elle peint aussi beaucoup de nus féminins, et je m'y retrouve, j'aime dessiner les courbes des femmes, j'ai  plus d'aisance à les dessiner que les corps d'homme, bizarrement ! J'ai aussi été frappée par son fameux tableau Adam et Ève, dans lequel elle se représente nue, aux côtés de son mari. Je sais qu'elle a dû repeindre le sexe du personnage masculin parce qu'à l'époque c'était inconcevable, et je trouve que dans la manière qu'elle a eu de le faire, presque ornementale, on sent qu'elle nous dit quelque chose. Comme si elle le faisait pour que cela se remarque...

Ce qui ressort des peintures et des dessins de Valadon, c'est une très grande liberté — on sent une femme forte, émancipée, qui a du tempérament, qui ne se soucie pas des qu'en-dira-t-on. Elle a quand même eu une vie assez folle quand on y songe, devenant artiste à part entière après avoir commencé comme modèle pour les grands comme Renoir ou Toulouse-Lautrec… C'est fou qu'elle soit autant passée sous les radars, qu'elle ait trop souvent été envisagée comme la mère de Maurice Utrillo, également un immense peintre.

 

Pour Valadon, c'est la peinture qui comptait, plus que le fait d'être une femme. Elle s'imposait avec sa peinture. J'aime cette idée.

Coco, dessinatrice

 

Le parcours de Valadon me parle aussi parce qu'en tant que dessinatrice de presse, j'évolue dans un milieu souvent majoritairement masculin, pas toujours bienveillant, parfois misogyne — certains accueillent mal le fait que des femmes "marchent sur leurs plates-bandes". Mais pour Valadon, c'est la peinture qui comptait, plus que le fait d'être une femme. Elle s'imposait avec sa peinture. J'aime cette idée. » ◼