Dans la tête de Marion Fayolle
Marion Fayolle a toujours dessiné. Au mitan de la trentaine, la jeune femme, diplômée de l'École supérieure des arts décoratifs de Strasbourg en 2011, n’aura cessé d’explorer différentes formes d’expression; bande dessinée, dessin de presse, mais aussi expositions, performances ou, plus récemment, un roman. « Ma crainte ? M’installer dans quelque chose de ronronnant », confie la native de la Drôme pour qui la ruralité est source quotidienne d'inspiration.
Ma crainte ? M’installer dans quelque chose de ronronnant.
Marion Fayolle
Il y a du Roland Topor et du Claude Ponti chez l'autrice ; l’épure graphique et la puissance du trait du premier, la polysémie et l’appétence pour le langage du second. Présente au sein de la riche exposition collective « Bande dessinée, 1964-2024 » en Galerie 2, Marion Fayolle est également invitée par le Centre Pompidou à déployer son univers graphique et poétique dans la Galerie des enfants. Elle y crée « Tenir tête », une exposition immersive composée de trois grandes tentes-têtes comme autant de petites maisons, ou de petits musées invitant à la découverte de son propre imaginaire. Car, pour l’autrice, « entrer dans la tête de quelqu’un c’est voir ce qu’il s’y passe ». Passant du petit au très grand format, Marion Fayolle s’est d’abord posé une essentielle question : « Qu’est-ce qui, dans mon travail, aurait pu me plaire lorsque j’étais enfant ? » Elle repart donc de la tête-tente que l’on retrouve dans La Maison nue, sa dernière bande dessinée (2002), un élément ludique et spectaculaire pour un enfant, et métaphorique pour les parents. De la même manière, des duvets illustrés permettent au jeune public de se métamorphoser en… dessins.
Qu’est-ce qui, dans mon travail, aurait pu me plaire lorsque j’étais enfant ?
Marion Fayolle
Si on ignore ce que découvrent les familles dans les têtes géantes de l'exposition, on sait en revanche que celle de Marion Fayolle est déjà pleine de nouveaux projets : « Je vais continuer à explorer de nouvelles formes. Le théâtre peut-être ? Le cinéma ? Prendre le temps de sortir du livre. » Retour sur une carrière déjà bien remplie.
D'où est née votre envie de vous lancer dans la bande dessinée ?
Marion Fayolle — Au départ, je n’aimais pas du tout l’univers de la bande dessinée. Puis j’avais du mal à lire à la fois du texte et des images… C’était très compliqué ! Quand je suis entrée à l’École supérieure des arts décoratifs de Strasbourg, je ne savais pas encore ce que j’allais faire. En revanche, j’avais une certitude : j’aimais écrire, d’une part, et j’aimais dessiner, d'autre part. Il me semblait aussi que la littérature jeunesse, ce n’était pas pour moi… Je ne me voyais pas créer pour correspondre aux attentes supposées d’un lectorat précis.
J’avais une certitude : j’aimais écrire, d’une part, et j’aimais dessiner, d'autre part.
Marion Fayolle
En fait, c’est mon professeur de l’époque, Guillaume Dégé, à qui je dois beaucoup, qui m’a poussée vers la BD. Il interprétait mes réticences vis-à-vis du genre comme la possibilité de me tenir à l’écart des références. Le fait d’être moins que d’autres empêtrée dans des mécanismes de représentations m’a donné une grande liberté.
Il faut croire que ça a plutôt bien marché, car j’ai été lauréate du concours Jeunes talents à Angoulême à trois reprises ! La première fois en présentant les petits strips de mon projet de diplôme ; des dessins entièrement muets qui composent aujourd’hui L’Homme en pièces (2016) et dont chacun part d’une expression courante prise au pied de la lettre en opérant un basculement un peu absurde.
Cette reconnaissance rapide de mon travail m’a permis d'acquérir la confiance nécessaire à la création de mon propre langage.
Très tôt, vous avez fait des illustrations pour la presse…
C’est pour la revue XXI que j’ai réalisé mon premier dessin de presse. Et alors que je n’étais qu’au tout début de mon parcours, je me suis trouvée à faire des illustrations pour le New York Times… Aux arts déco, on avait monté une petite revue, avec des camarades, qui s’appelait Nyctalope. Impression en sérigraphie, très faible tirage… La directrice artistique de la rubrique Opinion du New York Times est tombée dessus à Berlin… Ça lui a plu et elle nous a contactés. Le point de départ d’une belle collaboration ! En ce moment, je fais moins de presse, même si j’adore ça. Je me consacre davantage à des travaux aux délais plus longs, moins dans l’urgence.
Après cette première partie de carrière remarquée comme dessinatrice et bédéaste, vous publiez votre premier roman chez Gallimard en 2024, Du même bois. Pourquoi troquer le dessin pour le texte ?
Que ce soit des dessins ou des mots, il n’y a pas une très grande différence. Les dessins sont une forme de langage un peu plus pudique. Une manière de mettre des masques ou de symboliser les choses et de les tenir plus à distance. Lorsque je dessine, il y a d’abord un texte, qui s’efface peu à peu, au profit des dessins. À l’inverse, pour mon roman, Du même bois, des dessins préexistaient au texte pour s’effacer progressivement ; on les retrouve en filigrane, comme des fantômes entre les lignes.
Lorsque j’étais enfant, j’adorais quitter notre vallée pour aller sur les hauts plateaux, dans la ferme de mes grands-parents. Poules, vaches, lapins, cochons… On s’inquiétait de la météo du lendemain, on était sale le soir parce qu’on passait les journées dehors.
Lorsque j’étais enfant, j’adorais quitter notre vallée pour aller sur les hauts plateaux, dans la ferme de mes grands-parents. Poules, vaches, lapins, cochons…
Marion Fayolle
Il me semblait que mon trait n’était pas le bon médium pour parler de ruralité, qu’il ne pouvait se rendre en ces lieux. Le texte s’y prête bien mieux ! Ce livre, qui parle de gens modestes, donne l’occasion à d’autres de découvrir leur univers par le prisme de mon regard forcément très subjectif. ◼
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Portrait de Marion Fayolle lors d'un de ses passages au Centre Pompidou, photo © Pierre Malherbet