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Vue de l'exposition « Matisse, comme un roman » fermée au public, avec ses oeuvres recouvertes de papier kraft

En attendant sa réouverture, le Centre Pompidou comme vous ne l'avez jamais vu !

Vu de l’extérieur, tout semble assoupi. Et pourtant à l’intérieur, c’est l’effervescence. Montage d’expositions, conservation des œuvres, rondes de sécurité… Dans l’attente d’une réouverture prochaine, le Centre Pompidou continue de tourner. Visite guidée et exclusive.

± 11 min

Pas un bruit, si ce n’est la soufflerie de la climatisation. La lumière est douce, et entre les travées, une légère pénombre. Pourtant, autour de nous, c’est une explosion de couleurs éblouissantes. Ici, Marguerite au chat noir nous fixe, là, La Tristesse du roi, monumentale, nous irradie. Nous sommes en Galerie 1, et les chefs-d’œuvre d’Henri Matisse, réunis pour l’exposition « Matisse, comme un roman », attendent d’être prochainement décrochés (l’exposition devrait être démontée le 22 février prochain, ndlr). Certaines œuvres, comme endormies depuis octobre dernier et la fermeture exceptionnelle du Musée, sont désormais à l’abri de la lumière sous des papiers krafts.

 

Certaines œuvres, comme endormies depuis octobre dernier et la fermeture exceptionnelle du Musée, sont désormais à l’abri de la lumière sous des papiers krafts.

 

Sur les cartels, on peut pourtant lire « Nus bleus », ou « Faune charmant la nymphe endormie ». Les fameuses calligraphies matissiennes autour du mot « Jazz » sont elles aussi en sommeil, tout comme les fabuleux collages colorés de l’artiste. Tous ces dessins, au fusain ou au crayon, ont été protégés dès le jour de la fermeture. Liliana Dragasev, chargée de production au Centre Pompidou, a supervisé ce « kraftage » : « Nous avons d’abord protégé les œuvres graphiques, car le papier est beaucoup plus fragile que la toile. L'exposition à la lumière mais aussi de mauvaises conditions de température et d'humidité, peuvent dégrader les dessins. Ceux qui proviennent de la collection du Musée national d’art moderne sont habituellement conservés dans les réserves du cabinet d’art graphique, dans l’obscurité la plus totale. »

En temps normal, personne ne vient perturber la quiétude de l’espace, pas même les équipes de ménage. Les seules habilitées à y pénétrer sont les restauratrices. Tous les mardis et vendredis, ces spécialistes font le tour de l’exposition et inspectent religieusement les œuvres, en priorité celles qui ne sont pas protégées par du papier kraft. Comme la superbe Blouse roumaine, qui fait partie des chefs-d’œuvre de la collection du Musée.

 

En temps normal, personne ne vient perturber la quiétude de l’espace, pas même les équipes de ménage. Les seules habilitées à y pénétrer sont les restauratrices.

 

Certaines des œuvres réunies en Galerie 1 ont fait du chemin pour cette exposition, prêtées pour l’occasion par d’autres institutions internationales, ou par des particuliers. Mais c’est surtout la présence d’Intérieur aux aubergines qu’il convient de noter : la toile ne quitte qu’à de très rares occasions les cimaises du musée de Grenoble en raison de sa fragilité. Liliana Dragasev précise : « Une surveillance journalière de la température et de l’hygrométrie est assurée par des sondes qui enregistrent ces données. Il est indispensable de limiter les écarts de température et d’humidité relatives. S’ils sont trop élevés, des moisissures pourraient se développer et proliférer, et le papier gondoler par exemple. Les données recueillies par ces sondes peuvent être transmises aux prêteurs privés ou institutionnels qui le demandent. » Tout semble assoupi. Pourtant les quelque deux cent trente œuvres de l’exposition « Matisse, comme un roman » sont observées jour et nuit. Comme le reste du Centre Pompidou, sécurisé drastiquement. 

 

Avec ses dix niveaux totalisant plus de 100 000 m2 dont 45 000 m2 accessibles au public, le Centre Pompidou est un vrai paquebot.

 

La sécurité, c’est l’affaire de Francine Lourari, cheffe de groupe et dans « la maison » depuis vingt-trois ans. Avec ses dix niveaux totalisant plus de 100 000 m2 dont 45 000 m2 accessibles au public, le Centre Pompidou, qui comprend aussi la Bibliothèque publique d’information (Bpi) et l’Institut de recherche et de coordination acoustique/musique (Ircam), est un vrai paquebot. Mieux, une ville souterraine, avec son dédale de couloirs en sous-sol, véritable labyrinthe peint aux couleurs primaires si caractéristiques du bâtiment signé Renzo Piano et Richard Rogers. Au niveau du Forum, discrètement gardé par une porte accessible aux seuls personnels habilités, se trouve le poste de sécurité, le PC. Les yeux rivés sur une mosaïque d’écrans, un agent veille, relevant le moindre détail suspect. Francine Lourari : « Le Centre Pompidou est équipé de centaines de caméras qui voient tout. Ici nous sommes en lien radio avec les agents qui font leurs rondes, le jour comme la nuit. Nous surveillons tous les espaces, dans les niveaux comme en sous-sol, et nous vérifions aussi les échafaudages extérieurs, installés pour les travaux de rénovation de la chenille, côté Piazza. Parfois des jeunes escaladent les échafaudages, pour voir la vue sur tout Paris, ou faire des selfies… » Attention, c’est formellement interdit. Seule femme cheffe de groupe, Francine déplore le manque de féminisation de la profession, mais adore son métier, « humain avant tout ».

