Temple

Comme la plupart des artistes autrefois qualifiés de « naïfs » et aujourd’hui regroupés sous le label de l’« Art brut », Crépin est un autodidacte. Il est plombier à Hénin-Liétard quand, vers 1930, il entre en relation avec le cercle spiritualiste de Douai, où il fait la connaissance de Victor Simon et d’Augustin Lesage. Il comprend alors qu’il est habité par un don et devient guérisseur. Parallèlement, il se passionne pour la musique et compose des mélodies jouées par les fanfares et dans les bals.

Crépin découvre le dessin en 1938, à l’âge de soixante-trois ans. Alors qu’il copiait de la musique pour des amis, sa main, commandée par une impulsion incontrôlée, se met à tracer de curieux petits dessins. L’année suivante, ainsi qu’il l’écrit à André Breton, « des voix mystérieuses » (A. Breton, « Joseph Crépin », Le Surréalisme et la peinture , Paris, Gallimard, 1965, p. 306) l’engagent à peindre, à partir de ses dessins, trois cents tableaux pour que s’arrête la Seconde Guerre mondiale. (« Quand tu auras peint 300 tableaux, ce jour-là, la guerre finira », lettre à Breton, 25 septembre 1948, publiée dans cat. exp., Villeneuve d’Ascq, 2000, op. cit. , p. 220.) Il achève le dernier numéro le 7 mai 1945 ; Temple porte le numéro 152 de la série. Deux ans plus tard, Crépin entreprend une nouvelle série de quarante-cinq « Tableaux merveilleux » pour que le monde soit, selon ses termes, « pacifié ». Il peint jusqu’à sa mort en 1948, laissant inachevés ses deux derniers tableaux.

Remarquée par André Breton (le Tableau merveilleux n° 11 de 1946 était dans sa collection), par Jean Dubuffet et Nicolas Schöffer, l’œuvre de Crépin est, comme celle de Lesage, fondée sur un univers d’architectures visionnaires vivement colorées, représentant des sortes de temples ou de palais, constellés de gouttelettes de peinture et parfois hantés par des personnages et des animaux fantastiques. Leur ordonnance combine une rigoureuse symétrie avec un goût prononcé pour le motif ornemental, traduit par une facture minutieuse. Temple , qui est surmonté de nuées grouillantes de têtes décapitées (« [Chez Crépin,] la figuration humaine est pratiquement réduite à la tête et au cou », A. Breton, Le Surréalisme et la peinture, op. cit. ), est une peinture représentative d’un art qui se réclame du spiritisme, tout comme le pratiquait Victor Brauner, l’ancien propriétaire du tableau. Didier Derœux remarque qu’elle est comme « chaque peinture, […] signée, contresignée, paraphée, datée, numérotée avec un soin méticuleux » (cat. exp. Villeneuve d’Ascq, 2000, op. cit. , p. 13).

Nathalie Ernoult

Source :
Extrait du catalogue Collection art moderne - La collection du Centre Pompidou, Musée national d’art moderne , sous la direction de Brigitte Leal, Paris, Centre Pompidou, 2007