Émilie Tronche : « J’ai travaillé pour le plaisir, sans contrainte, au trait noir. Samuel était né. »
La jeune femme — elle est née en 1996 — s’excuserait presque du succès inattendu de Samuel, sa série graphique sensible sur les rêveries, les coups de cœur et les coups de blues d'un enfant de CM2 (Arte). Diffusée depuis le printemps sur les plateformes (où elle cumule plus de vingt-cinq millions de vues), et à l'antenne à partir du 16 décembre prochain, Samuel n'en finit pas de conquérir le public, tous âges confondus. Comme une consécration supplémentaire, les vingt-et-un épisodes sont projetés ce samedi 7 septembre au Centre Pompidou, en sa présence.
Ce matin-là, Émilie Tronche était trop absorbée dans l’écriture de la saison 2 (car il y en aura bien une) pour se rappeler notre rendez-vous ; « Il y a toujours un moment, lors de l’écriture, où on se retrouve dans sa zone, confie-t-elle avec une heure de retard. Alors l’environnement n’existe plus. C’est un instant assez rare ; je me sens libre dans l’écriture, tout est fluide. »
J’ai travaillé pour le plaisir, sans contrainte, j’ai fait ce que j’aime, rien que ça. Au trait noir. Un petit film rien que pour moi. Samuel était né.
Émilie Tronche
L’animation, elle y pense dès le lycée. Elle s’adonnait régulièrement à la pratique de l’écriture, puis elle dessinait aussi ; « Pour moi, le cinéma d’animation regroupait tout ça. » Elle s’y voit déjà, regarde des films de fin d’étude, se forme un goût, puis intègre l’Atelier de Sèvres, à Paris, qui prépare aux concours des meilleures écoles en France et à l’international. C’est là qu’elle décroche son précieux sésame pour intégrer en 2016 l’École des métiers du cinéma d’animation à Angoulême. Quatre ans de liberté créative et d’expérimentations en tous genres où elle se découvre davantage autrice que dessinatrice.
Puis tout s’accélère… Sélectionnée avec douze autres candidats, elle signe son premier court dans le cadre d’un programme France TV et Tant mieux prod ; une mise en images du poème « Promenade sentimentale » de Verlaine, en couleur et au pastel parce que, confesse-t-elle : « La couleur, pour moi, c’est ce qui fonctionnait sur le CV. Je voulais faire un peu ce qui marchait et je me suis dit que c’était une technique assez cool à explorer. » Elle a six mois pour tout boucler.
Il faut aimer ses personnages, il faut être avec eux, même avec les vilains. Je ressens de l’empathie, de la tendresse pour eux.
Émilie Tronche
Cette fois, elle est en avance : il lui reste une semaine à tuer au sein d’un studio. Une aubaine pour la jeune diplômée. « Ces quelques jours, j’ai travaillé pour le plaisir, sans contrainte, j’ai fait ce que j’aime, rien que ça. Au trait noir. Un petit film rien que pour moi. Samuel était né. » Posté, liké, reposté sur les réseaux sociaux, ce visage d’un enfant de dix ans, aux traits minimalistes, conquiert les cœurs. On éprouve sans doute pour cet enfant et ses péripéties les mêmes sentiments que sa réalisatrice : « Il faut aimer ses personnages, il faut être avec eux, même avec les vilains. Je ressens de l’empathie, de la tendresse pour eux. »
Après un mois de diffusion seulement, Samuel compte dix-huit millions de vues toutes plateformes confondues. Il faut dire que la mini-série (la toute première série de fiction diffusée sur TikTok) est déclinée en fonction des contraintes et des publics de chaque support, et que les thèmes abordés concernent chacun et chacune.
Car Samuel, du prénom de ce jeune homme croisé quelques heures en soirée « très gentil, le prénom d’un garçon gentil. Une sorte de sensibilité qui m’a plu », ne sommeille-t-il pas en chacun·e de nous ? Qui n’a pas été amoureux·se à dix ans ? Qui n'a pas eu de journal intime comme meilleur confident ?
Mais ce qui nous le rend si familier, c’est aussi ce sentiment qu’il habite à côté de chez nous, les mille petits riens qui le rendent concret, que sa créatrice est allée chercher aux tréfonds de sa mémoire ou en discutant avec ses deux sœurs, dont elle est très proche : « Je me suis souvenu de jouets, de phrases, de mimiques… » À croire que Samuel fréquenterait notre école primaire si un indice au détour de tel épisode ne trahissait sa ville d’origine : Sucy-en-Brie, dans le 94, tout au bout de la ligne de RER A, là même où a grandi Émilie Tronche. Une ville qui ne fait pas parler d’elle, sinon pour son calme et le nombre de points que rapporte son gentilé, les Sucyciens, au scrabble.
Il y a aussi la musique, si présente à chaque épisode. Cette même musique dans laquelle Émilie puise son inspiration. « Quand je ne suis pas inspirée musicalement je ne suis pas inspirée du tout. » Puis la jeune femme de nous confier qu’actuellement c’est en « ponçant » Last Train Home du guitariste américain Pat Metheny qu’elle travaille sur la suite de Samuel. Le storyboard se développe au rythme de la mélodie ; les silhouettes prennent corps numériquement, s’animent. Au plan très épuré, minimaliste, ne présentant qu’un seul personnage, succède un autre plan, avec plusieurs personnages, un décor plus étoffé, du mouvement, de la danse – une discipline qu’elle a pratiquée longtemps.
Pour saisir le mouvement avec autant de vérité, Émilie Tronche le décompose après s’être filmée au smartphone.
Pas étonnant alors que « Le spectacle » soit l’épisode qu’elle préfère. Pour saisir le mouvement avec autant de vérité, Émilie Tronche le décompose après s’être filmée au smartphone : « Un jour, j’ai même demandé à un ami de me filmer alors que je mimais la brasse sur un tapis. » Elle est une dessinatrice en mouvements ; c’est d’ailleurs en marchant, ou dans un train, ou dans une voiture que lui viennent des idées. Alors tandis que la première saison de Samuel se décline dans différents pays, elle est déjà concentrée sur la suite : « Samuel va grandir. C’est cette transformation qui m’intéresse. » ◼
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Portrait de la dessinatrice et autrice Émilie Tronche, photo © Pierre Malherbet