Et les vols dans tout ça ? Cela n’arrive jamais. Exception à la règle, à la fin des années 1990, un Picasso s’évanouit mystérieusement des réserves… Il réapparaîtra à New York en 2014. Retrouvé par les douaniers américains dans un container venu de Belgique, le tableau, estimé à quinze millions de dollars, était très simplement emballé. Et sur le colis, la valeur affichée était de… trente dollars. Restituée à la France en 2015, La Coiffeuse (peinte en 1911), est passée entre les mains de Véronique Sorano-Stedman, cheffe du service de restauration du Centre Pompidou, avant de retrouver enfin les cimaises du Musée. 

 

Plus loin, on s’affaire à coups de perceuse-visseuse. Pour mieux accueillir les publics dès sa réouverture prochaine, le Centre Pompidou se dote d’un nouvel espace vestiaire, avec quatre cent soixante-quinze casiers automatiques et transparents. L’idée ? Réguler le flux de personnes tout en offrant plus de confort aux visiteurs et visiteuses. C’est Léa Laulhère, architecte de formation et responsable d’opérations à la direction du bâtiment et de la sécurité, qui a supervisé le projet, de sa conception à sa réalisation : « Désormais les publics ont accès au vestiaire de manière autonome. Nous avons remis l’espace aux normes, et la consommation énergétique du système est faible. La nouvelle borne d’accueil est recyclée, elle vient de la bibliothèque Kandinsky. »

Au niveau 4, il est aussi question de recyclage. Pour la scénographie de la première exposition entièrement consacrée à l’artiste allemande Hito Steyerl en France (jusqu’au 7 juin 2021), ce sont des éléments de décor et de scénographie de la précédente exposition, consacrée à Christo, qui ont été entièrement réutilisés ou upcyclés.

 

Pour la scénographie de la première exposition entièrement consacrée à l’artiste allemande Hito Steyerl en France, des éléments de décor et de scénographie de la précédente exposition, consacrée à Christo, ont été entièrement réutilisés ou upcyclés.

 

La valorisation des déchets est en effet l’un des engagements forts du Centre Pompidou. Marcella Lista, commissaire de l’exposition précise : « Les volumes ont été conservés avec quelques aménagements. Des débris du chantier seront par ailleurs visibles dans l'installation Liquidity Inc., et les vitrines de Christo et Jeanne-Claude subsistent à l'état de fantômes, des cadres vides, des ouvertures aveugles ». 

Plus bas, dans le Forum, le cœur battant du Centre Pompidou, un drôle d’animal s’apprête à installer son nouveau quartier général : le célèbre Rhinocéros, de Xavier Veilhan. Entré dans la collection du Musée en 2000, cette sculpture rouge vif de près de cent kilos est arrivée la veille dans sa caisse de protection. Après avoir quitté les vastes réserves où sommeillent, parmi les 120 000 œuvres de la collection, celles qui ne sont pas présentées au Musée, elle a rejoint la Piazza fermée au public en raison de travaux. Puis, déposée délicatement devant son socle par un petit monte-charge, elle est déballée par cinq agents de la régie des œuvres, dont Franck Buisson. Il connaît bien le « Rhino », il le suit presque partout : « Je suis allé chercher l’œuvre en novembre dernier, elle était exposée au musée de Préhistoire des gorges du Verdon, face à un rhinocéros laineux de la Préhistoire. » En moins d’une heure, le « bolide » de Veilhan est installé non loin de la librairie du Centre Pompidou.

 

La surface du Rhinocéros est très fragile, un peu comme une carrosserie de voiture de luxe. La moindre rayure, et il faut tout repeindre !

Franck Buisson, régie des œuvres

 

Les équipes le protègent avec des bâches semi-transparentes, lui donnant l’aspect d’une étrange mariée, comme un clin d’œil à l’œuvre de Niki de Saint Phalle, au niveau 5 du Musée. Franck Buisson : « La surface de l’œuvre est très fragile, un peu comme une carrosserie de voiture de luxe. La moindre rayure, et il faut tout repeindre ! ». D’autant qu’un pigeon rôderait dans l’espace du Forum, nous ramenant aux réflexions de Vinciane Despret, l’invitée intellectuelle de 2021, questionnant la présence des animaux dans un musée… Massif, élégant, le « Rhino » attend la réouverture avec placidité. ◼

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