Focus sur... « Camouflage H. Matisse Luxe, Calme et Volupté » d'Alain Jacquet
C'est en 1962, à vingt-trois ans, qu'Alain Jacquet commence la première grande série de son œuvre et l'un des ensembles les plus marquants de la période : les « Camouflages ». Ce large groupe de peintures, qui va occuper l'artiste jusqu'en 1964, a pour commun principe le camouflage d'une image préexistante. L'image camouflée n'est cependant pas toujours de même nature : une œuvre d'art (de Paolo Uccello, Sandro Botticelli, Léonard de Vinci, Pablo Picasso, Piet Mondrian, par exemple) ou bien une icône de la culture populaire (statue de la Liberté, personnage de Disney ou publicité). La technique de camouflage diffère également : Jacquet utilise le motif traditionnel du camouflage militaire ou procède par superposition d'images.
Sur une copie imparfaite du chef-d'œuvre de Matisse, l'artiste applique un camouflage dont les variations de couleur respectent les tonalités chromatiques des arrière-plans d'origine.
Au printemps 1963, l'artiste entreprend de camoufler le célèbre tableau de Matisse, Le Luxe I (1907) – lui aussi au Musée national d'art moderne –, en conservant presque le format de l'original (210 × 138 cm). Sur une copie imparfaite du chef-d'œuvre de Matisse, le jeune artiste applique un camouflage dont les variations de couleur respectent les tonalités chromatiques des arrière-plans d'origine.
Le motif du camouflage ayant été fixé en France, lors de la Première Guerre mondiale, par un peintre apparenté au cubisme, André Mare (1885-1932), son utilisation pour dissimuler une image picturale du début du 20e siècle n'est pas totalement illégitime. Au moment où Jacquet réalise ses premiers camouflages d'œuvres d'art, Roy Lichtenstein (1923-1997), de l'autre côté de l'Atlantique, commence à reproduire des tableaux de Paul Cézanne, de Mondrian ou de Picasso, en utilisant la technique des points de trame. La facture délibérément artisanale des « Camouflages » les éloigne toutefois des productions de Lichtenstein et du pop art américain. Pour mieux encore marquer sa différence avec ce mouvement, Jacquet ne tarde d'ailleurs pas à camoufler des œuvres pop, de Jasper Johns, de Robert Indiana et de Lichtenstein. Il va même jusqu'à camoufler la reproduction par Lichtenstein de la Femme assise dans un fauteuil de Picasso.
Geste iconoclaste à l'égard des tenants d'un art classique ou moyen de préserver Matisse du destin auquel le vouent l'industrie culturelle et la société du spectacle ?
En camouflant une peinture de Matisse ou de quelque autre maître d'un passé plus ou moins récent, Jacquet semble faire un geste iconoclaste à l'égard des tenants d'un art classique ou établi. Son geste pourrait cependant être plus subtil. Il ne faut en effet pas oublier la fonction originelle du camouflage : protéger ce qu'il recouvre en le dissimulant au regard. Et si Jacquet camouflait Matisse pour le préserver du destin auquel le vouent l'industrie culturelle et la société du spectacle, alors en pleine expansion ?
Juste après la série des « Camouflages » viendra celle des « Trames », qui culmine avec le célébrissime Déjeuner sur l'herbe (1964), également présent dans la collection du Centre Pompidou, l'un des sommets du Mec' Art (abréviation de mechanical art) et du pop art européen. ◼
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Alain Jacquet, Camouflage H. Matisse Luxe, Calme et Volupté, 1963 (détail)
Huile sur toile, 203 × 144 cm
© Centre Pompidou / photo : G. Meguerditchian / Dist. Rmn-Gp / Adagp