Cinéma / Vidéo
Cinéma Post-minimal
16 nov. 2011 - 25 janv. 2012
L'événement est terminé
Le programme « Cinéma post-minimal » est une version revue et augmentée de celui qui avait été conçu en collaboration avec Chrissie Iles et
présenté au Whitney Museum of American Art en 2000-2001, lors de l'exposition Flashing into the Shadows: The Artist's Film in America 1968-76.
Le programme « Cinéma post-minimal » est une version revue et augmentée de celui qui avait été conçu en collaboration avec Chrissie Iles et
présenté au Whitney Museum of American Art en 2000-2001, lors de l'exposition Flashing into the Shadows: The Artist's Film in America 1968-76.
Le besoin d'une telle exposition s'imposait à l'époque : on voulait réduire une fracture catastrophique qui avait eu lieu à la fin des années 60,
entre les discours concernant l'art et ceux concernant le film. Les deux domaines se trouvaient séparés dans deux histoires distinctes pour diverses
raisons institutionnelles, discursives et économiques. Cette entreprise de révision historique semblait d'autant plus pertinente en 2000, que la
décennie précédente - les années quatre-vingt-dix - s'était caractérisée par l'expansion du « cinéma de plasticiens ». Un développement qui venait,
entre autres, de ce qu'on a appelé le tournant documentaire dans les pratiques artistiques récentes. Ce développement qui a aussi révélé que les
médias étaient devenus inséparables de la vie contemporaine, et avaient même dépassé le diagnostic établi par une notion critique comme la
« société du spectacle » dans les années soixante. Bref, il semblait opportun de revisiter, avec Flashing into the Shadows, l'engagement
protéiforme de l'art post-minimal et conceptuel avec le médium du film, qui mettait en jeu une combinaison complexe et parfois paradoxale
d'optimisme et de critique des médias.
La pléthore de films exposés dans les galeries à la fin des années quatre-vingt-dix semblait marquer un moment d'euphorie ainsi que d'amnésie dans
le monde de l'art. Si l'on examine comment l'histoire du « lien art-film » s'est constituée dans l'ensemble, on peut observer que, après
l'émergence initiale du cinéma expérimental dans les années vingt (qui était en grande partie le fait de l'avant-garde artistique : dada,
constructivisme et surréalisme), une deuxième et forte vague de films a surgi, pour différentes raisons culturelles et politiques. D'un côté, le
film était devenu plus accessible en tant que technique (ex : le Super 8) et de l'autre, il représentait un médium progressiste en opposition aux
médias traditionnels des arts visuels. Paradoxalement, ce 'progressisme' du film comme outil de critique esthétique et/ou sociale allait de pair
avec la déclaration de la 'mort du cinéma', due entre autres à la popularité de la télévision et à la crise du cinéma hollywoodien. C'est pourquoi
plusieurs films de ce programme contiennent des références au cinéma muet des débuts, ou même à la photographie proto-cinématographique d'Eadweard
Muybridge. Moyen privilégié d'expérimentation sociale et formelle dans les années soixante, le médium film devait se frayer un chemin dans un monde
de l'art qui abandonnait rapidement sa conviction moderniste, à la poursuite d'une autonomie radicale et d'une pureté disciplinaire.
Au cours des années soixante, une scène effervescente de cinéma d'avant-garde émerge en Europe et aux Etats-Unis (comme dans beaucoup d'autres
régions du monde). Projections et installations de films font leurs premiers pas dans les musées et les galeries, d'une manière totalement inédite.
L'un des premiers à franchir la frontière entre cinéma 'professionnel' et cinéma 'non-professionnel', Andy Warhol s'avère un précurseur important
de cette évolution, ses premiers films datant de 1963. Néanmoins les relations possibles qui s'amorçaient entre l'art et le film allaient se
multiplier dans la foulée du pop et du minimalisme. Des artistes post-minimalistes revendiquent souvent l'influence des films de Warhol, mais ils
font tout aussi bien référence à Jean-Luc Godard ou à des réalisateurs de productions à petit budget, comme Roger Corman. (A cet égard, la fameuse
thèse de Peter Wollen, The Two Avant-Gardes qui fait la distinction entre une avant-garde européenne post-brechtienne - avec Godard comme chef de
file - et une avant-garde formaliste, principalement située à New York et à Londres, montre ses limites.)
Tandis que l'ensemble des films de l'avant-garde historique devenait le domaine exclusif des études cinématographiques (qui annexaient aussi le
domaine 'para-cinématographique' du cinéma d'avant-garde au cours des années soixante), les films faits par les plasticiens devenaient doublement
orphelins. Largement négligés par les galeristes, commissaires et collectionneurs qui retournaient à des formes d'art plus traditionnelles vers la
fin des années soixante-dix, ces films post-minimalistes ou conceptuels furent royalement ignorés de l'histoire de l'art, à quelques exceptions
près . Cet abandon renforce des distinctions entre les disciplines, qui étaient discutables au départ. Certaines catégories, spécifiques au film,
telles que le 'film structurel', ont été créées à la fin des années soixante, renforçant une scission entre un groupe 'professionnel' de
« cinéastes » d'avant-garde - même s'il s'agissait de cinéastes-artisans, et un groupe d'« artistes-cinéastes » qui étaient essentiellement connus
comme des créateurs d'art conceptuel, de performances ou de land art.
Trouvaille du jeune critique cinématographique P. Adams Sitney, la catégorie stylistique du film structurel a été façonnée d'après une conception
formaliste de l'art moderniste. Elle apparaît donc totalement en porte à faux avec les films post-minimalistes d'artistes comme Dan Graham, Richard
Serra, Robert Smithson ou Marcel Broodthaers. Leurs films développent une dialectique entre pop et minimalisme, comme un certain nombre des dits
films structurels faits par Michael Snow, Hollis Frampton ou Tony Conrad. Et c'était avec un plaisir espiègle que Robert Smithson, par exemple,
allait souligner dans son important essai Art Through the Camera's Eye que le film Frame de Serra jurait avec l'écran soigneusement installé à
l'Anthology Film Archives, lors de la programmation majeure que Jonas Mekas avait consacrée au film structurel.
D'autres artistes, telle Joan Jonas, se verraient rangés dans la catégorie 'art vidéo', une catégorie également douteuse, court-circuitant les
distinctions possibles entre les pratiques du film et celles de la vidéo. De même, les programmes télévisés « Land Art » et « Identifications »,
qu'a fait Gerry Schum en collaboration avec plusieurs artistes, sont souvent considérés comme le point de départ de l'art vidéo, alors qu'ils
étaient tournés argentique, non en vidéo. Par conséquent, une des questions soulevées par le programme est : jusqu'à quel point est-il important
qu'une œuvre soit réalisée en film ou en vidéo (ou jusqu'à quel point cela importe actuellement, quand la plupart des films ont été transférés sur
un support numérique) ? Malgré l'importance de cette question, on ne peut y donner aucune réponse tranchée. Ce programme se limite aux œuvres
tournées en argentique, mais il ne sous-entend pas que l'on peut appliquer l'argument de la spécificité du médium dans tous les cas. On peut
formuler la question de la spécificité de plusieurs manières différentes et on peut affirmer que beaucoup d'artistes qui se sont tournés vers le
film (ou la vidéo) à cette époque, cherchaient précisément à aller à l'encontre d'un système moderniste et hiérarchique de disciplines autonomes.
Ce que Bochner (imitant Duchamp) a dit sur la photographie en 1970 -- "J'aimerais que la photographie fasse mépriser la peinture au public, jusqu'à
ce que quelque chose d'autre rende la photographie insupportable" - convient aussi bien à la situation du film qu'à celle de la vidéo.
Bref, les multiples généalogies de l'art et du film depuis les années 1960 (sinon auparavant) jusqu'à aujourd'hui sont très complexes. Plus
complexes que les historiens de l'art et du film ne l'ont souvent compris. C'est bien une leçon d'histoire que le programme de films voulait donner
lorsqu'il a été présenté pour la première fois au Whitney Museum of American Art. Afin de situer les années quatre-vingt-dix, il était nécessaire
de retourner aux années soixante. Certes, ce n'était pas pour gommer toutes les différences entre les divers médias, mais pour examiner les luttes
et les tensions spécifiques qui ont structuré le domaine dialectique de l'art et du film. Peut-être qu'aujourd'hui, dix ans après ce premier
programme, on ne ressent pas la même urgence au même degré. Par conséquent, les associations de films présentés dans cette nouvelle version du
programme (dont je suis le seul responsable) ne sont plus aussi inattendues qu'en 2000, ni les œuvres aussi peu connues du grand public (internet a
très vite changé les choses). Néanmoins, cela reste une occasion rare de voir ces œuvres projetées en salle - comme cela avait été prévu au départ -
et de réfléchir sur les correspondances et différences qui existent entre les films post-minimalistes, à travers des pratiques individuelles, et
les zones géographiques. J'ai eu la chance de pouvoir travailler avec l'impressionnante collection de films du Centre Pompidou, dans laquelle les
'films d'artistes' et les 'films d'avant-garde' sont placés sur un pied d'égalité. Cela m'a permis de mettre à jour davantage d'interférences entre
les pratiques de l'art et celles du film aux Etats-Unis et en Europe de l'ouest qu'au Whitney. Il reste encore beaucoup à explorer et je suis
conscient des manques du programme actuel.
Un autre point important différencie les deux programmes. En 2000, Chrissie Iles et moi-même avions pensé qu'il était indispensable de rendre
palpables les nombreux passages entre l'espace de la galerie et la salle de cinéma, tels qu'ils s'étaient produits dans les années 1960. Nous
faisions donc alterner la projection entre white cube et black box. Pendant la semaine, on présentait en installation des films en boucle, qui
éclairaient l'espace comme les tubes de lumière de Dan Flavin. On renouvelait les installations tous les mois, et elles prenaient place dans
chacune des quatre parties de l'exposition : 'Topologies', 'Sérialité', 'Film comme performance' et 'Contre-narrations'. Un week-end par mois, des
projections avaient lieu dans une salle de cinéma classique. Dans la programmation du Centre Pompidou, on retrouve ces quatre parties, avec
d'infimes changements, mais les films seront présentés uniquement dans une salle de cinéma. On ne pourra donc pas montrer certaines œuvres comme
les installations de Dan Graham qui exigent une projection sur les murs adjacents ou opposés. De plus, je voudrais rappeler que beaucoup de films
présentés ici n'étaient pas à l'origine destinés à la projection sur grand écran, dans un cinéma. Ils étaient plutôt montrés dans des expositions
ou au cours d'événements spéciaux. Les notes incluses dans ce programme font référence à ce contexte originel.
Les artistes new-yorkais sont majoritaires dans le programme actuel, pour la simple raison que j'ai commencé mes recherches quand je vivais à
New York. Etre sur place m'a donné l'occasion d'étudier en détail les relations entre l'art et le film dans les années soixante et soixante-dix .
(Une telle focalisation géographique serait actuellement difficile à défendre.) J'ai décidé de prendre comme point de départ 1966 et un groupe
d'artistes tels Dan Graham et Mel Bochner qui ont travaillé étroitement avec des artistes minimalistes comme Sol LeWitt. L'histoire commence donc un
peu plus tard que le lien art-film développé dans les domaines post-cagéens du 'cinéma élargi' ou de 'fluxus'.
Néanmoins, le fait d'inclure des figures comme Robert Morris, Paul Sharits ou Yvonne Rainer dans le programme actuel démontre qu'on ne devrait pas
concevoir de manière définitive de telles divisions entre des mouvements artistiques.
Tout à fait conscient que l'histoire n'est pas univoque, je me suis malgré tout concentré sur les allers et retours entre le pop et le minimalisme
que le film a explorés. Production en série, spécificité de l'expérience spatio-temporelle, art de la performance, utilisation d'images et de
techniques relevant des mass media, abandon des techniques et matériaux traditionnels de l'art, toutes ces caractéristiques du pop et du
minimalisme se trouvaient encore radicalisées et exacerbées dans le film post minimaliste.
Les cinéastes post minimalistes mettaient en place diverses stratégies, dans leur lutte contre les structures hiérarchiques de l'expérience
culturelle et sociale héritée du passé et qui continuait à hanter leur présent. Cette résistance prit d'abord une forme radicalement anti-narrative.
Mais pendant les années soixante-dix, plusieurs films allaient utiliser ce qu'on peut appeler une approche contre-narrative, qui imite les
conventions du cinéma classique pour critiquer, sinon pour démanteler ce système. Voici au moins une des trajectoires que l'on peut construire
rétrospectivement. L'avantage d'une telle perspective généalogique n'est pas seulement de repenser les relations entre les pratiques avancées de
l'art et du film, mais aussi qu'elle nous amène au seuil des années quatre-vingt où a émergé une génération d'artistes plasticiens (Picture) comme
Jack Goldstein qui allait encore changer la dialectique de l'art et du cinéma. Et c'est là-dessus que se clôt provisoirement le programme.
En 1974, Paul Sharits écrit une lettre accusatrice à un conservateur d'un musée allemand renommé : « Il y a quelque chose que je déteste bien plus
que les critiques normatives, c'est la discrimination condescendante et humiliante entre 'films d'artistes' et 'films de cinéastes', une
discrimination que ces expositions aiment tant pratiquer, en matière de catégorisation et de soutien financier. Cela me semble un geste politique
(du milieu de l'art) et non pas une catégorisation sémantique ou esthétique valable. C'est fondé sur le fait ahurissant que les œuvres d'art
filmiques ne sont pas aussi vendables que les peintures et les sculptures dans les galeries, et que ceux qu'on appelle les
'cinéastes' ne sont pas soutenus-représentés par des galeries importantes. » Le programme du Centre Pompidou peut être considéré comme une réponse
tardive mais bienveillante à Sharits. De telles manifestations d'exaspération étaient courantes vers la fin d'une période qui avait commencé par
bercer l'espoir que le film aiderait à rendre 'insupportables', pour citer Bochner, les vieilles stratifications du domaine culturel. Dans un
retournement ironique de l'histoire, le musée d'art semble être devenu aujourd'hui le dernier refuge de ce qui était autrefois considéré comme le
film d'avant-garde. Pourtant, même si aujourd'hui le lien art-film apparaît sous une forme totalement nouvelle, il ne faut pas perdre de vue les
aspirations radicales du cinéma post minimaliste.
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